La Lettre à Jal

Un site web et un être humain

Sons et musiques libres de droits pour vos courts-métrages

Retrouvez-ci dessous des bruits et musiques libres de droit pour vos créations.

Pour l’écouter : cliquer simplement sur le titre.

Pour le télécharger : clic droit + enregistrer sous…

Lien Description Poids Durée
Tel1 Des « bips » de touches de téléphone 472 Ko 5 s
Tel2 Des « bips » différents de touches de téléphone (assez mauvais) 359 Ko 4 s
Demmoteur Un moteur de voiture qui démarre 643 Ko 7 s
Acceleration1 Une accélération de voiture 263 Ko 3 s
Acceleration2 Une double accélération de voiture 666 Ko 7 s
marteau Un bruitage de marteau qui tape contre une pierre 1,12 Mo 12 s
perceuse Bruitage de perceuse 1,07 Mo 12 s
porte Une porte qui claque 98 Ko – 1 s
scie Un bruitage de scie à bois 4,62 Mo 54 s
souffle1 Un bruit de « souffle », comme un mouvement rapide 32 Ko – 1 s
souffle2 Un autre bruit de « souffle » 58,5 Ko – 1 s
soufflerie Un bruit de soufflerie (deshumidificateur) 5,39 Mo 1 mn 04 s
bossanova Un rythme enregistré d’un vieil orgue électrique 4,32 Mo 51 s
disco Un autre rythme disco 4,10 Mo 48 s
march Un rythme « march » 4,04 Mo 48 s
samba Un rythme de samba 4,35 Mo 51 s
slowrock Un rythme « slow rock » 4,15 Mo 49 s
swing Un rythme « swing » 5,12 Mo 1 mn
tango Un rythme de tango 4,11 Mo 48 s
waltz Un rythme « waltz » 4,53 Mo 53 s
applaudissements1 Un bruitage d’applaudissements 555 Ko 6 s
applaudissements2 Un autre bruitage d’applaudissements 1,74 Mo 20 s
cartes Un bruitage de distribution de cartes 589 Ko 6 s
dd Un disque dur qui démarre (attention le volume est bas) 1,22 Mo 14 s
exterieur Une ambiance de campagne (oiseaux, cigales…) 5,09 Mo 1 mn
guitare1 Une musique à la guitare 3,48 Mo 41 s
guitare2 Une autre musique à la guitare 2,67 Mo 31 s
pacman La musique originale d’un jeu de pacman 3,09 Mo 36 s
russe Une musique de vieille boite à musique russe 3,71 Mo 44 s
tetris La musique originale de tetris 5,14 Mo 1 mn 01 s
photo Un bruit de déclencheur d’appareil photo 39 Ko – 1 s
bulles Un bruitage de bulle dans l’eau 1,09 Mo 12 s
respiration Un bruitage de respiration style Dark Vador 1,72 Mo 20 s
susp Un bruit de suspensions pneumatiques 102 Ko 1 s
scotch Un bruit de stoch qu’on arrahce brusquement 35 Ko – 1 s
Tel Un téléphone qui compose le numéro 193 Ko 2 s
Scratch2 Un bruitage de scratch de DJ 820 Ko 9 s
Scratch1 Un bruitage de scratch de DJ 560 Ko 6 s
Ronfl Des ronflements 1,09 Mo 12 s
K7 Une cassette qui rembobine 686 Ko 7 s
Hibou Un bruitage de hibou 428 Ko 4 s
Guitare Quelques notes de guitare 522 Ko 6 s
Fusil Un coup de fusil 39 Ko – 1 s
Clés Bruitage de clés 249 Ko 2 s
Charger Un pistolet qu’on charge 50 Ko – 1 s
Oriental Une musique au piano un peu orientale… 561 Ko 6 s
Pluie Un bruitage de pluie qui tombe 1,16 Mo 13 s
Ruisseau Un bruit de ruisseau qui s’écoule 1,84 Mo 21 s
Moto1 Un bruitage de moto sur la route 1,36 Mo 16 s
Moto2 Un bruitage de moto qui accélère 188 Ko 2 s
Moto3 Un bruitage de moto qui démarre 588 Ko 6 s
Moustik Un bruit de moustique 403 Ko 4 s
Scratch Bruit de scratche 55 Ko – 1 s
Splash Un bruit de bombe à eau 70,5 Ko – 1 s
Splash2 Un autre bruit de bombe à eau 56 Ko – 1 s
Blues Musique au piano de blues 2,12 Mo 25 s
Blues2 Musique au piano de blues plus rythmée 1,03 Mo 13 s
Dechirement Une feuille qu’on déchire 70 Ko – 1 s
DingX3 Un bruit de sonnette 229 Ko 2 s
Froissement Une feuille qu’on froisse 152 Ko 1 s
Metronome80 Le bruit d’un métronome 737 Ko 8 s
Molard Le bruit d’un bon gros mollard 117 Ko 1 s
Riredebile Un rire de débile 167 Ko 1 s
Siffle1 Un sifflement admiratif 117 Ko 1 s
Siffle2 Un sifflement plus court 27 Ko – 1 s
Toux Un bruit de toux 198 Ko 2 s
Valse Musique au piano de valse 1,15 Mo 13 s
Cle Bruit de clé qui tourne 45,2 Ko – 1 s
Chassedeau Bruit de chasse d’eau aux toilettes 409 Ko 4 s
Verre Bruit de verre qu’on remplit d’eau 438 Ko 5 s
Pet1 Un bruitage de pet 79 Ko – 1 s
Pet2 Un bruitage de pet 138 Ko 1 s
Pet3 Un bruitage de pet 76 Ko – 1 s
Toctoc Des coups frappés à une porte 125 Ko 1 s
Tictac Les tic-tac d’une horloge 907 Ko 10 s
Drone Un petit drone qui actionne son mécanisme 1,27 Mo 15 s
Aerosol Un « pshiit » d’aérosol ou bombe à tags, etc… 152 Ko 1 s
Alarme Une alarme qui sonne 885 Ko 10 s
Aspiro Le bruit d’un aspirateur 1,19 Mo 14 s
Baffe Un bruitage de baffe 37 Ko – 1 s
Bipbip Des « bip » 620 Ko 6 s
Radio Une radio qui ne marche pas 1,06 Mo 12 s
Ressort Un bruitage de ressort 77,5 Ko – 1 s
Clavier Quelqu’un qui tape sur un clavier d’ordinateur 639 Ko 7 s
Pipi Un bruitage de gars qui pisse 287 Ko 3 s

Lectures 2021 | Bilan exhaustif et classement

Le meilleur moment dans la vie d’un libraire, fut-ce t-il brièvement mercenaire, est certainement la compilation annuelle de ses lectures et la possibilité cathartique de les classer via une notation en cochon d’Inde.

ESSAIS & NON-FICTION :

Etoiles Rouges : la littérature de science-fiction soviétique, de Patrice et Victoriya Lajoye. Piranha éditions, 2017.

L’ouvrage de référence pour traverser à la fois l’histoire du bloc soviétique au  prisme de la littérature de science-fiction.

Plus qu’une simple histoire littéraire abondamment illustrée, Étoiles rouges est le guide de lecture idéal pour des navigations stellaires par delà l’Oural.

 

Il est difficile d’être un Dieu, d’Arkadi et Boris Strougatski et Alexeï Guerman : Le scénario interdit, de Eugénie Zvonkine. Editions L’Harmattan, 2019.

Découvrir le film Il est difficile d’être un Dieu est une expérience unique qui ne peut laisser insensible. 
Si vous vous êtes dit comme moi après avoir lu livre : « Oh, il existe une adaptation, ça doit être sympa », vous savez donc que c’est un un pan  de votre innocence cinématographique qui a reçu un bon coup.
Seul remède : cet essai savant et passionant qui revient sur la conception d’un demi-siècle de l’OFNI.

Ishiro Honda : humanisme monstre, de Fabien Mauro. éditions Rouge Profond, 2018.

Comme il est de coutume de dire dans le pays : Fabien Mauro, c’est le meilleur.
Premier ouvrage français consacré au maître japonais, dont la vie et son travail au service du septième art sont minutieusement restitués, ce volume comprenant plus de quatre cents illustrations se clôt sur plusieurs entretiens réalisés avec d’anciens collaborateurs du cinéaste.

Je suis une fille sans histoire
D’Alice Zeniter. Editions L’Arche, 2021.

Moi quand on déconstruit les trucs, je suis généralement content.
Quelle place accorde-t-on dans les histoires aux personnages féminins et à la représentation de leur corps ? Alice Zeniter déconstruit le modèle du héros et révèle la manière dont on façonne les grands récits depuis l’Antiquité. De la littérature au discours politique, elle nous raconte avec humour et lucidité les rouages de la fabrique des histoires et le pouvoir de la fiction.

Kaiju, Envahisseurs & Apocalypse, de Fabien Mauro. Aardvark éditions, 2020.

Fabien Mauro, immuable.
Pour la première fois en France, Kaiju, Envahisseurs & Apocalypse se propose de raconter une histoire du cinéma de science-fiction japonais, de l’âge d’or des studios au milieu du XXe siècle à leur déclin dans les années 1970, e tout illustré avec plus de 700 affiches et documents rassemblés pour l’occasion.

L’oeuvre des Wachowski : la matrice d’un art social, de Julien Pavageau, Aurélien Noyer et Yoan Orszulik. Third Editions, 2021.

Je l’ai attendu longtemps celui-là et, comme prévu, je n’ai pas été déçu.
Si elles se refusent toujours à expliciter le sens de leurs films, les Wachowski hésitent moins à exposer leur conception du cinéma. Selon elles, il est à la fois un art esthétique, c’est-à-dire qui tire son sens non seulement de ce qu’il représente mais surtout de comment il le représente, et un art social, produit d’une collaboration d’artistes destiné à avoir un impact sur l’ensemble du public.

Manuel indocile de sciences sociales
Collectif. Fondation Copernic, 2019.

Ce manuel indocile fourmille d’exemples issus des sciences sociales – l’histoire, l’économie, l’ethnologie, la sociologie, les sciences politiques, etc. Et montre comment l’ordre du monde que l’histoire a produit, notre histoire peut le défaire.
Plus de 100 contributeurs : des sociologues, des économistes, des politistes, des historiens, des professeurs de lycée, des acteurs du mouvement social.
Et plus de 100 sujets abordés, qui questionnent les « vérités » toutes faites, en montrant qui les produit, comment et pourquoi.

Réinventer l'amour

Réinventer l’amour : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles
De Mona Chollet. Éditions Zones, 2021.

Nombre de femmes et d’hommes qui cherchent l’épanouissement amoureux ensemble se retrouvent très démunis face au troisième protagoniste qui s’invite dans leur salon ou dans leur lit : le patriarcat.
Sur une question qui hante les féministes depuis des décennies et qui revient aujourd’hui au premier plan de leurs préoccupations, celle de l’amour hétérosexuel, ce livre propose une série d’éclairages.

  • L’entropie fatale, de Assa Auerbach. CNRS Editions, 2019.
  • Game of Thrones, une métaphysique des meurtres, de Marianne Chaillan. Le Passeur éditeur, 2016.
  • L’histoire de la Science-fiction en Bande-Dessinée
    Scénario : Xavier Dollo. Dessin : Djibril Morissette-Phan. Les Humanoïdes Associés, 2021.
  • Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, de Corinne Morel Darleux. Editions Libertalia, 2019.
  • Précis de décomposition, de Cioran. Editions Gallimard, 1966.










OEUVRES DE FICTION :

🐹🐹🐹🐹 : Fantastique.

Certes, si classement il y a, il ne s’agit pas ici de produire un podium en bonne et due forme. La preuve, les œuvres ci-dessous sont classés par ordre alphabétique.

Après, si vous souhaitez absolument connaître les ouvrages liés à l’actualité littéraire, je vous laisse regarder les dates savamment indiquées.

Littératures de l’imaginaire :


Evolution 1 & 2, de Stephen Baxter. Pocket SF, 2008.

Stephen Baxter gagne toujours des points avec moi. Mes goûts en terme de littérature de l’imaginaire ne manquant pas d’être fasciné par ce sense of wonder basé sur des données scientifiques.
D’où venons-nous ? Où allons-nous ? En descendant, branche après branche, l’arbre généalogique de l’humanité, les rencontres se succèdent avec nos ancêtres puis avec nos descendants, jusqu’à cinq cents millions d’années après notre ère.


Il est difficile d’être un dieu, de Arkadi et Boris Strougatski. Éditions Denoël, 2013

Ce n’est pas faute d’avoir bossé le sujet à fond lors de l’organisation du Soviet’SF Festival en mai dernier.

J’aimerais vous recommander l’adaptation cinématographique mais je risque de m’attirer d’inévitables foudres, c’est pas une blague.


Les chiens et la charrue, de Patrick K. Dewdney. Editions Au Diable Vauvert, 2021.

Ce troisième tome confirme la constance qualitative de l’auteur autant de par sa plume que dans la description de son univers faite de petites histoires dans la grande Histoire. 

