[Cours en ligne] L’Image Mouvement de Gilles Deleuze – Chapitre 3

Chapitre 3 : Montage

 

Le montage une image indirecte du temps : non pas un temps homogène ou une durée spatialisée, mais un temps effectif émanant de l’articulation des images mouvements.
Il existe quatre grande « écoles » de montage.

1. La tendance organique de l’école américaine

Il existe trois figures du montage (Cf. Griffith) :
– Une alternance de parties différenciées= un montage alterné parallèle: l’organisme est un ensemble de parties différenciées prises dans des rapports binaires.

– Une alternance des dimensions relatives : mais il faut que la partie et l’ensemble entrent eux-mêmes en rapport, qu’ils échangent leur dimension relative19.

– Une alternance de deux actions qui vont se rejoindre = montage concourant ou convergent (rapprochement => augmentation de la rapidité de l’alternance = montage
accéléré
).

  • Forme classique du cinéma US : on passe de la situation d’ensemble à la situation rétablie ou transformée par l’intermédiaire d’un duel, d’une convergence d’action.

  • Contrairement aux idées reçues, le montage organico-actif n’est pas subordonné à la narration, la narrativité découle de cette conception.

[ Rappel : les deux acceptions du temps défini comme mesure du mouvement= chronosignes:
– le temps comme tout, qui recueille l’ensemble du mouvement dans l’univers : c’est une spirale ouverte aux deux bouts, l’immensité du passé et du futur.

– Le temps comme intervalle = la + petite unité du mouvement, c’est le présent variable accéléré20. ]

2. La dialectique de l’école soviétique

Cf. Eisenstein qui conserve l’idée « griffithienne » d’un agencement organique des image-mouvements mais fait 2 objections principales :

1ère opposition : montage parallèle => montage d’opposition
Pour Griffith, les parties différenciées de l’ensemble sont données d’elles-mêmes comme des phénomènes indépendants21.
Les objections dénoncent la conception « bourgeoise » de Griffith et portent sur :
– la manière de raconter et de comprendre l’histoire

– surtout sur le montage parallèle et convergent22

Griffith n’a pas vu la nature dialectique de l’organisme et de sa composition qui est une spirale qui doit être construite non empiriquement, mais scientifiquement en fonction
d’une loi de genèse, de croissance et de développement23.

Cette loi interne se définit ainsi :

– une section d’or = point de césure marquant deux parties opposables, mais inégales
– chaque spire/segment se divise à son tour en deux parties inégales opposables
– les oppositions sont multiples = quantitative, qualitative, intensive et dynamique
– si l’on part de la terminaison de la spirale, et non de son début,, la section d’or fixe une autre césure, le point le + haut d’inversion au lieu le + bas. C’est donc par
opposition/contradiction que la spirale progresse en croissant

OA = OB = OC = … = m24
OB OC OD

– Les images elles-mêmes contiennent leur propre césure. Elles n’ont pas seulement l’unité d’un élément juxtaposable à d’autres, mais l’unité génétique d’une d’une cellule divisible
en d’autres

Aux dimensions de l’organique, s’ajoute une nouvelle dimension : le « pathétique ».

2ème opposition : montage convergent => montage bondissant

Il ne s’agit plus de la formation et de la progression des oppositions mêmes suivant les spires (=arc), il s’agit du passage d’un opposé dans l’autre25 suivant des vecteurs qu’on
peut « tendre » sur la spirale (= cordes).
Il n’y a plus seulement unité organique des opposés, mais passage pathétique de l’opposé dans son contraire.

Le pathétique comporte deux aspects, il est :
– passage d’un terme à un autre, d’une qualité à une autre

– surgissement soudain de la nouvelle qualité qui naît du passage accompli

Le pathétique implique un changement dans le contenu de l’image, mais aussi dans sa forme. L’image doit passer à une puissance supérieure = « changement absolu de
dimension »26.

Le pathétique est passage de la Nature à l’homme, est développement de la conscience elle-même qui passe à une autre dimension.Emergence du concept de «
montage d’attraction »27 :

– attraction de l’image elle même (au sens spectaculaire = représentations théâtrale & plastique)

– attraction par association d’images = loi d’attraction newtonienne

– attraction de la conscience vers une dimension supérieure

Eisenstein donne à la dialectique un sens proprement cinématographique et fait de l’organisme un concept essentiellement dialectique.

