Confinement, un Journal | Jour 2 : Naissance d’une Nation

Assise autour de la table du jardin, notre petite famille prend enfin le temps de se réunir pour établir un plan de bataille. 

Ces dernières vingt-quatre heures m’ont rendu vigilant sur la nécessité d’établir au plus vite une communication horizontale au sein de notre groupe divisé de nature. Afin d’assurer leur présence, les enfants installés autour de la table font bombance après une mission petites courses réussie tôt dans la matinée.

A ma droite se tient Nesquik, confortablement installé sur un nid de ses légumes préférés : à ma gauche, Tofu mâche à sa manière toute bruyante son bol de croquettes de qualité ; et en face, l’inflexible Lemmy qui, bien que tout à sa carotte, me toise de ce regard que je lui connais bien. Le lapin nain va me compliquer la vie.

Ainsi assemblée faite, je décide de rentrer doucement dans les discussions en donnant des nouvelles extérieures :

“J’ai eu un peu plus tôt Benvenuto au téléphone, sachez qu’il va bien.”

Aucune réaction autour de la table. Si l’existence du terrible chat, posté quelque rues plus loin, leur est connue, ils n’en ont jamais eu que de lointains échos. Mes espoirs de toucher la fibre familiale augurent une discussion aussi lourde qu’un cochon d’Inde laissé une journée dans un champ de carottes. Tant pis, je dois aller dans le vif du sujet.

Benvenuto dit Bénou dans une de ses poses fameuses.

“Très bien, commençons par toi, Tofu. Je pense qu’il va falloir réduire tes allées et venues dans le jardin et dans l’impasse… Apparemment, tu pourrais possiblement balader le virus sur tes poils, et comme tu te fais câliner comme si tu tenais un camion à Perrache…”

Lemmy pouffe. Comme toujours, ça lui va bien si c’est le chat qui ramasse. Mais ce n’est pas le moment de se laisser déborder. Je tape du poing sur la table. Celle-ci manque de se dissoudre immédiatement : elle était déjà vieille il y a quatre ans quand j’ai emménagé, là elle est clairement en fin de vie.

“L’affaire est sérieuse, bon sang !”

Je vois passer rapidement la tête curieuse de mes voisins de l’autre côté du jardin. Cette assemblée extraordinaire autogérée non-mixte doit d’une certaine manière les épater. Sans dire un mot, leurs têtes disparaissent et ils ferment la porte lentement derrière eux.

Je continue sur l’affaire Tofu : 

“Du coup, j’ai décidé de prendre des décisions drastiques et responsables : tu auras quelques heures de sortie autorisée, et je te collerai ton attestation sur le dos. Si un voisin te trouve en dehors de ces heures, il aura toute latitude pour te botter les fesses. Finis les câlins !”

Tofu me lance un regard incompréhensible – je sens qu’il va miauler quelque chose… – et vomit ses croquette sur la table.

*Ajournement de la séance pour nettoyage*

Au retour, l’ambiance est agitée. Les enfants ont senti que cette réunion n’allait pas être que bonnes nouvelles ? Je prends mon ordre du jour en main et dirige maintenant mon regard vers Nesquik.

“Ma petite patate, pour ta demande, je me suis renseigné en appelant la Préfecture ce matin, et… ça va être compliqué d’y accéder.”

Le cochon d’Inde me fixe de son oeil rond et placide, tout en continuant à mâcher lentement.

“Oui, je comprends… mais écoute, la situation est grave et…”

Nesquik s’agite en faisant un quart de cercle puis en se grattant l’oreille de sa patte arrière. 

“Nesquik, je ne peux pas t’acheter une cochon d’indette, je sais que tu es un animal grégaire et que ce serait illégal en Suisse de te maintenir isolé, mais toutes les animaleries sont fermées. Elles ne sont pas considérées comme essentielles.”

L’animal tout en chaleur printanière a compris, il me lance un regard et me fait une réponse laconique : “Poute”. 

L’affaire est close, je respire un peu mieux.

Mais je sais que j’ai plus ou moins consciemment gardé le plus dur pour la fin. Lemmy, les oreilles grand levées, le regard fier, est un digne héritier de sa mère : un Communiste de la pire espèce. 

“Lemmy, depuis le début de la pandémie, ton comportement ne fait que compliquer les choses à l’Amazing Bicoque. Tu ne fais que…”

Lemmy tape du pied. L’ultra-gauchiste veut m’avoir via la reconfiguration d’une communication interpersonnelle non-violente. Mais à ce jeu, j’ai pas mal de cordes à mon arc. Je reprends en une fraction de seconde : 

“Pardon, je ressens que tu n’es pas très assidu quant aux règles du vivre ensemble et que cela pénalise à la fois les efforts et les biens communs”.

Bam ! Prends ça dans ta face, le coco. 

Lemmy s’est maintenant totalement désintéressé de sa carotte et a décidé de jouer au jeu du regard : ni l’un ni l’autre ne baissons les yeux. 

Du coin de l’oeil, je vois mes voisins sortir de chez eux et traverser le jardin sans un mot. Je suppose qu’ils comprennent les graves tensions qui sont en jeu, le lapin et moi-même nous fixant chacun posé à un coin de la table, en silence, depuis maintenant cinq bonnes minutes. 

Sans lâcher Lemmy du regard, je continue :

“Je souhaiterais à tous vous faire une proposition. Proposer quelque chose pour nous ressouder autour de la crise que nous traversons, retrouver cet élan qui nous rassemble malgré les divisions inter-espèces, et nous faire croire qu’il y a du bon dans ce monde, M. Frodon.”

Bien que j’imagine que leur esprit va se tourner comme toujours vers une possible augmentation des rations quotidiennes, je lance la bombe :

“Je propose que chaque soir à 20h, nous applaudissions de nos enclos, cages et fenêtres, le personnel hospitalier qui se dévoue jour et nuit pour sauver des vies,et que nous mettions des lumignons aux fenêtres pour revenir aux vraies traditions lyonnaises”. 

Je retiens mon souffle. 

“Qu’en dîtes-vous ?
– Poute.
– Bon, ok, j’augmente les rations quotidiennes”.

Ainsi se déroula le premier comité de la République Démocratique de l’Amazing Bicoque.

Au loin, entre deux fougères, le regard concentré, un curieux non-invité à cette entrevue, épiait.

A suivre – Jour 3 : Le derrière des fougères !


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