Critique ciné : « Steamboy » de Katsuhiro Otomo (2004)

Steamboy de Katsuhiro Otomo

Depuis la toute fin du 20ème siècle, un constat semble s’établir par un large partie du public cinéphile. Ce constat est le suivant : les liens culturels Asie-Europe se sont étroitement renforcés, avec comme figure emblématique, le Japon et sa lourde production de films d’animation qui a réussi à « fanatiser » une bonne partie des jeunes générations occidentales.

Distribué sur nos écrans français une semaine seulement après sa sortie dans son pays d’origine, Steamboy vient marquer d’une pierre blanche ces rapports privilégiés, court-circuitant par la même occasion les USA, relégué en troisième position (il en sera d’ailleurs de même pour la sortie du Château Ambulant d’Hayao Miyazak).

Steamboy de Katsuhiro Otomo

Et fait encore plus rare, le DVD est sorti en France un mois avant le Japon ! Il faut dire que depuis 2003, la France est passé au rang de premier importateur de mangas et japanimes. Ca aide !

Mais peut-on tout lier à une telle démarche économique ? Les premières images du film suffisent pour nous en laisser douter. Développant son action en Angleterre, la provenance japonaise de ce dernier est loin de sauter aux yeux.

Et tout le récit lui-même est imprégné d’un profond respect pour la culture occidentale, à tel point qu’on peut se demander si les auteurs n’ont pas eu leur mot à dire sur la distribution du film.Certes, Otomo n’est pas le premier réalisateur de film d’animation à présenter un tel engouement pour l’Occident (ex : Takahata, Miyazaki), car il faut bien se rappeler que le Japon est un pays qui a subi une forte domination occidentale dans les deux derniers siècles, domination qui a pour certains tourné à la fascination.

Mais de nos jours où la tendance s’inverse, il est intéressant de voir comment les genres et les styles occidentaux nous sont renvoyés « à la sauce japonaise. » Ainsi, sous ses traits de film d’aventure scientifique, Steamboy dévoile pas à pas un sujet et une esthétique finalement très éloignés de son modèle.

Steamboy de Katsuhiro Otomo

A Manchester en 1866 vit Ray Steam, un jeune surdoué de la mécanique qui travaille dans une usine textile. Issue d’une lignée de grands inventeurs, il vit dans l’absence de son père et son grand-père qui travaillent ensemble, quelque part en Alaska. Mais un jour, Ray reçoit un colis de son grand-père.

Il s’agit d’une sorte de ballon que son expéditeur décrit comme renfermant un gaz d’une énergie démesurée, ce qui en fait un objet très convoitée, notamment par la puissante fondation O’Hara, employeur du père et du grand père de Ray.

Et le vieil homme n’a pas menti. A peine déballé, deux émissaires de la fondation tente de s’emparer de la précieuse invention.Après une course-poursuite mouvementée, ils finissent par la capturer, avec le jeune garçon en prime.

Tous deux sont alors emmenés à la tour O’Hara, majestueuse construction représentant la fondation à l’exposition universelle de Londres. Ray y retrouve alors son père, et tous deux travailleront main dans la main dans l’aboutissement de cette tour à la mécanique impressionnante et complexe.

Mais la finalité de cette tour échappe complètement à Ray qui ne cherche de toute façon pas à en savoir plus, jusqu’à ce qu’il tombe nez à nez avec son grand-père, pris la main dans le sac en train de saboter la tour en question. Pourtant, le vieil homme a conçu cette tour aux côtés de son fils, dont il affirme qu’il l’a détourné de son but originel. Mais son fils affirme de son côté que son père est devenu sénile, et que c’est lui qui n’a jamais saisi les véritables possibilités de cette tour.

Steamboy de Katsuhiro Otomo

Qui a raison ? Qui a tort ? Ray se retrouve alors en présence de deux visions de la science. D’un côté, son père considère la science comme l’outil du bonheur des hommes. En réponse à une Nature inéquitable, il pense que la science doit rétablir la justice, quitte à vendre des armes afin de palier les écarts militaires entre nations. De l’autre côté, son grand-père affirme que la science est une chose sacrée car elle engendre une lourde responsabilité.

