[Cours en ligne] Analyse de « La République » de Platon – Première partie !

Deux axes principaux de lecture sont possibles dans La République. Il faut à tout prix chercher à conserver l’équilibre le plus rigoureux possible entre une lecture centrée sur l’histoire et une autre qui prend la métaphysique comme foyer principal.

De nombreuses traductions ont trop souvent sous-estimé la portée politique de l’œuvre. Il ne faut pas limiter la recherche au questionnement de la nature de la moralité individuelle.

La république est une réponse à la tourmente de l’histoire ( et de la démocratie !), et pas seulement aux troubles de l’âme.

I. Cadre dramatique et personnages du dialogue.

Platon a exploité la tension entre l’acceptation des valeurs traditionnelles et le nouvel intellectualisme, le rationalisme représenté par la sophistique.

Cette tension est fondamentale dans la République : elle explique non seulement le choix du cadre dramatique, mais aussi la structure littéraire de l’œuvre.

Socrate : of course.

Adimante et Glaucon : frères de Platon. Ils servent de soutien dans l’élaboration de l’argument central sur la justice. Ils n’ont cependant pas de rôle dialectique déterminant. Comme d’autres, ils sont dociles, sincères et intéressés par le progrès de la discussion en acceptant de laisser à Socrate toute la liberté nécessaire pour développer ses positions.

Thrasymaque : représentant de la sophistique, mouvement alimenté par le nouveau rôle cosmopolite joué par Athènes. Il joue un rôle important dans la première partie de l’entretien. A l’instar de Calliclès dans le Gorgias, il incarne l’autre de la raison, la position principale que Platon cherche à réfuter.

Le vieillard Céphale et ses fils : ils représentent la culture traditionnelle d’Athènes. Céphale est héritier d’une fortune de famille importante qu’il a réussi à entretenir. Ils sont présentés comme les représentants des convictions ordinaires des athéniens : à la fois honnêtes et candides (opinions les plus répandues sur la justice) et présentées d’emblée comme insuffisantes par le texte.

Polémarque, Lysias et Euthydème : fils de Céphale

II. Place de la République dans l’œuvre de Platon.

Il existe une parenté entre le Timée et la République. Parenté se situant sur deux plans :

  • Sur le plan de l’histoire d’Athènes (évocations plus ou moins directes de la grandeur et des misères historiques).
  • Sur le plan de la métaphysique. Tous deux comportent des exposés complets de la doctrine des formes intelligibles., présentés dans un ensemble qui lie la
    cosmologie et l’ontologie de manière systématique. Toute perspective critique en est absente et la synthèse de la Métaphysique et du projet politique y est également élaborée.

Ecriture du livre sur une longue période (estimations) : Entre 387 (fondation de l’Académie) et 370. Cette période correspond à la rédaction des trois autres grands dialogues métaphysique, où la doctrine de l’âme immortelle et des formes intelligibles est présentée avec une argumentation enthousiaste et avec le soutien de récits mythologiques élaborés : le Banquet, le Phédon, le Phèdre.

• Compléments.
Si tout ce qui précède la République la prépare, plusieurs dialogues rédigés  dans la dernière période de la vie de Platon en prolongent la réflexion.

Deux ouvrages principaux :

  • Le Politique : le statut de l’ordre politique se modifie quelque peu en se concrétisant ( précisions sur l’art royal requis  de ceux qui veulent
    s’investirent dans le gouvernement de la société).
  • Les Lois : Il représente un second état de la philosophie politique et a la consistance d’un projet concret. Il s’agit là d’un complément nécessaire à la République en lui fournissant  ce qui lui manquait : une législation. Il est fait une présentation des différents systèmes politiques rivaux de l’époque : l’aristocratie militaire de Sparte, la tradition crétoise d’austérité et l’idéal athénien de la rationalité. Les Lois et la République s’interprètent l’une par l’autre (=complémentarité et homogénéité de la philosophie politique de Platon).

III. Structure et plan de la République.

Structure de l’œuvre complexe et soucis d’une composition rigoureuse. La présentation en 10 livres est artificielle. La structure se compose en
réalité de cinq blocs :

  • I. Ouverture. Les conceptions traditionnelles et sophistiques de la justice (livre I).
  • La définition de la justice (livres II à IV).
  • Les conditions de réalisation de la cité juste (livres V à VII).
  • L’injustice dans la cité et dans l’individu (livres VIII et IX).
  • Les récompenses de la justice. Mythe final (livre X).