Le temps reste une image indirecte naissant de la composition des images-mouvements, mais l’intervalle et le tout prennent un nouveau sens :
– intervalle = présent variable => saut qualitatif ( finalité externe de l’organisme)

– tout = totalité de réunions qui subsume des parties indépendantes => totalité devenue concrète/existante28 ( finalité interne de l’organisme)

La dialectique : les différences dans l’école soviétique

La dialectique se définit par plusieurs lois :
– loi du processus quantitatif et du bond qualitatif ( I )
– loi du tout, de l’ensemble et des parties ( II )
– loi de l’Un et de l’opposition29 ( III )

Poudovkine
Intérêt = progression de la conscience & mouvements qualitatifs d’1 prise de conscience ( I ).

La nature est représentée comme une poussée linéaire qui sous-tend la prise de conscience. Poudovkine dévoile l’ensemble d’une situation par la conscience qu’un personnage en prend
et le prolonge jusqu’où la conscience peut s’étendre et agir.

Dovjenko
Il est obsédé par la relation triadique parties / ensemble / tout ( II ).
Mieux qu’Eisenstein, il a su faire qu’un ensemble et des parties plongent dans n tout qui leur donne une profondeur/extension sans commune mesure avec leur limite propre

C’est la source du fantastique et de la féerie
= « Abstraction du montage » qui donne à l’auteur « le pouvoir de parler en dehors du temps et de l’espace réels »30.

Il y a donc trois manières différentes de concevoir un montage dialectique, mais il reste deux points en commun :
– le matérialisme est historique

– la nature n’est dialectique que parce que toujours intégrée à une totalité humaine

Vertov
Il s’oppose radicalement aux trois auteurs précédents. Pour lui, il y a une dialectique de la matière elle-même31 ( IV ). Il récuse la mise en scène de la nature & le scénario de l’action car les Machines, paysages, édifices et hommes ne sont pas
différenciés. Ce sont en fait :
– des systèmes matériels en perpétuelle interaction

– des catalyseurs / convertisseurs / transformateurs de mouvements.

Entre deux ordres/mouvements, il y a un intervalle variable, càd la perception : mais une perception de l’œil de la caméra, non de l’œil immobile humain32.

La corrélation d’une matière non-humaine et d’un œil surhumain, c’est la dialectique elle-même car elle est aussi bien l’identité d’une communauté de la matière que d’un communisme
de l’homme.

Le montage adopte la transformation de mouvement dans l’univers matériel et l’intervalle de mouvement dans l’œil de la caméra33 : le rythme. Le montage est présent à trois
niveaux :
1. avant le tournage = choix du matériel, des portions de matière mises en interaction

2. dans le tournage = dans l’intervalle occupé par l’œil de la caméra

3. dans la salle de montage (confrontation matériel/prise de vue & vie réelle/ filmée).

3. L’école quantitative française
Les auteurs s’intéressent avant tout à la quantité de mouvement & aux relations métriques qui permettent de la défini34 = Composition mécanique des
images-mouvements : tout en reconnaissant les mouvements organiques et dialectique, ils cherchent à en extraire/abstraire un seul corps unique.

Mais il y a deux types de machine :
– l’automate, machine simple ou mécanisme d’horlogerie, configuration géométrique de parties qui combinent/superposent/transposent des mouvements dans l’espace homogène, suivant les rapports par
lesquels elles passent35.

– La puissante machine énergétique produisant le mouvement à partir d’autre chose : elle affirme une hétérogénéité dont elle lie les termes36 dans un processus de résonance interne ou de
communication amplifiante

Unité dialectique russe homme/machine => unité cinétique française quantité de mouvement dans une machine/direction de mouvement dans une âme.

Rappel : « photogénie » = l’image en tant qu’elle est majorée par le mouvement. Quelle est cette majorante ? Elle implique les deux aspects du temps, l’instant et le tout :

La quantité de mouvement relatif
L’intervalle du temps = présent variable s’effectuant comme une unité numérique qui produit dans l’image un maximum de quantité de mouvement par rapport à d’autres facteurs
déterminables
37 et qui varie d’une image à l’autre d’après les
variations de ces facteurs.

Entre l’intervalle/unité numérique & ses facteurs, il y a des relations métriques= « nombres » (rythme) donnant la « mesure » de la grande quantité de mouvements
relatifs.

la quantité de mouvement absolu

Le tout fondamental ouvert, comme immensité du futur et du passé.

[ Kant et le sublime mathématique38 :
l’imagination se consacre à l’appréhension des mouvements relatifs où elle épuise rapidement ses forces à convertir les unités de mesure variables, mais la pensée doit atteindre à ce qui dépasse
toute imagination, à l’absolu du mouvement qui se confond en lui même avec le démesuré. ]

  • Nouvelle conception du temps : succession de mouvement & de leurs unités => temps comme simultanéité : succession et simultanéité appartiennent tout deux au
    temps.