Véritable pépite dans l’imaginaire fantasy française, comment ne pas se languir du quatrième tome à venir ?


L’île habitée, de Arkadi et Boris Strougatski. Éditions Denoël, 2013

Variation beaucoup plus nihiliste d’Il est difficile d’être un Dieu. Les Strougatski en très grande forme nous en mettent plein la vue tout en nous laissant sur le carreau à la fin de la lecture.
Si on entend actuellement le bruit des bottes commençaient à résonner au fond de nos rues, cette lecture en est au moins tout autant indispensable.


Une journée plus longue qu’un siècle, de Tchinguiz Aïtmatov. Éditions Messidor, 1982.

Le coup de coeur sorti de nulle part personnellement. Si le postulat sciencefictionnesque n’est qu’une parabole sur la communication, le récit offre avant tout une émotion et une réflexion politique incroyable.
La mort d’un vieil homme est l’occasion pour le héros du roman de se remémorer les événements survenus dans la petite gare de triage du désert de Kara-Ouzek où il s’est installé à son retour du front et qui sont l’écho des grands ébranlements du monde soviétique.

 


Melmoth furieux, de Sabrina Calvo. Éditions La Volte, 2021.

Quelle rodéo les ami·e·s !
Elle est née à l’Orée du bois, une cité réduite à néant par les bulldozers des médias et de la finance. Hantée par les ruines de son Eden foiré, elle a rejoint la commune solidaire à Belleville, où l’on s’organise et lutte en marge du système répressif.

Bandes Dessinées, Comics & Mangas :


La cosmologie du futur, de de Alessandro Pignocchi. Editions Steinkis, 2018.

Des mésanges punks qui se mêlent de politique, Des hommes politiques plus animistes que des Indiens d’Amazonie, Un anthropologue jivaro qui tente de sauver ce qui reste de la culture occidentale.
Voici quelques-uns des habitants de ce monde nouveau où le concept de « nature » a disparu, et où les plantes et les animaux sont considérés comme des partenaires sociaux ordinaires. 

Les temps mauvais, de Carlos Gimenez. Editions Fluide Glacial, 2013.

Dans les temps mauvais, Carlos Giménez aborde cette fois l’atroce guerre civile qui a préludé à la dictature de Franco, bouclant ainsi le cycle entamé avec Paracuellos.
Cette guerre il la montre du point de vue de ceux qui l’ont subie. C’est la vie quotidienne des civils qui tâchent de survivre aux bombardements, incendies, exécutions, privations et épidémies dans Madrid assiégée.

V pour Vendetta, de Alan Moore (Auteur), David Lloyd (Illustrations). Éditions Urban Comics, 2012.

1997, une Angleterre qui aurait pu exister. Dirigée par un gouvernement fasciste, le pays a sombré dans la paranoïa et la surveillance à outrance. Les « ennemis politiques » sont invariablement envoyés dans des camps et la terreur et l’apathie règnent en maître. Mais un homme a décidé de se dresser contre l’oppression. Dissimulé derrière un masque au sourire énigmatique, il répond au nom de V : V pour Vérité, V pour Valeurs. V pour Vendetta !

🐹🐹🐹 : J’aime beaucoup.

Voici donc la note qui divise… Pour certain·e·s, c’est l’équivalent de la deuxième place sur le podium : la pire ! Et bien détrompez-vous, ami·e·s visiteur/se/s de la Lettre à Jal ! Les œuvres citées ci-dessous se hissent parmi des lectures d’excellentes qualité, l’équivalent d’un 16 ou 18 sur 20 si le système de notation cochon d’indesque ne lui était pas infiniment supérieure. 

Littératures de l’imaginaire :​

  • Aelita, de Alexeï Tolstoï. Éditions Radouga, 1983.
  • Citadins de demain – Capitale du Nord, de Claire Duvivier. Editions Aux Forges de Vulcain, 2021.
  • Destin Boiteux, de Arkadi Strougatski et Boris Strougatski. Editions Hachette-Progrès, 1991.
  • L’Escargot sur la pente, de Arkadi Strougatski et Boris Strougatski. Editions Denoël, 2013.
  • Expiration, de Ted Chiang. Éditions Denoël, 2020.
  • Le Miroir d’Ambre, de Philip Pullman. Éditions Gallimard, 2000.
  • Le Mystère du tramway hanté, de P. Djèlí Clark. Editions l’Atalante, 2021.
  • Non-retour, d’Alexandre Kabakov. Christian Bourgois éditeur, 1990.
  • Nous, de Evegueni Zamiatine. Trad.: Hélène Henri. Éditions Actes Sud, 2017.
  • La Parabole du semeur, de Octavia E. Butler. Editions Au Diable Vauvert, 2018.
  • Plasma, de Céline Minard. Editions Payot-Rivages, 2021.
  • Un Pont sur la Brume, de Kij Johnson. Editions le Belial, 2016.
  • Ru, de Camille Leboulanger. Éditions L’Atalante, 2021.
  • Le Sang de la Cité, de Guillaume Chamanadjian. Éditions Aux Forges de Vulcain, 2021.
  • Sur la route d’Aldebaran, de Adrian Tchaikovsky. Editions Le Bélial, 2021.
  • Les Tambours du dieu noir, de P. Djèlí Clark. Editions l’Atalante, 2021.


































Littératures pas de l’imaginaire :

  • L’écart, de Amy Liptrot. Editions Pocket, 2019.
  • Évasion, de Benjamin Whitmer. Editions Gallmeister, 2018.
  • Michelin, matricule F276710, de Jean-Michel Frixon. Nombre 7 éditions, 2021.
  • Soixante-neuf tiroirs, de Goran Petrovic. Éditions Zulma, 2021. 








Bandes Dessinées, Comics & Mangas :

  • Aâma, de Frederik Peeters. Editions Gallimard, 2019.
  • Arkham Asylum, de Dave McKean et Grant Morrison. Editions Urban Comics, 1989.
  • Black Hole, de Charles Burns. Editions Delcourt, 2006.
  • Manteau de neige, Blankets, de Craig Thompson. Editions Casterman, 2004.
  • J’ai vu les soucoupes, de Sandrine Kerion. Editions La Boite A Bulles, 2021.
  • Jean Doux et le mystère de la disquette molle, de Philippe Valette. Editions Delcourt, 2018.
  • Les Indes fourbes, de Alain Ayroles et Juanjo Guarnido. Editions Delcourt, 2019.
  • Le Loup, de Jean-Marc Rochette. Casterman, 2019.
  • Petit traité d’écologie sauvage – Tome 1, de Alessandro Pignocchi. Editions Steinkis, 2018.


















🐹🐹 : Un bon moment.

On ne peut pas mieux décrire cette note que ce qui est déjà écrit ci-dessus : les deux cochons d’Inde c’est comme un couple de l’animal suscité dans la vie : c’est le plaisir simple, l’instant suspendu, la douce tiédeur du foin un soir d’été, le bout d’endive qui arrive au bon moment. Oui, voilà. Un bon moment.

Littératures de l’imaginaire :

  • Adar, de Collectif. Editions La Volte, 2016.
  • Au bal des absents, de Catherine Dufour. Editions Le Seuil, 2020.
  • L’arithmétique terrible de la misère, de Catherine Dufour. Editions le Belial, 2020.
  • La Chose, de John W. Campbell. Éditions Le Bélial, 2020.
  • A dos de crocodile, de Greg Egan. Editions Le Bélial, 2021.
  • Enfin la nuit, de Camille Leboulanger. Éditions L’Atalante, 2011.
  • L’Etoile rouge et L’Ingénieur Menni : romans utopiques, d’Alexandre Bogdanov. Editions Lausanne : L’Age d’homme, 1985.
  • La Fille aux Mains Magiques, de Nnedi Okorafor. Editions ActuSF, 2021.
  • Nouvelles de la mère patrie, de Dmitry Glukhovsky. Editions L’Atalante, 2021.
  • Phaena, l’effondrement d’un monde, de Alexandre Kazantsev. Éditions Radouga, 1987.
  • Les rêves qui nous restent, de Boris Quercia. Asphalte Editions, 2021.
  • Rêveur Zéro, d’Elisa Beiram. Editions l’Atalante, 2020.
  • Ring Shout, Cantique rituel, de P. Djèlí Clark. Éditions L’Atalante, 2021.
  • Toutes les saveurs, de Ken Kiu. Editions Le Bélial, 2021.
  • Vers les étoiles, de Mary Robinette Kowal. Editions Denoël, 2020.






























Littératures pas de l’imaginaire :

  • Anabase, de Bernard Amy et Jean-Marc Rochette . Éditions Le Tripode Attila, 2016. 
  • L’heure des fous, de Nicolas Lebel. Editions Hachette, 2013.
  • Le Gibier, de Nicolas Lebel. Editions Le Masque, 2021.
  • Les Falsificateurs, de Antoine Bello. Editions Folio, 2008.
  • L’Homme qui marchait sur la lune, de Howard McCord. Éditions Gallmeister, 2008.
  • Le jour des morts, de Nicolas Lebel. Editions Hachette, 2014.
  • Pas moins que lui, de Violaine Bérot. Editions Lunatique, 2013.
  • La Sanction, de Trevanian. Éditions Gallmeister, 2007.
  • Puzzle, de Franck Thilliez. Fleuve éditions, 2013.


















Bandes Dessinées, Comics & Mangas :

  • Les 5 Terres, de Patrick Wong, David Chauvel et Andoryss.. Editions Delcourt, 2019.
  • Batman, L’An zéro – 1re partie, de Scott Snyder et Greg Capullo. Urban Comics, 2014.
  • Kaiju n8 – Tome 1 et 2, de Matsumoto Naoya. Kazé éditions, 2021.
  • Mécanique Céleste, de Merwan. Editions Dargaud, 2019.
  • Petit guide pratique, ludique et illustré de l’Effondrement, de Émile Bertier et Yann Girard. Bandes détournées, 2019.
  • Supergod, de Warren Ellis. Éditions Milady Graphics, 2011.
  • Superman Red Son, de Millar Mark (Auteur), Johnson Dave (Illustrations), Plunkett Killian (Illustrations). Urban Comics, 2014.
















🐹 : Sympatoche.

Littératures de l’imaginaire :

  • Les Abysses, de Rivers Salomon. Editions Aux Forges de Vulcain, 2020.
  • Les Héritiers de Brisaine – La malédiction du bois d’ombres, de David Bry (Auteur), Noémie Chevalier (Illustrations). Editions Nathan, 2021.
  • The Expanse, Tome 2 : La guerre de Caliban, de James S.A. Corey. Éditions Acte Sud, 2016.

Bandes Dessinées, Comics & Mangas :

  • De cape et de crocs, Tome 1, de Jean-Luc Masbou et Alain Ayroles. Editions Delcourt, 1999.
  • Capitaine Capital, de Lindingre. Editions Les Requins Marteaux, 2012.
  • The End, de Zep. Editions Rue de Sèvres, 2018.
  • God Country, de Donny Cates et Geoff Shaw. Editions Urban Comics, 2017.
  • Hector Kanon – L’intégrale, d’Ivan Terlecki. Editions Fluide glacial, 2019.
  • Phil, une vie de Philip K. Dick, de Mauro Marchesi (Illustrations), Laurent Queyssi (Scenario). Editions 21 g, 2018.
  • Puzzle, de Mig. Ankama éditions, 2016.

Littérature pas de l’imaginaire :

  • Les anges s’habillent en caillera, de Rachid Santaki. Editions Points, 2012.
  • Elma, de Eva Björg Ægisdóttir. Editions de la Martinière, 2021.
  • Mala Vida, de Marc Fernandez. Editions Préludes, 2017.
  • Qaanaaq, de Mo Malo. Editions Points, 2019.
























GRILLE DE NOTATION EN COCHONS D’INDE :

🐹 : Ça se laisse lire. Sympatoche.
🐹🐹 : Un bon moment.
🐹🐹🐹 : J’aime beaucoup.
🐹🐹🐹🐹 : Fantastique.
🐹🐹🐹🐹🐹 : Coup de cœur de fifou.
🐰 : Relation compliquée mais intense.

Cobra Kaï est-elle la meilleure série de karaté au monde ?

En mai 2018, Youtube Originals diffusait Cobra Kaï, une série télévisée, suite directe du film Karaté Kid réalisé par John G. Avildsen en 1984, reprenant les deux acteurs antagonistes de l’époque. Et ce fut une agréable surprise qui va donc se prolonger avec la très attendue saison 3 diffusée sur Netflix ce 1er janvier 2021 (on en avait besoin).

Si, en première lecture, la série avait tout d’un énième projet vénal capitalisant sur la nostalgie des années 80, je gardais un bon souvenir des diffusions télé de mon enfance. Ma curiosité étant piquée, je regardais donc les deux premiers épisodes. Une heure plus tard, je prenais mon abonnement pour pouvoir découvrir la suite. Cobra Kaï est loin d’être parfaite, mais sacrément addictive..

