Confinement, un Journal | Jour 53 : Tofu Roi [La fin]

A l’aube du déconfinement se tient le procès de Tofu ManulSohn, accusé d’un nombre de charges impressionnantes pour un seul animal. 

Malheureusement, l’affaire se déroule fort mal, Henriette, l’avocat de Tofu, est destituée pour délit d’initiés ; c’est le méconnu Benvenuto qui se présente alors pour assurer la défense.

Mais tout part en cacahuète quand Lemmy le procureur apprend que ce dernier est son demi-frère. S’ensuit un combat fratricide sur le point de faire s’effondrer l’Amazing Bicoque, ainsi que l’aimable Juge-Jal.

Mais une voix profonde venue de l’étage arrête les hostilités. Tofu, qui n’avait que vaguement maugréé quelques “mrous” depuis deux mois, vient de se réveiller.

Nous nous tenons debout en bas, la tête levée par cet animal qui, pour nous, dans ses meilleurs moments, était considéré comme lunaire.

Il nous domine de sa hauteur, qui lui donne une posture charismatique, et commence à parler. Le discours de Tofu Roi : »Les mots me manquent, mes amis…”

Tofu ménage son effet en marquant un silence. C’est au moment où quelqu’un s’apprête à dire quelque chose qu’il reprend: 

“Lorsque nous sommes entrés dans cette terrible crise, c’était avec les meilleures intentions : créer une République Démocratique, faire de nouvelles rencontres, prendre enfin le temps, faire du lien. Et pourtant… Pourtant, j’aimerais crier aujourd’hui ! Durant cinquante jours, je suis resté muet, pour vous saltimbanques ; tout ce temps vécu, la gorge nouée. 

Et lorsque je vois dans vos regards des jugements, dans vos actes des querelles, alors j’ai beau tenter, rien ne perce plus mon âme que de constater ces errements. Depuis mes lèvres closes, que pouvais-je faire ? 

Mais j’avoue, je confesse : ces doutes qui se sont instillés en moi ont réussi peu à peu à saper ma foi en la République Démocratique de l’Amazing Bicoque. Qu’avons-nous constaté en deux mois ? Une chasse aux sorcières, contre de jeunes entrepreneuses accusées de fournir des denrées rares à un population précaire, la mise en avant de récits prophétiques qui s’apparentent aux fake news les plus sordides, la montée du populisme avec un procès qui n’en a que le nom, celle de notre souverain, qui ne doit son titre qu’à [la faveur de ] sa condition humaine et au monopole que celle-ci lui permet d’exercer sur les croquettes. Alors oui : à l’intérieur j’explose, notre démocratie a échoué. Voilà, il m’en faudrait du courage pour venir enfin vous parler, pour affronter vos yeux, et finalement prendre la place de choix, celle de moi, votre Roi.”

Stupéfaction dans le jardin. Et puis, ça monte, ça monte, jusqu’à ce que tout le monde se mette à rire. Sacré Tofu, on ne l’entend pas durant tout ce journal, et quand il se décide, c’est pour tenter ce putsch ridicule. Jal, condescendant, lui lance : 

“Oh, mon petit coeur de chat, tu disjonctes à pleins tubes. Allez viens, descends, c’est déjà bien d’avoir pu arrêter les combats. Nous allons reprendre la table ronde et écouter reprendre tout ça”

Mais Tofu ne mange pas de cette croquette là.

“Pour affronter tes yeux moqueurs, parrain, je ne le crains point. Ton système à échouer, il nous faut une gouvernance forte, et au service de ses citoyens.
– Allez descends, Tofu mon garçon, sois sage.

– Mais est-on jamais sage quand on a le pouvoir de changer les choses ?

– Bon, Tofu, maintenant tu vas m’expliquer ce qu’il se passe ?”

Le chat, si fier il y a encore quelques secondes semble tout à coup perdre de sa superbe. Il marmonne quelques mots inaudibles du rez-de-chaussée 

“On entend rien !

– Je disais que c’est pas évident de gérer tout ce stress, de se faire remarquer alors que l’on est considéré comme un imbécile par la Terre entière, quand…”

Il s’arrête, les yeux baissés.

“Quand, quoi, bordel ?
– Quand on est amoureux.”

***

Nous voici maintenant à l’aube du déconfinement.  L’Amazing Bicoque a retrouvé la paix qui lui sied si bien. Tout est calme.

Gros Chat Gris est posé sur son coussin rouge, profitant du soleil en lisant Frédéric Lordon. Dans son enclos, Lemmy le lapin nain écrit une lettre à son frère Benvenuto avec lequel il tient donc une correspondance fournie sur les sujets qui les passionnent tous deux : destruction contrôlée, meilleures techniques d’attaque de mollets humains, littérature nihiliste…

J’ai reçu des nouvelles de Freya qui attendait le déconfinement pour s’inscrire à la fac ; son père, Mullervater, semble avoir pris de bonnes résolutions, il se serait même acheté un pantalon. Son colocataire, Coco, vit d’amour et d’eau fraîche avec le coq Henriette. Il paraît même que nous devrions entendre parler bientôt d’un heureux événement.

Et si Tofu est devenu roi de quelque chose, c’est bien du coeur de la jeune Praline qui s’est laissée attendrir par son côté doux benêt honnête. Il se dit même que son père se serait organisé pour un repas familial.

Bien des aventures se sont déroulées dans cette petite maison perdue au fin fond d’une impasse lyonnaise. Pour ma part, c’est avec une petite émotion que j’écris ces dernières lignes. Je pense évidemment au turbulent Nesquik, disparu pendant ce confinement. 

Ce journal lui est dédié.

Remerciements :

Avant toute chose, je souhaite remercier ma précieuse amie, Anne, pour s’être farcie quasi 50 jours de corrections et relectures quotidiennes. Sans elle, cet « exercide d’écriture » n’aurait pas eu sa valeur d’apprentissage.

Merci à Manul, Mullervater, Coco et Yves Cochet d’avoir accepté d’apparaître dans cette histoire sous des traits quelque peu forcés, ou bien pas.

Merci à toutes les personnes qui ont lu ces textes grandements improvisés mais reposant sur des petits êtres bien existant, quant à eux.

Bon déconfinement à toutes et à tous, prenez soin de vous et des êtres que vous aimez, qu’ils soient à deux ou à quatre pattes (ou plus, pourquoi pas).

Poute un jour, Poute-poute toujours.


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