Plan détaillé des chapitres étudiés en cours, à savoir :

  • livre V, depuis 475a.
    Définition du philosophe : amant de la sagesse et du beau en soi ( 476d).
          Nature de la philosophie : science et opinion.
  • livre VI, depuis 510a.
    – Le visible et l’intelligible ( 509c – 521b).
  • livre VIII, depuis 562a.
    La tyrannie ( 562a – 576b).
        – Généalogie de la tyrannie
        – Formation de l’homme tyrannique
        – L’homme tyrannique vu en lui-même
  • livre IX, depuis 581a.
    La thèse socratique : seule le juste est heureux
       – Arguments psychologiques,  la meilleur classe d’hommes ( 580d- 583c)
       – Arguments métaphysique, comparaison des plaisirs ( 583c – 592b).
  • livre X.
    Bannissement de la poésie ( 595a – 608d).
        – Le règlement de la poésie : rejet de l’art de l’imitation
        – Critique d’Homère et des poètes
        – Généralisation : usage, fabrication, imitation ( poésie et peinture)

Eschatologie et mythe de rétribution ( 608c – 621d).
     – Perspectives eschatologiques ; rétribution et immortalité de l’âme (608c–613 e).
    – Le récit d’Er le Pamphylien ( 614a – 621d)

Conclusion du mythe et exhortation finale à la justice et à la sagesse.

IV. Le projet politique et philosophique de la Politeia

En quel sens la République est-elle une Politeia, une constitution politique ?
Ce terme de Politeia exprime ce que les athéniens révéraient le plus dans leur culture politique.

Les athéniens n’ont jamais pensé pouvoir se défaire de la guerre, cela explique que, préoccupés de leurs conflits incessants ils aient placés au cœur de leur réflexion politique le travail sur les constitutions et qu’ils aient si peu discuté des causes de la guerre.

La République est l’exemple le plus clair d’une œuvre remplie à la fois de l’horreur de la guerre et du désir de la mener de manière victorieuse.

Cette morale guerrière est encouragée par l’éducation et Platon en reprend entièrement le modèle  dans sa cité idéale : les qualités guerrières sont présupposées au choix des gardiens parfaits.

Le notion de Politeia grecque recouvre les notions de constitution, de régime d’une cité et  de fondement d’un gouvernement (sens étroit) mais aussi le notion plus globale d’histoire et d’identité propres à la cité.

Malgré un caractère parfois radical et des aspects franchement irréalistes (choix des gardiens, leurs règles de vie et leur communauté), le projet de constitution élaboré dans la République est un projet réformateur dans le contexte historique de l’époque (comparaison avec la genèse de la cité politique dans un premier temps puis avec la succession de ses formes dégénérées).

Penser la Politeia, c’est donc mesurer, avec les instruments de la philosophie, l’écart qui sépare toute constitution historique d’un modèle de justice idéale (philosophe-roi = pour vaincre les troubles de l’histoire politique, il faut donner la responsabilité ultime à la raison, donc aux philosophes).

S’agit-il d’une utopie ?
Cette proposition du philosophe-roi est-elle un programme politique que Platon considérait de manière réaliste ?

Son projet réformateur  se fonde sur la saisie d’une essence réelle de la justice dans la cité (vision naturaliste de la constitution politique, saisie comme « Politeia transcendante », par opposition à une vision relativiste des sophistes qui fondent la loi uniquement sur les conventions humaines et sociales).

Avec l’ébranlement de la société du Ve siècle, on peut concevoir la philosophie de Platon comme un renversement de la conception « classique » de l’ordre politique : Ce n’est plus ce dernier qui transmet sa structure à une recherche philosophique incertaine, mais un discours politique fissuré par l’expérience qui cherche à se rassurer métaphysiquement

Platon tentera d’appliquer ses idées politiques à plusieurs reprises (à Syracuse 388-366). Après les échecs, il revient à l’enseignement de la philosophie. Mais pour lui, cette dernière n’est pas un substitut de l’action politique, mais son paradigme.

De même, à l’intérieur du discours philosophique, la métaphysique n’est pas le substitut du discours politique ou législatif, mais son fondement.

Il n’ y a pas une société politique corrompue et une activité philosophique réservée aux purs, mais une société historique, faible copie de la société idéale, dont la philosophie cherche le modèle pour l’établir.

Il y a deux aspects distincts de l’utopie platonicienne :

  • Une idéalité spéculative :
    Modèle d’une cité gouvernée selon les impératifs d’une théorie de la justice qui accorde le pouvoir aux philosophes. Ce modèle est fondé sur une psychopolitique complexe dans laquelle trois classes (gouvernants, guerriers, producteurs) sont animés des mêmes vertus (sagesse, courage, modération) que les trois parties de l’âme.
  • Une association de cette idéalité au déroulement de l’histoire :
    Platon n’a pas fait de cette cité idéale un non-lieu, un lieu purement transcendant, mais a eu l’audace de l’associer à un ancrage historique (Cf. existence d’un
    cycle éternel de la justice).

