Confinement, un Journal | Jour 3 : Derrière les fougères

Depuis la nuit des temps, Il était là. 

Au commencement fut la fougère. La fougère se multiplia pour recouvrir les terres et rejoindre les hautes futaies. Des futaies naquit l’ombre protectrice où Il grandit, préservé du feu ardent du ciel, tout comme de ses larmes traîtresses. 

Son existence était genèse.

De ses premiers jours au milieu des fougères, nul témoin aujourd’hui n’est présent pour narrer les saisons, les pluies, les bains de soleil. Le passage des autres ressemblait à l’ombre de l’Arbre disparaissant sous un nuage. Roi en ces lieux, il est partout, il serait toujours. 

Son existence était croissance.

Chaque jour, l’écuelle argentée lui offrait son tribut, les humains disciplinés veillaient à pourvoir à ses besoins, et c’était bien. 

Son existence était abondance.

La saison chaude, Il avait toujours su déjouer les intrusions. Gardien sans faille, nul n’avait réussi à traverser ses lignes… ou bien l’avait payé au prix fort. 

Son existence fut contrôle.

Plus âgé, auréolé d’une stature physique tout en embonpoint digne des Dieux, Il pouvait regarder ces derniers dans les yeux et leur dire dans un souffle : “Miaou”.

Son existence était paradis.

Ce paradis fut ébranlé une chaude journée de juillet.

Quatre saisons de pluie sont passées depuis que ces curieux ont pris place sur le territoire sacré. Ceux-là avaient apporté de nouvelles sorcelleries. Il s’interrogea : 

L’Univers se parait-il donc d’autres formes de vie ? Si oui, étaient-elles donc tout aussi noble que la sienne ? Alors pourquoi ? Pourquoi ? Sérieusement ? 

Une patate à poils.

L’être, laissé dans son enclos au milieu des fougères, bien que doué de vie, ne bougeait peu. Parfois, il lançait des cris aigus – incantation magique faisant apparaître des légumes sur le champ. Un gourmand.

Il passa sa première journée à l’observer. Est-ce que cela se mangeait ? Il avait parfois chassé, mais l’écuelle était pleine, donc pas trop besoin de se prendre la tête.

L’être était trop petit pour un combat à la loyale, et trop gros pour être confiant quant à sa comestibilité.

A la fin de cette ennuyeuse journée d’observation, Il en prit son parti et décida que tant que la patate resterait confinée dans son enclos, ils vivraient de manière cordiale : “Bonjour monsieur”, “On dirait qu’il va tomber de l’eau du ciel aujourd’hui”, “Au revoir monsieur”, “Poute”…

Les choses ne s’en tinrent malheureusement pas là. 

Peu de temps après apparut un adversaire identifiable, le type qu’Il avait coutume de chasser dès qu’il pénétrait sur son territoire… ses fougères… Le combat sera cette fois acharné !

Quelle ne fut pas sa déception quand il vit l’intrus se carapater ?

De plus en poussant des miaulements aigus ridicules, avant d’aller se dissimuler derrière le muret. 

Il resta coi face à ce singulier auquel faisaient défaut les actions les plus basiques : se regarder longtemps en chat de faïence sans bouger, gronder pendant deux heures, se rapprocher, stopper pour un moment léchouille des parties pour faire style ‘ça va j’m’en fous t’as vu’, avant de se mettre trois pauvres coups de pattes pour qu’enfin chacun reparte dans son sens. Le nouveau avait jeté une tradition millénaire par dessus le museau.

Ne trouvant aucun challenge digne de Lui, Il décida de faire comme si l’autre n’existait pas. 

Peut-être l’âge me rend plus sage, se dit-il, en se tortillant le dos dans la terre avant d’aller dormir sur le canapé.

Une après-midi, il vit soudain détaler le fameux neuneu hors de sa maison. Si le comportement de ce qui avait failli être sa némésis lui en touchait dorénavant une sans faire bouger l’autre, ce qui suivit le laissa pantois. 

Une forme noire fila derrière lui à toute vitesse. Il crut un tout d’abord qu’un nouveau challenger félin venait d’entrer dans le jeu. Plus petit, il possédait une foulée bondissante impressionnante. 

Il comprit son erreur quand l’autre s’arrêta au pied du muret, l’autre étant monté s’y réfugier.

Il put alors détailler l’apparition. L’oeil aux aguets, de grandes oreilles toutes droites dressées, le nez en constant mouvement, du type tachychardiaque.

Instinctivement, Il s’était déjà relevé et tassé dans une position attaco-défensive. Ce seul mouvement suffit à ce que l’autre le repère. S’attendant à accomplir le rituel, quelle ne fut pas surprise de voir son adversaire débouler sans sommation, droit sur lui, tête en avant. Il eut tout juste le temps de se réfugier en hauteur sur le rebord de fenêtre.

Resté en bas, l’animal, complètement timbré, fit quelques bonds au-dessous avant de se désintéresser de lui pour commencer à mâchonner un brin de pissenlit.

Avant qu’il n’ait pu échafauder un plan de contre-attaque non proportionnée, leur gardien à casquette sortit en trombe de sa maison pour se mettre à courir après le monstre. Cela dura un bon bout de temps avant qu’il n’arrive à enfin l’acculer à l’intérieur et refermer la porte derrière lui.

Son existence était devenue un sacré bordel.

Depuis ces jours, caché derrière les fougères, il épie. A chaque heure, il apprend et se prépare à regagner son territoire. 

Ils sont tous les quatre en réunion, ils fixent les règles, c’est le moment d’être attentif. 

L’homme à la casquette se retourne, l’aperçoit. 

“Ah tiens, y’a Gros Chat Gris”.

A suivre – Jour 4 : Résistance Secondaire !


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