Bassinant mon entourage depuis plus d’un an avec le show, le rachat et la diffusion massive offerte par Netflix l’a depuis popularisé.

Car oui : je kiffais déjà Cobra Kaï avant que ce soit cool. #HipsterJal

Mais qu’est-ce que cela raconte ?

Plus de trente ans après les événements du premier Karaté Kid, Johnny Lawrence (William Zabka), ex-bad guy du film, est un loser vivotant de petits boulots et picolant tant qu’il peut ; en face, Daniel LaRusso (Ralph Macchio), ex-good guy, est un aisé concessionnaire du coin vivant la parfaite vie bourgeoise avec sa famille. 

Un accident de voiture, un jeune latino harcelé au lycée, le fils de Johnny devenu délinquant et une envie de revanche sur la vie vont amener notre anti-héros à rouvrir le dojo mythique de Cobra Kaï. Or, Daniel Larusso ne l’entend pas de cette oreille. 

Les plaies non refermées de cette ancienne rivalité vont alors déteindre sur la nouvelle génération de karatékas en herbes.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

La série de films Karaté Kid fait partie des sagas emblématiques des années 80. Succès commercial en salle, les suites sont rapidement mis en chantier, et sortiront Karaté Kid 2 : le moment de vérité en 1986, puis Karaté Kid 3 en 1989, et enfin son pendant féminin : Miss Karaté Kid en 1994. De toutes ces productions, seul Noriyuki « Pat » Morita, intérprete de M. Miyagi, en sera le fil conducteur et le cœur de la saga.

A noter que je n’évoquerai pas ici la (réussie) version de 2010, celle-ci ne s’inscrivant pas dans la mythologie qui nous intéresse ici.

Si les films sont restés dans les mémoires de leurs contemporains, l’Histoire du cinéma les a rangé aux côtés de ces franchises légèrement datées de l’époque.

Sweep The Leg, Johnny !

Outre donc notre fameuse mode des 80’s, ce retour inattendu prend racine en 2007 avec le clip Sweep The Leg du groupe No More Kings réalisé tout simplement par William Zabka en personne.

L’acteur-réalisateur se confond déjà avec son personnage futur dépeint comme un loser vivant dans le passé dans sa caravane avec la même vieille bande potes et retournant littéralement dans le film de 1984 pour prendre sa revanche.

Déjà onze avant le lancement de la production de Cobra Kaï, les thèmes sont tous là (d’autant plus que les caméos sont nombreux et préfigurent leurs retours dans la série).

Je vous laisse découvrir le clip ci-dessous :

——————————————————————————-

Comment je l’ai rencontré.

Pour ce revival, on ne peut aussi citer la série à succès How I Met Your Mother qui rendra un hommage appuyé au film original en avril 2013.

Faisant apparaître William Zabka et Ralph Macchio encore dans leurs propres rôles, le personnage de Barney défendant cette théorie à la mode expliquant que Daniel LaRusso est en réalité le vrai méchant du film.

A ce sujet, une très sympathique vidéo produite par Netflix sortie en septembre dernier fait intervenir les deux acteurs pour en débattre :

D’aujourd’hui à maintenant.

Bref, la sympathie et la bonne volonté du couple d’acteur, plus la mode ressuscitant les franchises des années 80, la production de la série démarre en août 2017 pour un lancement en mai 2018.

Peu attendue, la série étonne les critiques et le public qui apprécie sa fraîcheur, son honnêteté et sa bienveillance. La saison 2 est commandée pour sortir en avril 2019.

Si la troisième saison est tournée tout aussi rapidement, sa diffusion initialement prévue pour 2020 est repoussée, notamment suite au rachat par Netflix qui annonce donc la sortie de cette très attendue saison pour le 8 janvier 2021, la saison 4 étant, quant à elle, en cours de production à cette heure.

On peut aussi faire un détour vers l’adaptation vidéoludique Cobra Kai: The Karate Kid Saga Continues sorti en octobre 2020 qui reprend les personnages de la série dans un Beat’em All sympatoche.

Découvrir le test du jeu vidéo accompagné d’un fort agréable accent québécois :

——————————————————————————-

Bwalors, pourquoi c’est bien Cobra Kaï ?

Comme je vous l’ai dit, cela fait des mois que je bassine mon entourage avec cette série. Maintenant qu’elle est disponible pour le plus grand nombre via Netflix, ces mêmes personnes reviennent vers moi, les étoiles plein les yeux, m’expliquant que “Ah ouais, mais c’est trop ouf en vrai”. 

Avant de passer aux points d’analyse, voici quelques arguments qui, je l’espère, vous donneront envie de vous lancer sans divulgâcher le truc.

C’est pas chronophage.

Une saison de Cobra Kaï, c’est 10 épisodes d’une durée de 27 minutes. Et, à cette heure, il y a deux saisons de disponibles donc rien qui ne vous engage dans un rattrapage trop lourd.

D’autant plus qu’à l’inverse de pas mal de productions Netflix, la première qualité de la série est l’efficacité de sa narration : la série est là pour faire le taf et elle le fait bien.

Bien entendu, cette qualité est aussi à double tranchant : une fois le visionnage terminé, on se languit de l’arrivée de la fameuse troisième saison. Moi, ça fait un an que ça dure. Imaginez la frustration.

Encore un revival des années 80 certes, mais…

… Un revival qui ne capitalise pas uniquement sur la nostalgie. On est bien d’accord, la série le fait, hein, mais elle a le mérite de ne pas s’y complaire. 

Si l’histoire reprend avec ses anciens personnages adultes marqués par leur confrontation passée, ces derniers vivent dans leur époque et ont une vie entre-temps. 

Ça te prend pas pour un débile.

Certes, on n’est pas là pour parler concepts lacaniens adaptés au monde du karaté, mais pour une série qui parle de sport, elle se sert efficacement du genre pour explorer les zones de gris. 

Nous ne sommes plus en 1984 où le gentil Daniel affrontait le méchant Johnny. Les temps ont changé, les relations se font plus complexes, obligeant le spectateur à bouger constamment son curseur de jugement moral selon l’évolution de l’intrigue portée par les choix des personnages le plus souvent déterminés par des contextes externes. 

Il n’y a pas vraiment de méchant dans Cobra Kaï (enfin, surtout en saison 1), juste des personnes qui prennent des décisions dabs le contexte qui leur est propre.

D’ailleurs, on sent bien que les scénaristes s’amusent avec nous, tout en faisant ostentatoirement passé le message de la série, limite démago : rien n’est tout blanc ou tout noir. Et la grande réussite de la série, c’est que ça fonctionne.

Ta télénovela du dimanche après-midi avec coups de pieds retournés dans la face.

La série a un sérieux côté soap : et vas-y que ça se tourne autour, et vas-y que ça se chamaille, et vas-y que ça se rabiboche, on sort un personnage du placard afin de relancer l’intrigue… Cobra Kaï use et abuse de fils narratifs vus et revus, ça se voir et pourtant on en redemande. 

Parce que, ce que l’on vous propose là, c’est tout simplement du bon travail d’artisan. La série ne cherche pas à révolutionner ni genre ni le format série : son boulot c’est de te proposer du travail propre, à hauteur humaine, qui sent bon le cahier des charges rempli avec soin, le respect des outils et des matériaux constituant toute œuvre honnête comme il se doit.

Du coup, elle n’a aucun défaut cette série ?

Bien sûr qu’elle en a !

Un peu. 

J’ai personnellement un peu de mal avec le casting de certains acteurs de la nouvelle génération, je les trouve trop proprets, bien maquillés, coiffés, manucurés, l’œil vif, alors que certains personnages sont censés vivre dans une précarité qui, je pense, doit être assez loin d’un look sorti d’une pub pour shampoing. Rien de vraiment dommageable, mais ça a pu me faire sortir de la série une fois ou deux.

La musique est pas ouf aussi. D’ailleurs je n’en garde aucun souvenir précis. Elle fait le taf donc, mais le genre film de sport ouvre un boulevard pour composer quelques thèmes cool et faire monter la pression.

Exception faite de reprise de morceaux des années 80 tout à fait recommandables, comme celle du titre Cruel Summer en fin de saison 2.

Pareil, la réalisation fait son travail, mais elle se situe pile sur la moyenne.

Enfin la temporalité générale est pas super maîtrisée aussi, on ne sait jamais trop si un jour ou une semaine se sont passés entre deux rebondissements. 

Conclusion.

Véritable surprise des créations de plateformes de streaming sur laquelle personne n’aurait parié, Cobra Kaï doit tout à ses trois qualités : l’honnêteté, la bienveillance et le karaté décomplexé.

Vous devez avoir bien compris comme je me languis de cette troisième saison depuis plus d’un an et je croise les doigts pour que la série garde sa fraicheur tout en nous prodiguant des rebondissements télénovelesques dont elle a le secret.

Strike first, strike hard, plein de mercis.

Julien De La Jal
Grand reporter.

Cours en ligne : Sémiologie du Cinéma

Discipline, née dans les années 1960, dont l’activité consiste, pour l’analyse du cinéma, dans l’importation et l’exercice des notions et des méthodes de la sémiologie et de la linguistique : code, message, sous-code, énoncé, syntagme, paradigme, signifiant, signifié, articulation, etc.

Les thèses fondamentales de la sémiologie du cinéma s’appuient sur ces constatations :

– Le cinéma n’est pas une langue, pas même un espéranto, dans la mesure où il est multicodique (même si les théories montagistes du cinéma se sont faites sur le modèle d’une syntaxe cinématographique, de même que la codification traditionnelle des mouvements d’appareil).

Il est une sorte de langage, à condition de ne pas s’en tenir à une définition du langage comme « système de signes destinés à la communication » : la signification, la signifiance débordent le domaine du signe et de la communication.

– L’étude du cinéma est concernée par la linguistique à deux moments en droit distincts de sa démarche : en définissant le discours imagé du film par différence avec la langue, en définissant sémiologiquement ce qu’il est.

– Le niveau spécifique de codification que constituent les organisations signifiantes propres au film et communes à tous les films (ou peut dire aussi « le cinéma en tant que tel ») n’a pas de deuxième articulation. Dans l’image cinématographique, le signifiant est dans un rapport de ressemblance à son signifié.

– La notion de langage cinématographique est méthodologique : l’ensemble de tout ce qui est dit dans tous les films, ainsi que toutes les organisations signifiantes qui entrent en jeu dans la compréhension d’un film entier (perceptives, imaginaires, intellectives, iconologiques, idéologiques…), bref « le cinéma dans sa totalité » représente « un phénomène beaucoup plus vaste, à l’intérieur duquel le langage cinématographique ne constitue qu’une couche signifiante parmi d’autres » (Christian Metz).

– Il est impossible de définir l’image comme un mot, la séquence comme une phrase : l’image cinématographique équivaut à une ou plusieurs phrases, et la séquence à un segment complexe de discours. Le cinéma n’obéit pas, sinon par hasard, à la première articulation.

– Le nombre d’images réalisables au cinéma est indéfini. Le plan n’est donc pas comparable au mot d’un lexique, mais plutôt à un énoncé. La paradigmatique du film ne peut donc être que partielle et fragmentaire ; la syntagmatique, en revanche, est au centre de la dimension sémiologique du film : la narrativité filmique s’organise par la contrainte de grandes structures syntagmatiques.

– On peut distinguer, dans la bande-image, des syntagmes a-chronologiques, parallèles ou en accolade, et chronologiques, descriptifs ou narratifs (alternés ou linéaires), voire des articulations plus fines.

La sémiologie du cinéma est une discipline encore jeune, et elle doit à la linguistique autant ses méthodes (commutation, découpage, distinctions sa/sé, substance/forme, pertinent/non-pertinent, etc.) que ses notions (qui ne sont importées qu’avec la plus grande prudence).

Ces quelques principes fondamentaux, et leurs prolongements, sont extrêmement fructueux pour l’analyse des films. Les limites de la sémiologie du cinéma sont celles de son objet même (la signification), elle peut être très utile à la théorie (et même la réconcilier avec la filmologie), à condition que d’autres discours prennent le relais (psychanalyse, sociologie).

Le plus important représentant de la sémiologie du cinéma et son « fondateur » est Christian Metz avec « Essais sur la signification au cinéma » (1968-1972), « Langage et cinéma » (1971) et « L’Énonciation impersonnelle » (1991).

Citons également Umberto Eco, « La Structure absente » (La Struttura assente, 1968) ; P. Wollen, « Signs and Meanings in the Cinema » (1969) ainsi que des écrits de G. Bettetini et E. Garroni.

Les sémiologues actuels du cinéma reconnaissent comme leurs précurseurs Eisenstein et les formalistes russes, « la Revue internationale de filmologie », ainsi que les écrits de Jean Mitry (« Esthétique et psychologie du cinéma », 1963-1965).