Dualisme entre les deux aspects39 :
– le mouvement relatif est de la matière, décrit les ensembles qu’on peut y distinguer/ faire communiquer par « imagination ».

– le mouvement absolu est de l’esprit, exprime le caractère psychique du tout qui change.

On ne passe pas de l’un à l’autre en jouant des unités de mesure, mais seulement en atteignant à qqchose de démesuré et qui ne peut être conçu que par une âme pensante.
Ce dualisme français maintient la différence spirituel/matériel tout en reconnaissant une complémentarité.40

On retrouve chez Gance, ces deux aspects du montage :
1. le mouvement relatif = « montage vertical successif »

2. le mouvement absolu = « montage horizontal simultané » qui a deux formes :

utilisation des surimpressions = décalages temporels / ajouts / retraits des surimpressions.
utilisation du triple écran pour atteindre la simultanéité = construction de « rythmes non-rétrogradables41 ».

4. L’école expressionniste allemande

Le mouvement se déchaîne, mais au service de la lumière. Avec l’expressionnisme la lumière devient un puissant mouvement d’intensité. La lumière et l’ombre ne sont plus un
mouvement alternatif en extension mais passent dans un combat comportant plusieurs stades :

Lumière comme degré d’intensité

Lumière & ombres : ce n’est plus une opposition dialectique ou dualiste mais infinie. La lumière expressionniste est goethéenne42 alors que la lumière « française » est
newtonnienne.

  • Ce combat crée une division de l’image selon une diagonale/ligne dentelée et une véritable matrice de montage.

Cet affrontement de deux forces infinies détermine un point-zéro par rapport auquel toute lumière est un degré fini = la lumière enveloppe un rapport avec le noir comme négation = 0 en fonction duquel elle se définit comme intensité.

  • L’instant appréhende le degré lumineux par rapport au noir. Seule l’idée d’une chute mesure le degré ou monte la qualité intensive43.

Une vision non-organique

L’expressionnisme rompt avec le principe de composition organique = vie non-organique des choses = vie terrible qui ignore la sagesse & les bornes de l’organisme ( non par
l’invocation d’une vision mécanique mais par l’évocation d’une vie marécageuse où plongent toute chose, soit déchiquetées par les ombres, soit enfouies dans les brumes ).

= puissante germinalité pré-organique commune à l’inanimé & l’animé, à une matière qui se soulève jusqu’à la vie et à une vie qui se répand dans toute matière44

La lumière comme degré ( blanc) et le zéro (noir) entrent dans des rapports concrets de contraste et de mélange :
– monde strié, rayé = séries/ contrastes de lignes blanches et noires.

– Clair-obscur = transformation continuelle, succession de graduation.

La géométrie expressionniste

– Elle construit l’espace au lieu de le décrire.
– Elle procède non plus par métrisation, mais par prolongement et accumulation.
– Elle est affranchie des coordonnées qui conditionnent la durée extensive, et des rapports métrique réglant le mouvement dabs l’espace homogène.

C’est une violente géométrie perspectiviste qui opère avec des projections et des plages d’ombre, avec des perspectives obliques.

Expressionnisme comme précurseur du colorisme

Dans les contrastes blancs/noirs ou dans les évolutions du clair-obscure = le blanc semble s’obscurcir et le noir s’éclaircir ( Cf. théorie de Goethe = surgissement des couleurs = l’intensification du degré est comme l’instant porté à la 2nde puissance, exprimée par ce reflet.

  • l’intensité finit par retrouver, au sommet de son intensification, un éclat de l’infini
    = moments du sublime, les retrouvailles avec l’infini dans l’esprit du mal45 :
    – le sublime mathématique, immense, débordant de l’organisme46.

    – le sublime dynamique, puissant, démesuré, informe brisant l’organisme47.

Conclusion

Ecoles

US

Soviétique

Française

Allemande

Type de montage

Organique-actif

Ou empiriste

dialectique

Quantitatif-psychique

Intensif spirituel


Pratique concrète



Montage parallèle


Montage d’opposition


Montage par accumulation


Montage de contraste

Conception de la composition des images-mouvements


Organique


Dialectique


Extensive


Intensive

Conception du présent variable

Intervalle

Bond

Unité numérique

Degré intensif

Conception du tout


Tout organique

Totalisation dialectique

Totalité démesurée du sublime mathématique


Totalité intense du sublime dynamique


Il y a une seule généralité du montage : il met l’image cinématographique en rapport avec le tout, càd avec le temps considéré comme l’Ouvert.

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