[Court Métrage] Foutaises de Jean-Pierre Jeunet

 Film de l’énumération ludique

Anne-Marie Garat,écrivain, professeur de Lettres et Cinéma,
Académie de Paris , chargée de mission (Education culturelle et artistique)

Retranscription de l’intervention d’A.M.Garat à La Cinémathèque Française (1/12/00)

Jeunet et CaroJeunet est surtout connu à travers le tandem qu’il fait avec Marc Caro, depuis le succès de
Delicatessen et de la suite de Alien la résurrection, tourné aux Etats-Unis. Jean-Pierre Jeunet a écrit d’abord dans Charlie Mensuel, Fluide galcial, et Métal
hurlant
, alors que Caro, vient plus précisément de la BD, d’une culture du graphisme. Ils se sont rencontrés au festival d’animation d’Annecy, tournent ensemble des films d’animatin de
marionnettes Evasion (78) et Manège (80) pour lequel ils ont eu un César. Comme ils n’arrivaient pas à monter leur film long, Le bunker de la dernière rafale, ils ont
continué à tourner des courts et des vidéos. S’ils ont fait aussi, ensuite, des pubs et des clips, ils revendiquent leurt appartenance au court-métrage. Jeunet tourne avec Dominique Pinon,
rencontré pendant la préparation de Delicatessen.


Photogramme plan 11L’autoportrait ludique repose sur la plastique étonnante de Dominique Pinon dont la
mobilité faciale permet toutes les torsions et grimaces, principalement du bas de la face, joues, menton, bouche qui s’écrasent et s’étirent tel du caoutchouc, comme chez Popeye, célèbre
héros de comics. Seul le dessin animé permet ces exagérations ludiques proches de la caricature. Filmé en plongée, vu du regard de Dieu (ou du plafond) qu’il interroge et défie, à qui il adresse
son manifeste subjectif, son visage adopte toutes les mimiques exaspérées des sentiments élémentaires, dégoût, colère, cri et rire, réprobation et jouissance extatique… telles que le faciès
enfantin, avant d’être socialisé et régulé, les produit librement.

Photogramme plan 5« Le j’aime/j ‘aime pas » fonctionne comme rythme binaire et entraîne la succession rapide des plans, le montage
nerveux des propositions, apparemment aléatoires, dont on peut pourtant dégager la cohérence simple. Ce que le personnage aime ou pas, ce sont les élections libres du corps, des sons, des goûts,
des sensations tactiles ou visuelles, en référence à la subjectivité du corps et à la mémoire infantile, en relation avec la trivialité du quotidien. Alternant avec le visage plus ou moins
grimaçant, en gros ou très gros plan, les images en liaison
dialoguent entre elles sur des jeux de ruptures et d’associations, dedans/dehors, présent/passé.


Photogramme plan 185

Le film convoque des procédés éprouvés. L’accumulation appartient au burlesque, au comique de répétition, associée à l’exagération expressionniste du son et de
l’image. L’effet catalogue est explicitement désigné par le catalogue de Manufrance ou du Larousse. La facture BD des images comme vignettes illustratives emprunte à l’esthétique des fanzines,
des illustrations populaires, des comics et de l’imagerie enfantine, des dictionnaires d’anatomie aux vues de cartes postales…

Photogramme plan 198

L’inventaire se fait en N et B, option esthétique de la citation d’un cinéma au passé, d’un séduisant monde rétro, symtôme régressif contemporain. Monde d’enfance
avec ses lubies, ses terreurs et ses distorsions inoffensives de la réalité. Le caprice des goûts affiché, comme signe impératif d’une identité, se résume aux phobies et aux attractions
subjectives, schéma simplificateur de ce que serait un sujet. Du point de vue du cinéma, malgré son allure décoiffante et réjouissante, c’est un film assez sage, propre, travail soigné du son et
de la lumière, distance et hommage humoristique, tendresse… On ne boude pas son plaisir, mais tout ça n’est pas très neuf.

Photogramme plan 10

C’est justement en affichant ostensiblement sa filiation avec le surréalisme, avec la cocasserie expressioniste des cadrages et des contrastes, avec les grimaces
burlesques du muet, avec l’esthétique « bête et méchante » des années Charlie, en reprenant le principe de l’inventaire de Prévert, ou plus précisément du Perec de Je me
souviens
, que ce film est rassembleur sans grand risque.

Photogramme plan 178

Cependant, évitons le rapprochement trop rapide, à quoi nous invite la citation explicite du livre de Pérec, Je me souviens, au début du film. Chez Pérec,
il a une fonction plus profonde d’archéologie du quotidien où, ce qui disparaît, dans la profusion des références du souvenir enfantin les plus dérisoires, c’est l’Histoire, sa folie,
son horreur… La disparition, inhérente à toute liste, le manque que ne comble aucun inventaire, l’absence, pour Pérec, est bien plus tragique, hors la langue, hors l’image: celle de
l’extermination de la shoah, de la négation existentielle.

Photogramme plan 181

On en est bien loin, dans Foutaises, qui veut dire baliverne ou fadaise, dont le titre même congédie le sérieux, où l’adulte-enfant se revendique comme tel,
proclamant son refus de grandir et capitalisant les expériences primitives comme valeurs absolues. L’adulte-enfant est symptôme d’une société contemporaine, qui cherche un refuge contre les
questionnements d’un monde privé (ou saturé) de sens, qui autorise le cocooning et encourage à la régression. Dans la foutaise, on se fiche du monde, au mieux on en montre la dérision et
l’absurdité, posture sans grande conséquence. Donc jeu plaisant, du côté du ludisme, de l’humour facile et d’une séduction astucieuse, certes habile et sensible, mais le procédé sera (trop)
facilement reproductible par les élèves…

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Source : http://www.cndp.fr/


Réalisation : Jean-Pierre Jeunet
avec Dominique Pinon, Marie-Laure Dougnac, Chick Ortéga, Diane Bertrand
Montage et sons : Marc Caro1990 – 8 minutes
Production: Zootrope

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