Vulgarisation en images :

Christian Metz, “Trucage et cinéma”, 1973 De quoi est fait l’amour du cinéma ?
présenté par Marc Vernet

Marc Vernet est professeur en études cinématographiques à l’université Paris-Diderot et conseiller pour le patrimoine cinématographique de l’Institut national du patrimoine. Il coordonne le programme de recherche ANR Cinémarchives et organise chaque année, fin novembre, le colloque Archimages (BnF, Ina, INP).

Christian Metz a fondé et développé, entre 1965 et 1985, la sémiologie du cinéma. L’article “Trucage et cinéma”, paru dans “Essais sur la signification au cinéma”, permet d’en saisir l’amont et l’aval, les racines linguistiques et les développements psychanalytiques.

Les bouleversements dans les nouveaux médias sont ainsi l’occasion d’en réévaluer aujourd’hui l’héritage.

Les meilleures chaînes Youtube : Analyse & Déconstruction Pop Culture

Alors que je discutais chaînes Youtube avec quelques ami·e·s, dont les goûts et l’intelligence ne sont pas à démontrer, quelle ne fut pas ma surprise lorsque, certain d’enfoncer les portes ouvertes de la connaissance, les regards se firent fuyants, les voix incertaines, et les mains l’état d’un léger tremblement : ils n’avaient pas la moindre idée des références que je lançais alors d’un air si sûr. 

Passé mon étonnement premier, promesse fut faite de leur dresser un court panel de ces dernières. 

Le cheminement intellectuel faisant, je me dis que cette sélection méritait bien de dépasser ce cadre amical, pour aborder celui de l’humanité dans son ensemble.

Là où ça va être embêtant pour certains d’entre-vous, c’est qu’il s’agit-là de contenus exclusivement anglophones. C’est pas qu’il n’y a rien de qualité dans notre beau pays en proie à la plus belle des solidarités sanitaires actuellement, mais j’imagine que cette proposition en sera plus originale.

—————————–

LIKE STORY OF OLD
Des histoires et des Hommes

—————————–

Sur une musique planante composée de morceaux post-rock/soundtrack/piano, le travail de l’auteur porte sur les questions de la narration – généralement d’œuvres cinématographiques, et tente de tirer de ces histoires, et de leurs stéréotypes, leurs leçons.

Entre feel good vibes et travail de recherche, cette chaîne se situe sur cette ligne fragile entre émotions et réflexions, et cela, sans tomber dans des lieux communs. Un bijoux.

Découvrir la chaîne | Ci-dessous, une sélection :

L’art douloureux de l’empathie : Deconstruire « The Last of Us : Part 2 »

Alors, si vous n’avez pas joué comme moi au jeu, c’est le spoil intégral. La vidéo aborde comment les scénaristes ont décontenancé leur public avec ses réussites et ses échecs.

—————————–

Comment nos divertissement révèlent nos désirs les plus profonds

Quelles intentions nous pousse à nous évader dans les mondes fictifs, et en quoi diffèrent-elles de trouver un sens à notre vie ?

—————————–

La Philosophie de Sense8 | Émotion et Connexion

De Matrix à Cloud Atlas en passant par Sense8 ; un essai vidéo sur la philosophie des sœurs Wachowski explorant les questions de la connexion et de l’émotion.

—————————–

Créer l’Ultime Allégorie Post 11 Septembre : The Dark Knight, les risques et la Peur

« L’anticipation de la catastrophe est en train de changer le monde » – Ulrich Beck.
Une analyse du films The Dark Knight de Christopher Nolan comme une allégorie du monde post-11 septembre, ou comment le terrorisme a un jamais changé notre perception du risque.

—————————–

WISECRACK
Ton premier cours de Sciences Humaines

—————————–

De manière plus académique, la très sympathique équipe de Wisecrack développe des analyses d’objets culturels contemporains avec pour fond la question : qu’est-ce que cela nous dit ?

C’est à coup de références tirées de philosophes, sociologues, anthropologues, linguistes que l’on va nous offrir des pistes de réflexions. La production est hallucinante.

Bref, pour une introduction aux sciences humaines via la pop culture, c’est le top.

Découvrir la chaîne | Ci-dessous, une sélection :

Midsommar : profond ou débile ?

Je mets celle-là car ça se dispute pas mal autour du film autour de moi (que j’ai apprécié pour ma part).

—————————–

Matrix : pourquoi ne pouvons pas nous débrancher ?

Une vidéo qui en appelle à Marx (et inévitablement Baudrillard). Si c’est pas bon ces fameux/ses ami·e·s me tomberont dessus et je serai fixé.

—————————–

Black Mirror : What’s the point ?

Qu’est-ce que ça raconte Black Mirror, et comment ? Parfait pour se disputer.

—————————–

RYAN GEORGE
Déconstruction Action

—————————–

Certainement, la chaîne qui m’a fait le plus rire depuis que je suis tombée dessus l’année dernière. Ryan créé des sketchs où un scénariste et son producteur discutent de l’histoire de films bien connus. Et là où c’est assez génial, c’est par le travail de déconstruction qui est opéré sur tous les axes possibles et inimaginables. 

Autre type de vidéo “La première fois que quelqu’un a…” vaut au moins tout autant le détour.

Découvrir la chaîne | Ci-dessous, une sélection :

Le premier homme à écrire de la fiction.

Déconstruire la création du processus narratif tout en s’en payant une tranche. Toutes les qualités de Ryan George sont là (ne pas manquer celle du premier homme à avoir un chat aussi).

—————————–

Joker (2019) : Pitch Meeting

Le scénariste pitch le Joker à son producteur. Du coup, ça va piquer un peu pour ceux qui considèrent que c’est un chef d’oeuvre.

—————————–

Watchmen : Pitch Meeting

Même principe. La question : mater des films de super-héros en personne mature est-il une bonne chose ?

—————————–

RED LETTER MEDIA
Trash Show Host

—————————–

Certainement la plus connue des chaînes présentée ici, on ne peut qu’apprécier leurs qualités d’analyse accompagné d’un franc parler rafraîchissant. 

Entre papotes à la cool sur les dernières sorties ciné, se moquer allègrement des chaînes “geeks”, et participer à leurs soirées nanars de films les plus improbables, on se sent entre potes trentenaires de bon goûts (de toute façon, des gens qui apprécient Cobra Kaï ne peuvent que l’être).

Découvrir la chaîne | Ci-dessous, une sélection :

Star Wars : La Menace Fantôme.

C’est la série de vidéos qui a propulsé leur popularité outre-atlantique. S’attaquant à la prélogie Star Wars semble facile. Mais là, c’est aussi juste que génial et addictif. En plus, ça continue avec les épisodes suivants, puis les films Star Trek, puis la postlogie… Vous avez de quoi vous occuper un bout de temps.

—————————–

The Nerd Crew – Solo: A Star Wars Story Premiere! Plus reactions!!!

The Nerd Crew, parodie des émissions Geeks contemporaines. Forcément, c’est con, mais c’est bon, mais c’est pas si con.

—————————–

Boomer Fight : Shatner VS Red Letter Media

William Shatner (Kirk original de Star Trek) pensait avoir été invité par l’équipe dans leur émission, et a dit non. Mais en fait, il n’a jamais été invité. Red Letter Media revient dessus à sa façon.

—————————–

LINDSAY ELLIS
Juste nécessaire

—————————–

Alors celle-là, mes ami·e·s la connaissent. Et en tant que personnes de goûts, ils aiment. 

Lindsay produit des essais vidéos de qualité hallucinantes. Extrêmement sourcés, déconstruisant à tour de bras, rythmé, avec une bel angle féministe (why females robots ?), ses analyses ne peuvent que élever le niveau quant à votre réception de films et séries issues de la Pop Culture. Bien plus que du contenu Youtube, une nécessité.

Et bonne nouvelle, quelques vidéos possèdent des sous-titres traduits en français. Merci à ceux/celles qui s’y sont collé·e·s.

Découvrir la chaîne | Ci-dessous, une sélection :

Apparemment, il faut qu’on parle de Game of Thrones

A propos de la saison 8 de Game of Thrones. Le sujet pourrait juste être là pour attirer le chaland, mais Lindsay offre cette perle en deux parties qui démontre tranquillement là où ça a pêché (pour rester poli). Et c’est traduit !

—————————–

The hobbit : une autopsie longuement attendue

Autant le diptyque sur Game of Thrones est excellent, cette deux parties en trois sur la trilogie du Hobbit est un cours magistral sur les questions de production des œuvres. Ainsi, de la petite histoire de cette grande production, on se retrouve propulsé vers des conséquences au niveau international. Et c’est traduit !

—————————–

La musique contestataire sous Bush

Comme toujours, un joli travail d’équilibriste entre l’histoire musicale et l’Histoire américaine. 

—————————–

Voilà, en espérant avoir conquis mes ami·e·s, où vous qui passiez par là 🙂

Eh… Dis, pourquoi les personnages principaux de la plupart des séries qui cartonnent sont des anti-héros ?

Je fais une parenthèse ici pour trois raisons :

  1. Pour vous prévenir d’ores et déjà que je ne mentionnerai pas de séries de HBO ici car, de mon point de vue, HBO est toujours en avance sur son époque et crée du contenu original depuis des années. Ainsi, je ne les vois pas comme un studio suivant une tendance mais comme un studio en créant ou en sortant d’une.
  2. Les séries dont on parle ici sont américaines ; la contextualisation est donc concentrée sur la perspective américaine de la période.
  3. Je vais devoir inévitablement faire des SPOILERS, vous êtes donc prévenus.

—————

Et donc : pourquoi les personnages principaux de la plupart des séries qui cartonnent en ce moment sont des anti-héros ?

J’imagine que je ne suis pas la seule à m’être posée cette question, si ?

Nous dévorons Narcos (2015- ), Orange is the New Black (2013- ), House of Cards (2013- ), et j’en passe ! Mais je me souviens aussi de l’époque où les séries que je regardais étaient un peu plus… joyeuses dirons-nous – du genre Charmed (1998 – 2006), La Petite Maison dans la Prairie (1974 – 1983), ou encore FBI Portés disparus (2002 – 2009).

Alors, oui, j’ai pris un peu d’âge entre temps mais il faut aussi admettre que le choix qui existe aujourd’hui est en clin à être beaucoup plus noir et complexe que dans mes plus jeunes années. Et pourquoi donc alors ?

Le genre « séries avec des anti-héros » commence à devenir de plus en plus populaire à la fin des années 2000 avec entre autres Dr House (2004 – 2012), ou encore Dexter (2006 – 2013). Et la fin des années 2000 c’est quoi ? C’est les Etats-Unis après le 11 septembre et le monde après le crash boursier de 2007 causé par les banques.

C’est aussi la fin du double mandat de président de George W. Bush Jr – synonyme de : guerre menée sous de faux prétextes, et d’ouragan Katrina décimant la Nouvelle-Orléans et ses habitants pendant que le gouvernement et le président ne semblent pas réagir de manière adaptée (certains iraient même jusqu’à dire que c’était délibéré de leur part afin de se débarrasser d’une population qui gênait, mais cela est un tout autre sujet).

En somme à la fin des années 2000, le monde ne mange pas des arcs-en-ciel au petit déjeuner, ni ne voit des Bisounours voler dans les nuages. Les gens n’essaient même plus de se convaincre que « tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau », ils savent que le monde est pourri et que ceux qui apparemment s’en sortent le mieux sont ceux qui sont tout aussi pourris que le monde dans lequel nous vivons.

Alors pourquoi mettre en avant les « gentils losers » de ce monde au final ? (bruit de grillons) Oui, en effet, mieux vaut montrer les « méchants », ils sont beaucoup plus intéressants et satisfaisants à regarder.

On a commencé par créer des « petits » vilains comme Dr House ou Dexter. L’un est insupportable et l’autre tue des gens. Mais le premier sauve des vies que personne d’autre ne peut sauver, et l’autre nettoie notre planète d’ordures humaines. La transition est donc en marche (sans mauvais de jeux de mots) : les héros ne sont plus blancs comme neige mais ne sont pas encore d’horribles personnes ayant rejoint le côté obscur de la force à plein temps, à l’instar des personnages de House of Cards.

Oui, parce que Francis Underwood est bien l’incarnation du diable en personne (et je fais bien référence au personnage dans la série, non pas à l’acteur accusé d’harcèlement sexuel à ce jour…) : il manipule, tue, menace, et se sert des gens comme de mouchoirs à usage unique (petite pensée pour Zoe Barnes et Peter Russo – RIP).

Cette série personnifie à la perfection le politique sans cœur n’agissant que par intérêt que nous voyons de plus en plus dans la vraie vie. Nous savons bien maintenant que personne n’est réellement altruiste, que les politiques ne gardent pas leurs promesses et qu’ils n’ont jamais eu l’intention de les garder. Et à la place de regarder A la Maison Blanche (1999 – 2006) qui veut montrer la politique comme nous aimerions qu’elle soit, on préfère crever l’abcès.

On regarde donc House of Cards où on se dit qu’il n’est pas possible que la réalité soit bien plus noire. D’une certaine manière, c’est une façon de nous rassurer et aussi de dire à nos politiques, polices et médecins qu’on n’est plus aussi innocents qu’avant : on le sait que ce ne sont pas des anges.