S’agit-il d’un projet totalitaire ?

Il existe un débat très nourri qui s’est cristallisé à partir de l’œuvre référence de la pensée libérale de Karl Popper. Pour lui l’autorité de la raison légitime :

  • l’auto perpétuation du système par l’éducation et  l’eugénisme.
  • Le contrôle des mariages et des naissances
  • La censure de l’art et de la littérature
  • La propagande du noble mensonge
  • La formation d’une élite réfractaire à tout changement

Il critique la philosophie politique de Platon, opposée selon lui  aux trois fondamentaux de la pensée humaniste et libérale :

  • L’égalitarisme ( élimination des privilèges de nature)
  • L’individualisme ( priorité des droits individuels)
  • Le libéralisme ( rôle de l’Etat limité)

Il faut cependant nuancer : si la cité idéale platonicienne est un modèle de vertu, la réalisation concrète, mis à part le choix et la formation des gardiens, est laissé en suspens.

La cité de la République est une cité idéale, paradigmatique. Pour avoir une idée plus précise, il faut ajouter à la République, une analyse du Politique (l’art de gouverner) et des Lois (appareil de législation et de coercition). La cité de Platon se distingue alors du projet de Socrate.

Ce dernier souhaitait une réforme morale des individus et pensait  une cité formée d’individus libres et parfaits. Platon croit que seule une cité politique contraignante peut parfaire la nature humaine.

V. Justice de la cité, justice de l’âme.

L’interprétation politique et historique de la République repose sur son projet métaphysique fondamental : le justice de l’âme. Il s’agit du concept de Dikaiosune =  concept ouvert qui désigne :

  • la justice comme droiture dans les choix de la vie
  • l’équité et l’égalité dans le système des droits et la répartition sociale de la richesse

Ce concept s’oppose à la Pleonexia , au désir individuel du gain (source principale de l’immoralité pour Platon).

Platon opère une analogie entre les tripartitions de l’âme (raison / ardeur moral / désir) et de la cité (dirigeants, auxiliaires, producteurs). Il existe deux positions :

  • La tripartition de l’âme est une structure métaphysique artificielle, conçue pour se calquer arbitrairement sur une tripartition de la cité possédant un fondement historique avéré.
  • Cette structure métaphysique platonicienne est primitive. Sa symétrie fonctionnelle avec la tripartition de la cité ne correspond à aucune position heuristique démontrable.

Deux arguments appuient cependant l’idée que la justice n’est pas qu’une pure moralité :

  • l’importance politique du conflit, au cœur même de l’argument
  • la nécessité d’un ordre politique pour réaliser la vertu (subordination de la moralité  à la justice de la cité).

Dernière question : si l’âme est tripartite, possède-t-elle un principe d’unité qui transcende ses trois parties ? La réponse est d’abord politique chez Platon : de même que la cité ne possède pas de principe externe, l’âme est unifiée par elle même, dans le principe interne de la justice.

A travers une analyse des vertus constitutives, on s’aperçoit effectivement que la justice n’est pas perçue comme vertu de la distribution ou de l’égalité, mais bien comme une pure harmonie politique (et donc exclusivement comme la vertu des gouvernants).

Mais le modèle auquel parvient la République ne serait qu’une proportion toute formelle s’il devait se réduire à une pure harmonie. Cette harmonie des fonctions n’est en réalité que la représentation d’une domination de la raison, à laquelle correspond dans la cité le gouvernement de philosophes-rois.

La justice de l’âme individuelle et de la cité consiste donc, à travers la figure de la tripartition fonctionnelle, à réaliser le reflet d’une tripartition ontologique plus haute, le bien, les formes, l’histoire.

D’où la dépendance de la justice à une ordre plus profond, métaphysique et religieux, où apparaît la suprématie de l’éternel sur ce qui passe, du modèle sur le reflet historique. Seule la classe dirigeante des philosophes, qui établit des liens avec les formes intelligibles, doit dominer. Contrairement à Périclès, Platon ne donne au peuple ni le pouvoir de faire les lois, ni le pouvoir de les juger.

De nombreuses questions se posent à la lecture de la République :

  • La spécialisation des tâches produit-elle une cité qui n’est plus qu’un seul organisme, ruinant la liberté individuelle ?
  • Peut-elle venir à bout de la résistance des classes inférieures ?
  • Une éducation réservée à une élite ne condamne-t-elle pas à l’usage de la coercition pour régler le corps social ?
  • La domination des rois-philosophes, fondée sur un savoir réservé, n’en fait-elle pas des experts qui se privent de l’expérience des autres ?

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