Long live the TV #4 ! « Victoria »

On retourne en Angleterre, où la série Victoria, créée par Daisy Goodwin, est diffusée depuis 2016 sur la chaîne ITV, concurrente de BBC.

En France, elle n’est diffusée que sur la chaîne Altice Studio du groupe SFR (disponible par satellite ou câble), autant dire qu’elle n’est pas connue du grand public et assez difficile à voir. La série relate la vie de Victoria (Jenna Coleman), depuis son accession au trône en 1837 (saison 1), à dix-huit ans seulement, lorsqu’elle devient Reine du Royaume-Uni, mais aussi par la suite Impératrice des Indes (en 1876) et Reine d’Australie et du Canada1.

Une nouvelle fois, la série se focalise sur un personnage féminin au pouvoir (comme dans Reign ou The Crown par exemple) et montre bien les difficultés d’assumer cette lourde charge en général, et pour une femme en particulier, mais surtout à son âge, alors qu’elle devient à peine adulte.

D’autant plus que la monarchie britannique (constitutionnelle) ne donne que peu de pouvoirs politiques au monarque, ne laissant que peu de marge de manœuvre à Victoria. Néanmoins, l’histoire se concentre plus sur le statut de « femme au pouvoir », que de reine, le parallèle avec notre époque n’en étant évidemment que plus fort. Il est également important de préciser que Victoria était un véritable symbole à son époque – on parle de période victorienne, marquée par les profondes mutations du pays dues entre autres à la révolution industrielle – et une référence en matière de morale stricte (ce qu’on ne voit guère à l’écran, du moins pour le moment).

De nombreuses transformations sociales et économiques changeront drastiquement le visage l’Empire britannique, en pleine expansion, durant les soixante-trois ans de règne de Victoria2.

Ces faits et évènements historiques importants ne sont, en revanche, qu’à peine évoqués dans les intrigues, romancées, qui se concentrent plus sur le personnage de la reine que sur l’histoire de l’Angleterre (à l’exception de quelques faits marquants, comme la famine de la pomme de terre3 par exemple).

La saison 1 aborde sur les débuts de Victoria sur le trône, ses rapports avec sa mère, ainsi que sa relation d’amitié et de confiance avec Lord Melbourne, son Premier Ministre de 1835 à 1841.

Le Vicomte Melbourne (Rufus Sewell) porte sur la jeune reine un regard bienveillant et devient un ami autant qu’un conseiller. Victoria reste d’ailleurs très attachée à lui, même lorsqu’il quitte ses fonctions et cette relation tendre est bien écrite et jouée avec justesse (elle se poursuit d’ailleurs dans la saison 2, donnant lieu à des scènes très touchantes).

Dotée d’un caractère bien trempé, d’une éducation solide et d’une grande curiosité, qui la mène à s’investir réellement dans les problèmes d’état, Victoria parvient parfois à s’imposer face à ses conseillers et ministres, mais subit le plus souvent la pression de son entourage et des conventions de l’époque.

En effet, certaines coutumes tendent tout naturellement à considérer les femmes comme des êtres fragiles, innocents et purs, et Victoria est, par exemple, évincée de son propre trône le temps de se remettre de sa première grossesse.

En 1840, après avoir subi une grande pression quant au choix de son futur époux, Victoria tombe amoureuse d’un de ses cousins germains, Albert de Saxe-Cobourg-Gotha (Tom Hughes), une aubaine pour sa famille qui tente d’arranger le mariage.

Elle aura avec Albert neuf enfants et devra apprendre à jongler entre la maternité (qui n’était pourtant pas son fort, on dit même qu’elle en répugnait certains aspects) et le pouvoir, tandis que leurs rapports seront souvent houleux (saison 2). Le prince consort a en effet du mal à supporter de rester à la maison pendant que Madame règne sur un empire puissant ! Pour calmer ses crises d’égo, Victoria doit trouver un moyen de l’inclure dans la vie politique et lui donner un véritable statut d’égal, même s’il ne peut pas être vraiment roi4.

Dans la saison 2, ses très nombreuses disputes avec Albert sont malheureusement un des gros points faibles de la série, qui se concentre un peu trop souvent sur leur nature passionnée et impulsive et leurs problèmes de couple, plutôt que sur ceux de l’état. La saison 1, plus intéressante et dynamique, montrait une palette de sujets nettement plus variée et s’étalait sur moins de temps (6 ans pour la saison 2).

Par ailleurs, au fil des épisodes, l’affection des scénaristes pour le personnage de la jeune reine, palpable, devient un peu pesant. En effet, c’est l’empathie avec Victoria qui domine complètement caque épisode, quitte à ne pas totalement refléter la vérité.

On est assez loin, il est vrai, de l’austérité de la reine souvent rapportée dans les documents et portraits de l’époque. Néanmoins, dans un souci de réalisme, des spécialistes de la période victorienne, de l’étiquette et de la royauté britannique travaillent sur la série et Jenna Coleman s’est documentée sur le rôle en lisant, par exemple, les journaux intimes qu’écrivaient la reine.

Ainsi, sans parler d’anachronisme, on ressent quand même qu’une certaine modernité a été insufflée au récit, certainement dans un souci d’identification pour le public actuel et au détriment du personnage historique.

 

Mon bilan : La série a très bien commencé, en offrant des moments forts (couronnement, mariage, etc.), bien interprétés et dans des costumes et décors somptueux. À travers les personnages secondaires, certains sujets abordés sont à la fois passionnants et très (trop ?) modernes, comme par exemple l’homosexualité, dépeinte de manière poignante. Néanmoins, les intrigues de la saison 2, qui peinent à se renouveler, ont eu tendance à plomber les épisodes par trop de répétitions et de bons sentiments, mais aussi d’ellipses temporelles. À tel point qu’en faisant le bilan de cette saison 2, j’avais du mal à savoir ce qui s’y était passé. En se recentrant sur des évènements historiques et/ou politiques, la série gagnerait surement en intensité. La saison 3 devra donc marquer un vrai tournant et peut-être mieux embrasser son caractère historique, au risque sinon de devenir un soap. À suivre donc…

 

NOTES :

1  Édouard-Auguste de Grande-Bretagne de la Maison de Hanovre, le père de Victoria, est décédé avant son propre père. Ses trois frères, plus âgés que lui étaient donc les héritiers directs, mais n’ont pas eu de descendance (légitime du moins). C’est pourquoi, à la mort de son oncle, Guillaume IV (souverain de 1830 à 1837), Victoria accède au trône, faute d’héritier mâle.

2  Le règne le plus long pour un monarque britannique après celui d’Elisabeth II, l’actuelle Reine du Royaume-Uni depuis 66 ans.

3  Crise alimentaire des années 1840 qui a provoqué des millions de morts, à cause de la famine, à travers l’Europe et en particulier en Ecosse et en Irlande.

4  Le prince Albert s’est d’ailleurs véritablement investi dans la vie politique de son pays et a défendu de grandes causes, telle que l’abolition progressive de l’esclavage (loi votée par le Parlement en 1833, mais réellement effective quelques années plus tard, durant le règne de Victoria).

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