Et puis, quitte à s’intéresser à des gens « pourris », autant s’intéresser à ceux qui l’assument entièrement, n’est-ce pas ?

Dans Narcos, par exemple, le personnage pour qui on développe une passion n’est pas un des deux flics de la DEA comme on pourrait s’attacher à Jethro, DiNozzo ou McGee dans NCIS (2003 -). Non, soyons honnête : on adore suivre Pablo Escobar dans sa montée en puissance au cœur du monde du trafic de cocaïne. Et je ne croirai personne déclarant qu’elle n’a pas ressenti au moins une petite pointe de déception lorsqu’il est abattu sur les toits de Medellin.

Une partie de ce qui fait son charme c’est qu’au moins il ne nous ment pas : il va à l’encontre des lois, commet des actes horribles – oui, mais il l’assume. Contrairement à certains de nos politiques qui essaient de couvrir leurs traces ou d’expliquer qu’en fait « c’est pas ce qu’on croit. »

La seule différence entre les deux c’est que l’un essaie de nous faire croire que ses actions sont pour le bien de tout le monde quand l’autre revendique complètement que c’est pour son plaisir personnel et si ça bénéficie à d’autres – cool ; sinon – tant pis.

Ce genre de personnages nous renvoie à notre côté primitif. Leur violence, leur méchanceté, leur narcissisme et leur égoïsme font appel à nos désirs enfouis d’Hommes de Cro-Magnon. Avec nos lois et nos règles sociétales, nous nous devons d’être polis avec nos voisins, de ne pas délibérément faire de mal à autrui, de ne pas tuer les personnes qui nous irritent au plus au point, de partager notre Kinder Bueno avec Tsonga quand il pourrait s’en acheter un à l’épicerie du coin, etc. La frustration est bel et bien là.

Au final, on se bat tout le temps contre nos instincts et de les voir exprimer chez d’autres personnes sur notre petit écran, ça nous fait du bien. Breaking Bad reflète merveilleusement cette idée de frustration. Un père de famille qui ne sait pas comment agir avec son fils handicapé, qui ne gagne pas assez avec son métier de prof de chimie et qui est donc obligé de travailler dans un car wash pour payer les factures.

Un homme qui apprend qu’il est atteint d’un cancer et qu’il ne verra certainement pas sa fille grandir. Un homme qui du coup explose et tente le tout pour le tout, à la place de se tourner vers Dieu comme tellement d’autres séries américaines nous diraient de faire – ne citons que Sept à la Maison (1996 – 2007) pour référence. Non, il préfère prendre sa revanche sur la vie et devenir un baron de la drogue. Walter White c’est au final notre petite voix dans la tête qui nous répète qu’on vaut mieux que ça, peu importe les conséquences.

Et puis si jamais il se fait arrêter, la prison ça a l’air plutôt sympa comme endroit ! Enfin c’est ce qu’on commence à croire avec Orange is the New Black qui a débarqué pour palier à l’idée reçue que « dans les prisons il n’y a que des gros méchants qui ont bien mérité d’être là. » La réalité est un peu plus subtile.

Cette série a réussi à montrer au monde que les prisonniers ne sont pas des monstres mais des êtres humains avec des vies, des sentiments et des aspirations. On finit par apprécier toutes ses femmes derrière les barreaux, et pourtant elles ne s’y sont pas retrouvées pour rien (mention spéciale à Poussey Washington – RIP).

La force de cette série c’est qu’on sait pourquoi elles ont été enfermées, et on a tout de même envie d’être ami-e avec elles. Il y a beaucoup moins d’intérêt à regarder Prison Break (2005 – 2009 / 2017 -) où les personnages sont soit gentils et innocents, soit méchants et coupables – ce qui ne challenge absolument pas nos idées préconçues. Orange is the New Black nous donne une bonne leçon : rien n’est tout blanc ou tout noir, ce n’est pas parce que tu es ou as été en prison que tu es une cause perdue et que tu devrais vivre en autarcie.

Du coup, quelle est la leçon ici ? Le monde est moche et, on le sait bien maintenant – ce qui se répercute sur nos héros de séries. Les règles de notre société sont frustrantes pour notre âme d’hominidé. Et, pour éviter que tout soit déprimant, certaines personnes essaient quand même d’améliorer notre civilisation… en nous renvoyant en pleine face notre image d’horribles personnes remplies de préjugés – certes (« C’était mieux avant ! » dixit mon ancienne propriétaire).

Peut-être qu’on ferait mieux d’inventer une machine à remonter le temps. N’est-ce pas le but ces derniers temps avec toutes ses séries se déroulant dans le passé ? Enfin, ça encore, c’est un autre sujet. Voilà, en attendant, je vous laisse aller chercher le Xanax !

Long live the TV #6 ! A propos des séries historiques britanniques : « Outlander »

Avertissement : attention spoilers !

Pour ne rien vous cacher, j’étais plutôt réticente à l’idée de regarder Outlander. Contrairement à mon habitude, je me suis laissée influencer par certaines critiques négatives reprochant à la série son côté « nunuche » et « pour les filles ».

Est-ce que c’est pour les filles : oui et non. Oui, le public féminin est visé et non, ce n’est pas QUE pour les filles1 ! Est-ce que c’est nunuche : s’il y a bien un adjectif qui ne m’est pas du tout venu à l’esprit en dévorant les trois premières saisons en quelques jours à peine – merci Netflix – c’est bien « nunuche » !

Pour mieux comprendre ce qui suit, voici un court résumé du début de l’histoire : En 1945, Claire est en voyage en Écosse avec son époux, Frank Randall. Ils tentent de réapprendre à se connaitre après avoir été séparés par des années de guerre. Passionné d’histoire, Frank tente de retracer sa généalogie. Claire en profite pour explorer les alentours et notamment le site mystérieux de Craigh na Dun (un cercle de menhirs). Sans savoir comment, elle traverse une des pierres et se retrouve en 1743, en plein conflit entre l’armée britannique et les « rebelles » jacobites écossais2. Elle est « enlevée » par un groupe d’écossais, parmi eux, un certain Jamie…

Adaptée de la série de romans de Diana Gabaldon (parus depuis 1995), Outlander est une série qui mêle tellement de genres qu’il m’est difficile de lui « coller » une étiquette. Présentée comme une œuvre de fantasy, le roman dont est issu la première saison, Le Chardon et le Tartan (Outlander en anglais), a pour point de départ le désir de l’auteure d’écrire un roman historique. Cet imbroglio de genres, au sens positif, se ressent donc aussi à l’écran. Le travail d’adaptation est très bon3 et conserve l’idée de l’œuvre originale de faire entendre les réflexions de Claire sur ce qui lui arrive. En voix-off, elle commente l’action et guide le spectateur, comme le fait le personnage du roman4, avec le recul d’une femme moderne de son époque.

L’importance des aspects historiques du récit varie selon les épisodes, mais l’Histoire est une toile de fond omniprésente, qu’il s’agisse de la période du « présent », à partir de 1945, ou de celle du « passé », à partir de 1743. Vous l’aurez compris, l’intrigue est basée sur un voyage dans le temps, mais la force de la série est, selon moi, de distiller le fantastique par petites touches, ancrant d’abord la série dans une réalité historique plutôt que dans un monde imaginaire, en se servant notamment du folklore écossais et de ses croyances envers le surnaturel (fées, sorcières et autre source d’eau magique).

Car au-delà d’une histoire d’amour (ok, spoiler, mais bon, qui ne s’y attendait pas franchement ?!), le récit de Claire (Caitriona Balfe) et Jamie (Sam Heughan) est surtout celui d’une lutte contre le temps, pour changer ou empêcher certains événements historiques5.

C’est une des particularités de la série, qui se démarque par une réflexion sur le temps, en montrant le combat, souvent vain, des personnages contre le cours de l’Histoire. D’ailleurs, il n’est jamais dit clairement qu’ils ont une quelconque chance de changer les choses et l’intrigue laisse penser plusieurs fois que le voyage dans le temps de Claire et ses conséquences n’influencent pas l’Histoire ou, en tout cas, ne la change pas drastiquement.

De plus, les événements historiques relatés, bien que romancés, sont bien souvent vrais et/ou réalistes. Le moindre élément a semble-t-il été étudié par l’auteure, qui utilise par exemple les noms de clans écossais existants, comme le clan Fraser (le nom de famille du héros) ou le clan MacKenzie.

Cette attention aux détails est sensible également dans la construction de l’intrigue, si bien qu’un évènement ou l’apparition d’un personnage qui peut paraître anecdotique sur le moment, trouve une résonnance plus tard dans la série, révélant alors son importance (pour une perfectionniste comme moi, c’est tellement satisfaisant !).

Les personnages secondaires, nombreux, bien écrits et joués, sont souvent très attachants, comme les compagnons écossais de Jamie (Murtagh, Rupert, Angus…) ou encore le petit orphelin français Fergus (Romann Berrux). Je souligne aussi la superbe double interprétation de Tobias Menzies (Franck Randall / Black Jack Randall), ainsi que celle, assez troublante, de Lotte Verbeek, qui incarne la mystérieuse amie de Claire, Geillis Duncan.

Pour autant, l’autre force de la série est indéniablement le couple de héros, dont l’alchimie est étonnante. La performance de Caitriona Balfe et de Sam Heughan fait vraiment la différence. J’ai beau ne pas être une féministes acharnée, voir une héroïne forte et un personnage masculin à la fois sensible, dévoué et tout en muscles (je résume, évidemment), n’est pas désagréable, je dois le reconnaitre.

Entre violentes disputes à cause de leur fort caractère et scènes d’amour touchantes ou torrides (la série n’est pas à mettre devant n’importe quels yeux), la relation du couple évolue de manière convaincante au fil de saisons. L’écart entre leur deux cultures et époques donne forcément lieu à des incompréhensions, mais Jamie est heureusement ouvert d’esprit et parvient à tout pardonner à Claire, puisqu’elle est, dans tous les sens du terme, une Sassenach6.

Leur loyauté et leur attachement indéfectibles les mènent à se mettre en danger l’un pour l’autre (et on peut dire qu’ils attirent les ennuis), ponctuant l’intrigue historique et dramatique d’aventure et de romance.

Parvenant à se réinventer à chaque saison, le récit tend vers des intrigues plus politiques dans la saison 2 (à la Cour de France), tout en laissant plus de place au « présent » avec de nombreux flashbacks-flashforwards. Cette technique courante est à la fois efficace pour tenir le spectateur en haleine, en suspendant un temps l’intrigue en cours, mais elle créé aussi quelques petits temps morts (au début de la saison 2 notamment).

La saison 3 amène heureusement un souffle d’air frais dans de nouveaux décors et fait la part belle à l’aventure (voyage, paysages exotiques), en veillant à continuer de distiller des éléments fantastiques qui font toujours osciller intelligemment la série entre différents genres.

Mon bilan :

Je regrette de ne pas l’avoir regardée plus tôt (j’aurais dû écouter ma copine Marie qui me l’avait pourtant chaudement recommandée) !

Les faits historiques abordés permettent d’en apprendre plus sur les rapports houleux entre l’Angleterre et l’Écosse (et aussi de mettre en avant les accents incroyablement différents des deux pays, pour mon plus grand plaisir). Le récit est fluide et clair, malgré les voyages dans le temps, et se risque à jouer avec la frustration des spectateurs. En outre, la musique, les costumes et surtout les décors sont somptueux (j’ai tout de même une préférence pour les highlands sauvages).

Le petit plus d’Outlander, c’est d’oser : les sujets délicats, les scènes crues mais pas gores, les personnages qui ont une vraie profondeur et des contradictions, le mélange des genres… À ne louper sous aucun prétexte !


1  La chaîne payante Starz, qui diffuse la série aux États-Unis, est une concurrente directe de HBO (Game of Thrones) et de Showtime (Homeland, Dexter…). Elle a déjà diffusé plusieurs séries historiques, comme l’adaptation du roman de Ken Follet Les Piliers de la terre (The Pillars of the Earth, 2010). Starz diffuse ou a diffusé d’autres séries de genres assez différents, comme American Gods (drame, fantasy) ou encore la comédie horrifique de Sam Raimi, Ash vs Evil Dead (2015-2018) et ne se contente pas de cibler le public féminin.

2  Entre la fin du XVIIème et le début du XVIIIème siècle (jusqu’en 1746 et la sanglante bataille de Culloden), les soulèvements jacobites avaient pour but de renverser le roi d’Angleterre, George II, protestant, et de placer sur le trône Jacques Stuart VII, descendant de Marie Stuart et catholique, puis son héritier Charles Edouard Stuart, dit Bonnie Prince Charlie.

3  Je n’ai, à ce jour, pas encore terminé le premier roman, mais la série est assez fidèle au texte pour le moment.

4  Un peu moins qu’à l’écrit néanmoins, certainement pour ne pas plomber l’action avec trop de voix-off.

5  Ils font tout pour empêcher la bataille de Culloden, par exemple, car Claire sait qu’il s’agit d’un tournant majeur dans la lutte jacobite.