C’est pour ces raisons qu’elle doit rester dans les mains d’une élite qui décide du sort de l’Humanité. Sans se contredire, ces deux points de vue ont chacun leurs excès dont Ray fera alors l’expérience, selon que le précieux ballon appartiennent à l’une ou l’autre des parties. La conséquence de ses méfaits aura sur le jeune garçon la construction de son point de vue sur le but de la science.

Et en cela, Steamboy prend une dimension universelle car il se calque sur le schéma, certes éculé, du héros qui face au doute se forge un esprit critique. C’est en fait l’histoire d’un enfant devenant adulte.

Mais tout ça est loin de nous être servi dans la lourdeur psychologique, car dans ce film, c’est l’action qui prime, ou plus précisément le rythme. Et dans cet exercice, Steamboy se révèle exemplaire, supporté notamment par une narration sans défaut. Suite à une séquence pré-générique énigmatique, une brève introduction pose le contexte du quotidien de Ray, qui contraste avec ce début de récit avorté.

Steamboy de Katsuhiro Otomo

Quels sont donc les rapports entre ces deux passages ? Le récit ne délivre aucune réponse immédiate tandis qu’une course-poursuite impressionnante d’action, de rythme et d’originalité vienne prendre le relais. Et désormais, rien ne saurait ébranlé cette vitesse de croisière qu’a fait atteindre cette scène d’action.

Le dévoilement des différentes facettes de la Tour Steam, l’introduction d’une pléthore de nouveaux personnages, le développement de machines aussi improbables qu’incroyable, tout ceci ne sont que prétextes à autant de nombreux rebondissements, qui permettent de distiller au compte-goutte l’intrigue principale sans jamais nous lasser ni nous perdre.

Et déjà sommes-nous parvenus à la fin du film qui s’impose en point d’orgue. Point d’orgue est d’ailleurs le mot qui convient, car elle ne cesse de durer, et bien qu’étant magistralement orchestrée, certains pourraient subir une overdose de vapeur, de mécanique et de plans tourbillonnants. Et il faut reconnaître ce défaut : Steamboy paraît avoir du mal à se conclure, et les scènes d’actions ultimes, bien que rocambolesques, ont un goût de déjà-vu au sein même du film.

Steamboy de Katsuhiro Otomo

Et on regrette d’autant cette longue conclusion qu’elle ne se conclut pas véritablement. En effet, pour ce qui est du but de la science, les positions du père et du grand-père n’ont su évolué d’un iota. Et pour ce qui est de Ray, aucune affirmation ne vient confirmer un éventuel point de vue personnel, si ce n’est qu’il semble avoir développé un grand humanisme, tant il s’illustre courageusement pour sauver des vies de la folie de ses aïeuls.

L’idéologie du jeune homme est alors mis en image plus qu’en parole, et il s’agit d’un cas général dans le film : les pensées des personnages se dévoilent par les actions qu’ils produisent. Et c’est finalement une démarche intelligente car Steamboy devient ainsi un film à plusieurs niveaux d’interprétation selon que l’on analyse ou non l’action comme support d’une idée. Toutefois, le film ne fait pas dans la recherche philosophique accrue, et faute d’idées nouvelles, il ne creuse pas les grandes questions qu’il pose.

Mais il n’empêche que ce film est une réussite. Très bien animé, l’emploi de la 3D crée de beaux rendu sur les éléments métalliques, la vapeur et les mouvements de caméras, bien qu’on en évite pas certains excès. Les personnages sont quant à eux tous charismatiques, soutenus par un bon doublage (notamment en VF.)

Enfin, la musique orchestrale met parfaitement en relief l’action grâce à des mouvements emportés et un thème principal très réussi. En bref, il ne semble pas exagéré d’affirmer qu’il s’agit de l’un des meilleurs films d’aventure de ces dix dernières années, parvenant à rivaliser, et même surpasser, les références dont il semble s’inspirer.

Steamboy de Katsuhiro Otomo

Réalisateur : Katsuhiro Otomo
Scénario : Katsuhiro Otomo / Sadayuki Murai.
Directeur de l’animation : Tatsuya Tomaru.

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