6  Ce mot écossais, venant du gaélique, désigne plutôt péjorativement ce qui est anglais (objets, personnes), mais signifie au sens large « étranger » (outlander). Jamie surnomme Claire « Sassenach » de manière affectueuse.

Long live the TV #5 ! « The Crown »

Avertissement : cet article contient quelques minces spoilers sur les saisons 1 et 2.

Créée par Peter Morgan, le scénariste du film The Queen (Stephen Frears, 2006), et diffusée sur Netflix depuis fin 2016, The Crown est une série américano-britannique très ambitieuse, qui a pour objectif de proposer un portrait de tout le règne d’Elisabeth II. La reine du Royaume-Uni et d’Irlande du Nord depuis 1952 est interprétée par Claire Foy dans les deux premières saisons1.

The Crown revient sur la vie de la jeune souveraine depuis son mariage en 1947 avec Philip Mountbatten, Duc d’Edimbourg (Matt Smith), en montrant ses débuts hésitants sur le trône à la mort prématurée de son père, George VI (Jared Harris) à l’âge de 57 ans.

Dans cette période de transition de l’après Seconde Guerre Mondiale et de début de Guerre Froide, la place délicate d’Elisabeth, femme, mère et souveraine d’un royaume constitutionnel (où elle ne donc peut pas intervenir directement sur les questions politiques), est traité de manière sobre et parfois, en apparence, presque froide.

Loin de l’aspect soap des autres séries du genre, comme Reign ou Victoria, par exemple, The Crown joue en effet beaucoup plus sur la retenue. La mise en scène, les décors et costumes, très importants dans une série historique, tiennent le pari et sont très réussis.

Néanmoins, la sobriété de The Crown est, d’après moi, autant une force qu’une faiblesse, car pour peu que l’on n’adhère pas à l’intrigue d’un épisode, on peut passer totalement à côté (et même s’ennuyer !). Si je peux supposer que certains effets visent à mettre en place un certain suspens, ils sont selon moi un peu artificiels et il est parfois difficile de comprendre un épisode avant sa moitié, voire sa fin (d’où un certain ennui)2. Quant à la musique (souvent classique) elle est également trop présente (le volume étant accentué) et ne parvient pas toujours à pallier l’inaction, ni à installer une vraie tension3.

La saison 1 était, il me semble, de meilleure qualité, car elle avait trouvé le parfait équilibre entre anecdotes privées et Histoire. En relatant par exemple un événement comme le « grand smog de Londres » (Saison 1 épisode 4), où un brouillard très épais et nocif à recouvert le ciel londonien durant plusieurs jours en 1952, la série permet de découvrir un événement historique finalement assez peu connu, où Churchill a joué un rôle très spécial, avec un coup de pub comme il en avait le secret4. Interprété très justement par John Lightgow, le premier Ministre britannique est pour moi un personnage majeur de la saison 1, qui donne beaucoup de couleurs et d’intensité à la série, comme le roi George VI.

Mon reproche principal est donc que les épisodes, comme les personnages, sont assez inégaux. La saison 2, se concentre plus sur des histoires personnelles au sein de la famille royale, comme les difficultés entre Elisabeth et Philip, qui peine à trouver sa place aux cotés de sa femme, ou les errements et débordements de sa sœur, Margaret (Vanessa Kirby), à qui la couronne refuse un mariage avec un homme divorcé.

Si je compatis sincèrement aux difficultés de la princesse confrontée aux usages démodés de la monarchie, j’ai beaucoup de mal avec ce personnage qui est (malheureusement pour moi) particulièrement mis en avant dans cette saison. Les minauderies de Margaret et ses excès en tout genre (tabac, alcool et soirées aves la jet-set londonienne) ne parviennent pas à m’émouvoir. Je préfère de loin les épisodes qui relatent des événements historiques ou politiques, comme celui de la visite des Kennedy, excellent et sans temps mort, qui montre de nouvelles facettes du caractère d’Elisabeth, parfois un peu trop en retrait.

C’est d’ailleurs, à mon avis, le second point faible de la série. Même si Claire Foy est très juste dans son jeu la plupart du temps, le tempérament un peu passif d’Elisabeth a tendance à me taper sur les nerfs (Sorry votre majesté !). Dans une série déjà souvent contemplative (plans fixes, lents) et où l’action n’est clairement pas débridée, l’inertie du personnage principal est pesante.

Toutefois, la faute ne revient pas vraiment à la comédienne, ni à son rôle, mais plutôt à l’image que les scénaristes ont choisi de donner d’Elisabeth. En effet, souvent rabaissée par son mari ou moquée par sa sœur, la reine n’a pas toujours le répondant nécessaire. Ainsi, lorsqu’elle essaye une nouvelle coupe de cheveux, par exemple, Philip lui dit de manière brusque (et goujate !) qu’avec une telle coiffure, il se gardera bien de lui faire d’autres enfants !

Plus tard dans l’épisode, il revient sur ce sujet avec Margaret et ils se moquent ensemble d’Elisabeth. Sa sœur se montre parfois odieuse avec elle et va jusqu’à lui dire qu’elle n’existe que grâce à la couronne, mais n’a ni l’intelligence, ni la prestance, ni le charisme pour la porter. Leur tempérament sont certes totalement opposés, mais cette fois-ci, Margaret fait face à une reine inflexible, qui la remet à sa place (et ça fait un bien fou !).

Le reste du temps, coincée dans ses manières impeccables et son flegme tout britannique, la souveraine encaisse les moqueries de ses proches sans broncher, tandis que la presse se montre très dure envers elle. Au lieu de l’image d’une femme forte, la série renvoie donc l’image d’une femme que l’on a envie de plaindre (je passe souvent les épisodes à m’exclamer : «oh ! la pauvre »).

 

Mon bilan : En s’éloignant des événements politiques et/ou historiques qui faisait sa réussite, la série s’est, selon moi, un peu perdue durant la saison 2. Se focalisant sur les histoires intimes (voire privées) de la famille royale, certains épisodes sont de petits chefs d’œuvres, captivants et bouleversants, d’autres, plus rares (heureusement) m’ont laissé sur le côté de la route. Avec le changement de casting qui s’annonce, The Crown peut soit transformer l’essai et trouver son rythme de croisière, soit faire naufrage et se perdre dans des détails personnels qui donnent l’impression au spectateur d’être un voyeur ou que la série est un magasine à scandale (si célèbres en Angleterre), au lieu de faire vivre la famille royale à travers le portrait global et ambitieux annoncé par le son créateur et Netflix.

NOTES : 

1  Un renouvellement de casting est prévu pour les saisons 3 et 4 qui aborderont deux autres décennies de son règne.

2  La chronologie de certains épisodes n’est par exemple pas linéaire, mais aucune indication de temps ne permet d’en être informé tout au long de l’épisode, rendant parfois la narration confuse. Le point de vue adopté en début d’épisode peut également changer en cours, sans que rien ne l’indique.

3  Cela peut être délicat dans la mesure où les épisodes durent environ une heure.

4  Pour ne pas spoiler plus l’épisode, je n’en dirai pas plus. Je vous invite vivement à le voir.

 

Long live the TV #4 ! « Victoria »

On retourne en Angleterre, où la série Victoria, créée par Daisy Goodwin, est diffusée depuis 2016 sur la chaîne ITV, concurrente de BBC.

En France, elle n’est diffusée que sur la chaîne Altice Studio du groupe SFR (disponible par satellite ou câble), autant dire qu’elle n’est pas connue du grand public et assez difficile à voir. La série relate la vie de Victoria (Jenna Coleman), depuis son accession au trône en 1837 (saison 1), à dix-huit ans seulement, lorsqu’elle devient Reine du Royaume-Uni, mais aussi par la suite Impératrice des Indes (en 1876) et Reine d’Australie et du Canada1.

Une nouvelle fois, la série se focalise sur un personnage féminin au pouvoir (comme dans Reign ou The Crown par exemple) et montre bien les difficultés d’assumer cette lourde charge en général, et pour une femme en particulier, mais surtout à son âge, alors qu’elle devient à peine adulte.

D’autant plus que la monarchie britannique (constitutionnelle) ne donne que peu de pouvoirs politiques au monarque, ne laissant que peu de marge de manœuvre à Victoria. Néanmoins, l’histoire se concentre plus sur le statut de « femme au pouvoir », que de reine, le parallèle avec notre époque n’en étant évidemment que plus fort. Il est également important de préciser que Victoria était un véritable symbole à son époque – on parle de période victorienne, marquée par les profondes mutations du pays dues entre autres à la révolution industrielle – et une référence en matière de morale stricte (ce qu’on ne voit guère à l’écran, du moins pour le moment).

De nombreuses transformations sociales et économiques changeront drastiquement le visage l’Empire britannique, en pleine expansion, durant les soixante-trois ans de règne de Victoria2.

Ces faits et évènements historiques importants ne sont, en revanche, qu’à peine évoqués dans les intrigues, romancées, qui se concentrent plus sur le personnage de la reine que sur l’histoire de l’Angleterre (à l’exception de quelques faits marquants, comme la famine de la pomme de terre3 par exemple).

La saison 1 aborde sur les débuts de Victoria sur le trône, ses rapports avec sa mère, ainsi que sa relation d’amitié et de confiance avec Lord Melbourne, son Premier Ministre de 1835 à 1841.

Le Vicomte Melbourne (Rufus Sewell) porte sur la jeune reine un regard bienveillant et devient un ami autant qu’un conseiller. Victoria reste d’ailleurs très attachée à lui, même lorsqu’il quitte ses fonctions et cette relation tendre est bien écrite et jouée avec justesse (elle se poursuit d’ailleurs dans la saison 2, donnant lieu à des scènes très touchantes).

Dotée d’un caractère bien trempé, d’une éducation solide et d’une grande curiosité, qui la mène à s’investir réellement dans les problèmes d’état, Victoria parvient parfois à s’imposer face à ses conseillers et ministres, mais subit le plus souvent la pression de son entourage et des conventions de l’époque.

En effet, certaines coutumes tendent tout naturellement à considérer les femmes comme des êtres fragiles, innocents et purs, et Victoria est, par exemple, évincée de son propre trône le temps de se remettre de sa première grossesse.

En 1840, après avoir subi une grande pression quant au choix de son futur époux, Victoria tombe amoureuse d’un de ses cousins germains, Albert de Saxe-Cobourg-Gotha (Tom Hughes), une aubaine pour sa famille qui tente d’arranger le mariage.

Elle aura avec Albert neuf enfants et devra apprendre à jongler entre la maternité (qui n’était pourtant pas son fort, on dit même qu’elle en répugnait certains aspects) et le pouvoir, tandis que leurs rapports seront souvent houleux (saison 2). Le prince consort a en effet du mal à supporter de rester à la maison pendant que Madame règne sur un empire puissant ! Pour calmer ses crises d’égo, Victoria doit trouver un moyen de l’inclure dans la vie politique et lui donner un véritable statut d’égal, même s’il ne peut pas être vraiment roi4.

Dans la saison 2, ses très nombreuses disputes avec Albert sont malheureusement un des gros points faibles de la série, qui se concentre un peu trop souvent sur leur nature passionnée et impulsive et leurs problèmes de couple, plutôt que sur ceux de l’état. La saison 1, plus intéressante et dynamique, montrait une palette de sujets nettement plus variée et s’étalait sur moins de temps (6 ans pour la saison 2).

Par ailleurs, au fil des épisodes, l’affection des scénaristes pour le personnage de la jeune reine, palpable, devient un peu pesant. En effet, c’est l’empathie avec Victoria qui domine complètement caque épisode, quitte à ne pas totalement refléter la vérité.

On est assez loin, il est vrai, de l’austérité de la reine souvent rapportée dans les documents et portraits de l’époque. Néanmoins, dans un souci de réalisme, des spécialistes de la période victorienne, de l’étiquette et de la royauté britannique travaillent sur la série et Jenna Coleman s’est documentée sur le rôle en lisant, par exemple, les journaux intimes qu’écrivaient la reine.

Ainsi, sans parler d’anachronisme, on ressent quand même qu’une certaine modernité a été insufflée au récit, certainement dans un souci d’identification pour le public actuel et au détriment du personnage historique.

 

Mon bilan : La série a très bien commencé, en offrant des moments forts (couronnement, mariage, etc.), bien interprétés et dans des costumes et décors somptueux. À travers les personnages secondaires, certains sujets abordés sont à la fois passionnants et très (trop ?) modernes, comme par exemple l’homosexualité, dépeinte de manière poignante. Néanmoins, les intrigues de la saison 2, qui peinent à se renouveler, ont eu tendance à plomber les épisodes par trop de répétitions et de bons sentiments, mais aussi d’ellipses temporelles. À tel point qu’en faisant le bilan de cette saison 2, j’avais du mal à savoir ce qui s’y était passé. En se recentrant sur des évènements historiques et/ou politiques, la série gagnerait surement en intensité. La saison 3 devra donc marquer un vrai tournant et peut-être mieux embrasser son caractère historique, au risque sinon de devenir un soap. À suivre donc…

 

NOTES :

1  Édouard-Auguste de Grande-Bretagne de la Maison de Hanovre, le père de Victoria, est décédé avant son propre père. Ses trois frères, plus âgés que lui étaient donc les héritiers directs, mais n’ont pas eu de descendance (légitime du moins). C’est pourquoi, à la mort de son oncle, Guillaume IV (souverain de 1830 à 1837), Victoria accède au trône, faute d’héritier mâle.

2  Le règne le plus long pour un monarque britannique après celui d’Elisabeth II, l’actuelle Reine du Royaume-Uni depuis 66 ans.

3  Crise alimentaire des années 1840 qui a provoqué des millions de morts, à cause de la famine, à travers l’Europe et en particulier en Ecosse et en Irlande.

4  Le prince Albert s’est d’ailleurs véritablement investi dans la vie politique de son pays et a défendu de grandes causes, telle que l’abolition progressive de l’esclavage (loi votée par le Parlement en 1833, mais réellement effective quelques années plus tard, durant le règne de Victoria).

« Long live the TV ! » A propos des séries historiques britanniques, 3e partie

 

Pour continuer notre tour d’horizon des séries historiques britanniques (ou, j’insiste, sur l’histoire de l’Angleterre), je vais me diriger du côté des États-Unis, avec le série Reign.

Créée par Laurie McCarthy et Stéphanie Sengupta et diffusée à partir de 2013 sur la chaine The CW, Reign a duré quatre saisons (d’une vingtaine d’épisodes chacune). La série s’inspire très librement (très très librement) de la vie de Marie Stuart, reine d’Écosse de 1542 à 1567, et reine de France de 1559 à 1560, après son mariage avec François II, et se déroule entre trois pays : la France, l’Angleterre et l’Écosse. Le tournage a cependant eu lieu principalement à Toronto (question de prix !) et en Irlande (au Château d’Ashford).

Reign évoque donc la vie de Marie (Adelaide Kane), promise à François II (Toby Regbo), avec lequel elle sera mariée très peu de temps, car le jeune roi ne règnera qu’un an et demi avant sa mort, dans la série à l’âge de 20 ans (en réalité, à 16 ans).

Les âges ne sont pas les seuls éléments qui ne sont pas respectés dans cette série qui est plus un soap opéra, vaguement fantastique, qu’une série historique à proprement parlé. Il est néanmoins amusant et divertissant de repérer les évènements historiques/politiques/religieux, qui sont utilisés comme leviers pour relancer les histoires de cœur des personnages. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’amour, le sexe et les manipulations en tout genre sont au centre des épisodes, même si les personnages étant des rois, reines, princes et princesses, doivent aussi gérer quelques crises politiques !

Très peu réaliste historiquement parlant, Reign a cependant le mérite d’aborder un thème très à la mode en ce moment : le statut des femmes dans la société. En effet, la série montre bien les difficultés rencontrées par les femmes de l’époque, notamment lorsqu’elles accèdent au pouvoir (on retrouvera d’ailleurs ce thème dans Victoria ou encore dans The Crown que j’aborderai bientôt).

Marie est une jeune reine qui doit faire face aux jeux des alliances politiques (raison pour laquelle elle est mariée au roi de France en premier lieu) et à ses nombreux détracteurs. Elle n’est pas chez elle en France et ne peut pas y régner sans François (à sa mort, il est envisagé de la marier au petit frère de celui-ci, Charles, qui devient le roi Charles XI), mais elle n’a pas de légitimité non plus dans son propre pays. Pourtant, elle en est devenue reine a seulement six jours, à la mort de son père, Jacques V d’Écosse.

Dans la série, c’est son demi-frère James qui est régent en Écosse durant son absence (en réalité, c’est un peu plus compliqué que cela), mais, reine catholique dans un pays protestant, elle a bien du mal à retrouver sa place à son retour et à s’imposer face à certains fanatiques protestants comme John Knox (Jonathan Goad). Son second mariage avec un de ses cousins, Henry Stuart, dit Lord Darnley (Will Kemp), lui permet d’asseoir un peu son règne avec un héritier mâle, son fils, Jacques VI d’Écosse, qui règnera aussi sur l’Angleterre et l’Irlande (en tant que Jacques Ier, de 1567 à 1625), même si elle n’est alors pas du tout au bout de ses peines.

Reign est aussi l’histoire d’une rivalité sans borne entre Marie et sa cousine1, Elisabeth, reine d’Angleterre de 1558 à 1603. En effet, toutes deux issues de la lignée des Tudors (encore eux !), elles sont prétendantes au trône à la mort de Marie Tudor et ont chacune des soutiens puissants.

En devenant reine d’Angleterre, Elisabeth (Rachel Skarsten) connait les mêmes difficultés que sa cousine Marie (ce qui est montré principalement dans les saisons 3 et 4) : c’est une femme au pouvoir et beaucoup dans son pays désapprouve une reine protestante. Les coups d’état contre elles sont nombreux, notamment menés par les partisans de Marie Stuart (même sans qu’elle n’intervienne personnellement) et les deux reines sont constamment menacées et montées l’une contre l’autre.

Lorsqu’on connait un minimum l’histoire de Marie Stuart, on sait que les choses ne se sont pas vraiment bien terminées pour elle (Spoiler alert : elle est exécutée après 18 ans de prison par ordre de sa cousine). Cela n’empêche pas d’apprécier la série et le remplissage qu’elle propose avant cet évènement.

Évidemment, on est très loin de la vérité historique, tout est très romancé, et l’intervention du fantastique achève d’enfoncer le clou : le public visé n’est pas vraiment composé d’historiens puristes2 !

Les scénaristes ne se privent pas d’user et d’abuser d’anachronismes ou de transformer la réalité : les costumes (très beaux – à chaque apparition de Marie et sa suite, c’est un défilé de mode), les décors et les lieux, les évènements, sont tous plus ou moins adaptés pour plaire au public, plutôt que pour dépeindre l’époque de manière réaliste. Multipliant à chaque épisode les machinations de Catherine de Médicis (Megan Follows), que l’on adore détester, prête à tout pour que sa lignée (les Valois) règne éternellement sur la France, les complots politiques, les coups bas entre Marie et Elisabeth (aussi peste que Catherine), et les histoires sentimentales de tout le château, la cour de France (puis celles d’Angleterre et d’Écosse) ressemblent certes plus à un épisode de Melrose Place ou de Dallas qu’à un ouvrage d’histoire.

Mon bilan :

Alors pourquoi on regarde ? Malgré les intrigues qui tournent vite en rond et les dénouements tirés par les cheveux, la toile de fond historique est intéressante et plaisante. Les acteurs ne s’en sortent pas si mal, même si chaque épisode est un défilé de mannequins ! De plus, les tours et détours pris par le scénario pour mener à la fin inexorable de l’histoire (qui est respectée, pour le coup), permettent d’humaniser les personnages et de les rendre proches du spectateur. Ainsi, peut-être qu’après avoir vu Reign, certains seront curieux de savoir ce qu’il s’est vraiment passé. Un vrai plaisir coupable, totalement déconseillé pour les exposés sur l’histoire de France, d’Écosse et d’Angleterre !

 


1  Pour ce qui est de l’arbre généalogique, la grand-mère de Marie Stuart, Marguerite Tudor, était une des sœurs d’Henri VIII, père d’Elisabeth. Elles ne sont donc pas cousines germaines, mais cousines car elle possède un ancêtre en commun, ici, les parents d’Henri VIII et de Marguerite Tudor. La principale raison pour laquelle Marie est soutenue pour sa prétention au trône d’Angleterre est la religion d’Elisabeth, car les catholiques souhaitent laisser sur le trône une reine catholique, comme l’était Marie Tudor. Repoussée du testament de son père et emprisonnée par sa demi-sœur, Elisabeth accède néanmoins au trône après la mort de celle-ci. C’est ensuite le fils de Marie Stuart qui règnera sur l’Angleterre à la mort d’Elisabeth, marquant la fin de la lignée des Tudors car ni Marie, ni Elisabeth n’ont eu d’enfant.

2  Sur la chaine The CW, on retrouve des séries comme The Vampire Diaries ou encore Supernatural, le public est donc très ciblé (adolescents, jeunes adultes, public plutôt féminin).

« Long live the TV ! » A propos des séries historiques britanniques, 2e partie

Lire la première partie.

La série suivante que je vais évoquer est Downton Abbey. C’est tout autre chose avec cette série britannique très primée (créée par Julian Fellowes et diffusée de 2010 à 2015) qui suit la vie de la famille Crawley de 1912 à 1925 environ.

Entre les mauvais tours que se jouent les domestiques et la vie de la très guindée famille du Comte (Hugh Bonneville), jamais avare d’une remarque snob, la série réjouit par ses dialogues savoureux (surtout en version originale) et ses intrigues tantôt graves, tantôt légères.

L’histoire de l’Angleterre n’est qu’une toile de fond, certes, mais les évènements des premières décennies du XXème siècle ont quand même une influence sur le récit. En effet, l’histoire commence avec le naufrage du Titanic en 1912, se poursuit dans la saison 2 avec la Première Guerre mondiale et évoque les différentes mutations des années 1910-1920 (économiques, sociales, évolution des mœurs…).

Avec ses six saisons de 7 à 9 épisodes (et un film en préparation, a priori en tournage cette année), la série traitent de nombreux thèmes et, sans être militante, s’attaque à certains sujets brulants (encore de nos jours) tels que la condition des femmes, ou encore les transformations économiques d’une Angleterre figée dans un système de classe qui n’a plus lieu d’être à cette époque.

Ainsi, un personnage comme Lady Sybil (Jessica Brown Findlay), la cadette du Comte, qui choisit dans un premier temps de suivre une formation d’infirmière pour travailler et qui se marie ensuite avec le chauffeur (chocking !), incarne la nouvelle génération qui cherche à s’affranchir des codes vieillissants d’une société qui craint d’aller vers l’avant et regarde constamment vers le passé avec nostalgie.

Les remarques de la comtesse douairière, incarnée par la génialissime Maggie Smith, sont d’ailleurs récurrentes à ce sujet : elle s’étonne que Matthew Crawley ait un travail (job[1]) et plus frappant encore pour nous, spectateurs d’aujourd’hui, elle lui demande, non sans une certaine condescendance : « qu’est-ce qu’un week-end ? ».

Evidemment, même si le Comte ne passe pas ses journées à ne rien faire (contrairement à sa femme et ses filles par exemple), travailler est un terme obscur pour l’aristocratie britannique pour qui l’argent provient de leur titre, des lègues et des revenus des terres qui composent leur domaine. Downton Abbey permet d’ailleurs de maintenir de nombreux emplois pour les habitants des villages alentours du Yorkshire et sa survie économique est primordiale.

Un peu trop pétrie de bons sentiments à des moments, on est toutefois attendri par les épreuves difficiles (et rocambolesques) que traversent les Crawley comme leurs domestiques. Quelques personnages manquent un peu de nuances et peuvent rapidement sombrer dans la caricature, même si cela ne rend pas leurs coups bas moins réjouissants !

C’est le cas par exemple de Thomas (Rob James-Collier), au départ valet de pied, qui s’acharne sans raison sur d’autres domestiques et parvient toujours à s’en sortir et termine d’ailleurs la série avec le plus grand nombre de promotions, alors même qu’il aurait dû être virer des dizaines de fois ! De même pour Lady Mary (Michelle Dockery), dont la froideur, le snobisme et la méchanceté (surtout envers sa sœur) la rendent détestable, mais que les scénaristes parviennent à rendre attachante de temps en temps.

D’autres personnages tirent d’après  moi leur épingle du jeu et donnent vraiment toute sa saveur à la série : comme Tom Branson (Allen Leech), gendre du Comte (le fameux chauffeur) qui arrive toujours à assouplir les relations tendues entre les membres de la famille et qui a l’habitude de dire ce qu’il pense (n’en déplaise aux autres), ou encore Isobel Crawley (Penelope Wilton), la mère de Matthew, avec son bon cœur et son entêtement légendaire qui devient amie avec sa cousine, la comtesse douairière, malgré leur différence de classe et de milieu et leur esprit de compétition (et de contradiction !).

Pour le coup, il est intéressant de constater que mes personnages préférés sont deux outsiders, qui ne sont pas aristocrates de naissance. Ce sont eux qui perturbent le bon ordre de la famille, coincée et souvent orgueilleuse, et l’aident à redescendre sur terre lorsque les Crawley sont trop concentrés à admirer leur nombril.

Les intrigues ne sont pas toutes du même niveau, parfois un peu tirées par les cheveux ou un peu grosses pour être crédibles. D’autres abordent des thèmes plutôt originaux et intéressants : les conséquences socio-économiques de la Première Guerre mondiale (la mort de milliers de jeunes hommes, le retour des rescapés, les conditions de vie sur le front), les rapports entre les domestiques et la famille qu’ils servent (amitié, conflits) et plus généralement la gestion d’un domaine, la survie d’une dynastie, l’absurdité des lois sur l’héritage qui flouent les femmes… Tous ces sujets gravitent finalement autour d’un grand thème : l’Histoire de l’Angleterre et ses mœurs à une période donnée.

Mon bilan

Un vrai plaisir coupable ! Je peux enchaîner les épisodes sans jamais me lasser et en riant toujours autant des expressions et des accents very British, et de la méchanceté de certains personnages ! Côté Histoire, quelques références précises à des évènements historiques permettent d’établir un cadre temporel clair, ce qui est nécessaire étant donné les sauts dans le temps récurrents, même entre deux épisodes (et qui ne sont pas notifiés précisément). Pas nécessairement utile pour faire un exposé sur l’Histoire de l’Angleterre, mais une série à regarder sans modération !

Notes :

[1] Il est avocat. Son arrivée à Downton est plutôt mal vue dans un premier temps, car il est devenu héritier du titre de Comte par accident. En effet, le naufrage du Titanic a couté la vie à l’héritier direct. Le domaine et le titre, qui ne peuvent pas se transmettre aux femmes (entail ou fee tail) vont alors à un autre héritier mâle, même s’il s’agit d’un cousin éloigné, qui n’est pas lui-même aristocrate, et que personne ne connaît.

Une vie, un destin : « Godzilla » | Histoire du Cinéma – 1ère partie

Le monstre était indescriptible- aucun langage ne saurait rendre de tels chaos de folie immémoriale et hurlante, cette hideuse contradiction de toutes les lois de la matière, de l’énergie et de l’ordre cosmique. Grands dieux ! Une montagne se déplaçait lourdement[1].

[1] L’Appel de Cthulhu, H.P. Lovecraft, 1928 (trad. Jacques Papy)

Chez La Lettre à Jal on est toujours à la page, si, si, vraiment, alors on profite de la sortie Shin Godzilla au PIFF (deux ans après sa sortie japonaise) et Godzilla : Planet of the Monsters sur Netflix le 17 janvier pour revenir sur la carrière d’un des plus prestigieux (et écailleux) ambassadeur de la culture pop japonaise.

Godzilla fait partie de ces icônes de la culture pop immédiatement reconnaissable même pour les spectateurs qui n’ont jamais vu le moindre film de la saga. Sa crête dorsale, son crie iconique et sa démarche en ont fait un mythe cinématographique et ce dès 1954[1].

Toutefois, le monstre atomique n’est pourtant pas le premier saurien géant à parcourir les écrans en détruisant tout sur son passage (la figure de dinosaure était omniprésente dans le cinéma d’exploitation des années 50[2]),citons pêle-mêle : L’Île inconnue (Unknown Island) de Jack Bernhard (1948) et ses acteurs déguisés en dinosaure (une grande première dans le genre) ; Two Lost WorldsdeNorman Dawnv(1950) et ses dinosaures uniquement composés des rushs de Tumak fils de la jungle ; Lost Continentde Sam Newfield (1951) ; Le Monstre des temps perdus (The Beast from 20,000 Fathoms) d’Eugène Lourié (avec Ray Harryhaussen au effets spéciaux), sorti en 1953.

Non il ne s’agit pas des premières images de King Kong contre Godzilla, mais des créatures de L’Île inconnue.

En 1954 donc, après une bonne demi-douzaine de film à son actif, Inoshiro Honda (ami et assistant d’Akira Kurosawa, ça ne s’invente pas) rencontre son premier gros succès commercial pour le compte de la Toho avec Gojira(Godzilla en occident). Le film est un carton au Japon et un succès aux US, même la France[3], qui ne brille pourtant pas pour son attrait pour les monstres géants, réserve un bon accueil public au film avec 835 511 entrées (battant cette année-là les 614 372 entrées de L’ultime razzia de Kubrick[4]).

Avis du principal intéressé :

Qu’il est vulgaire ! [5]

Il est intéressant de se pencher sur ce qui a bien pu démarquer le film de Honda de ses prédécesseurs et ce qui a permis à sa créature de se hisser au panthéon du genre au côté d’un certain primate de Skull Island. King Kong,parlons-en justement.

En effet, la créature de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, s’inscrit dans le genre du film d’aventures (voir du pulp[6]) et, même si le gorille géant peut paraître effrayant au premier abord on finit forcément par éprouver de l’empathie à son égard. Honda quant à lui, va prendre le parti inverse et va faire de Godzilla le principal antagoniste d’un récit d’épouvante.

Du fait de son imagerie, on a tendance à réduire l’ensemble des kaiju eiga[7] à un genre kitsch et outrancier (ce qui est le cas de certains films, un simple tour sur Nanarland suffira à vous en convaincre), mais, les images-clefs du genre, contenus dès le Godzilla de 1954 prennent un tout autre sens dès lors que l’on a en tête le pessimisme à la limite de la misanthropie qui animait Honda.

Rappelons qu’en 1954, le Japon n’est pas encore une superpuissance économique, le pays se relève péniblement du conflit, est occupé par les Etats-Unis et les bombardements sont encore frais dans les mémoires, notamment ceux de Tokyo : entre 150 000 et 250 000 victimes civiles en trois jours via les bombes incendiaires de l’U.S Air Force,autant qu’à Hiroshima et Nagazaki.

Il ne faut alors pas s’étonner qu’Honda présente quelques-unes des images « les plus noires du cinéma japonais[8] » dans sa filmographie, dont beaucoup dans ses kaijus eiga où le monstre représente toujours la peur d’une force primitive, puissante et inarrêtable que ce soit l’atome ou les catastrophes naturelles, « cristallisant à la fois le traumatisme,un peuple hanté par la guerre et le désarroi du Japon moderne face à ses démons ancestraux[9] ».

Nous sommes dans un film où l’échelle humaine n’as plus de valeur, l’Homme est un insecte paniqué sans prise (ou presque[10]) sur les événements, un simple jouet. L’emploi des maquettes dans le genre, même s’il prête à rire et ouvre à une infinité de parodie, n’est pas innocent et participe à abstractiser le film. Honda augmente ici la charge poétique en le rapprochant du rêve ou du cauchemar[11], tout en réduisant les armées et les autorités à des morceaux de plastiques et de cartons« aux mains d’officier idiots, les mêmes qui, on peut  l’imaginer ont conduit le Japon à un suicide collectif [12]».

Godzilla fable politique ? La question mérite sérieusement d’être posée. Si les scènes de destruction sont volontiers outrancières le résultat sur la population est quant à lui toujours montré avec un grand souci de réalisme : la population hagarde qui fuit le long des routes, mouvements de foule, enfant passé au compteur Geiger, hôpitaux emplis des râles des mourants, autant de scènes qui ne dépareilleraient pas dans un film de guerre. On pourrait rapprocher la figure du kaiju japonaise à celle du fantôme dans le cinéma espagnol car, dans les deux cas, l’être surnaturel semble exprimer le refoulement historique, la part d’ombre d’une culture qui revient inlassablement à la surface, alors même qu’on essaye de la cacher.

D’ailleurs si les attributs principaux de la créature restent inchangés (posture, crie, crête), son caractère et ses origines ont, quant à eux, évolué en fonction des époques, des modes et notamment, ce qui sera le sujet de la prochaine partie, de l’Histoire et de la politique du Japon.

 À suivre ….  

Notes :

[1] Pas toujours le mythe le mieux connu des spectateurs cela dit, durant ma séance du Godzilla US de 2014, j’ai pu entendre à plusieurs reprises : « Mais depuis quand Godzilla il crache du feu !? » 

[2] Si la question vous intéresse je vous recommande chaudement le coffret Les dinosaures attaquent d’Artus Films

[3] Le film sort en 1957 en France.

[4] Pour avoir un ordre d’idée voici le TOP 3du box-office français de 1957 : Le Pont de la Rivière Kwai 13 476 469 entrées, Sissi 6 637 810 entrées, Sissi Impératrice 6 429 021 entrées (pour la source c’est ici : http://www.boxofficestory.com/box-office-france-1957-a113148092)

[5] Dans un souci de déontologie, je précise que cette image est réalisée sans trucage d’aucune sorte, c’est que chez la Lettre à Jal on fait du vrai journalisme de fond ma bonne dame !

[6] https://www.youtube.com/watch?v=qVqkoWHcFJk

[7] « Terme désignant un genre de film japonais mettant en scène des monstres, généralement géants. Si vous êtes un nippophile hardcore, vous pourrez toujours épater vos amis en leur expliquant que le kaiju eiga est un sous-genre du tokusatsu. Kaiju signifie en japonais, « monstre » ou « bête étrange », le terme exact pour désigner un monstre géant étant « daikaiju » http://www.nanarland.com/glossaire-lettre-K.html

[8] Nicolas Saada, La Saga Godzilla, livret accompagnant le DVD HK video.

[9] Idem.

[10] Pour détruire le monstre il faut construire une arme plus terrible encore.

[11] Le flash-back de la petite fille dans Gamera 3 : La Revanche d’Iris (probablement le meilleur kaiju-eiga jamais réalisé) pousse cette idée dans ses derniers retranchements.

[12]Nicolas Saada, La Saga Godzilla, livret accompagnant le DVD HK video.

Analyse Ciné : « Paprika » de Satoshi Kon (2005) ou « la guerre des rêves »

Les œuvres de Satoshi Kon se sont toujours démarquées par leurs réflexions sur la frontière poreuse qui sépare la réalité de la fiction.  Toutes ses créations, qu’il s’agisse de films (Perfect Blue) ou de séries (Paranoïa Agent), possèdent une dimension métatextuelle. Mais, l’œuvre la plus profonde et la plus intéressante du maître reste, sans nul doute possible, Paprika.

Le film narre l’invention d’une machine permettant d’accéder aux rêves. Cette dernière,  crée dans une perspective médicale et d’échanges entre les hommes, devient très vite un instrument de contrôle de l’inconscient.

Le principal tour de force de Paprika, ne repose pas uniquement sur la réflexion que l’auteur tisse sur notre rapport au réel et à la fiction. Satoshi Kon désirait que l’émotion devienne le principal vecteur de compréhension dans ses films, c’est-à-dire que le spectateur interprète le film par ses sentiments plutôt que de tenter de le rationaliser par sa pensée.

Le propos  de Paprika n’est alors pas de deviner si  telle scène se passe dans le monde « réel » ou dans celui des rêves, comme cela peut être le cas dans les films occidentaux. Ainsi, dès le début du film, le personnage de Paprika, à la sortie du rêve du commissaire Toshimi Konakawa, nous explique que : « Les rêves nocturnes sont des courts-métrages artistiques et les rêves matinaux, de longs métrages de divertissement. » Marquant le départ d’une des thématiques majeures du film à savoir : le parallèle entre le cinéma et le rêve, c’est-à-dire, le cinéma vu comme art onirique.

Une réflexion qui n’est pas sans rappeler celle d’Edgar Morin dans son livre Le cinéma ou l’homme imaginaire, où « le cinéma reflète la réalité, mais il est aussi autre chose, qui communique avec le rêve[1].» Le sociologue développe la thèse selon laquelle le cinéma, en tant qu’art du double, se pose d’emblée comme un art onirique, et ce, même si son but premier était de refléter la réalité (on pensera aux films des frères Lumière). Ces deux aspects pourraient sembler contradictoire, mais cette apparente dichotomie cache en réalité le fait que :

L’état filmique réalise lui aussi certaines conditions de l’état onirique. Même si la logique du principe de réalité (du fait du réalisme des images et peut-être aussi de l’environnement du spectateur) est plus poussée dans le film que dans le rêve (qui obéit à des processus tels que le déplacement et la condensation)[2].

Car le cinéma à l’instar du rêve tend à poser la réalité ce que l’on voit, même si le spectateur n’en est pas dupe sur la nature de ce qu’il est en train de vivre. Afin de mettre cette réflexion en avant, Satoshi Kon va abondamment utiliser le processus de mise en abyme dans Paprika.

Dans le monde du rêve présent dans le film, le cinéaste décompose le processus  même de fiction. Nous assistons au détour d’une scène à un véritable cours de cinéma de la part du commissaire Konakawa (par ailleurs grimé en Akira Kurosawa) sur la règle des 180°,  qui est alors utilisé à l’image, le cinéaste mettant ainsi le cinéma et le rêve au même niveau. De plus, les personnages semblent savoir qu’ils sont dans un(e) rêve/fiction,  comme en témoigne, les multiples scènes ou ils jaillissent d’écrans et de caméras. 

On retiendra particulièrement la séquence ou Konakawa (support privilégié du spectateur), se soûlant dans un bar virtuel déclare : « Je suis soûl. Mais le fait d’en être conscient prouve que je ne le suis pas. » Image qui renvoie bien sûr au spectateur devant l’écran, face à la fiction, il adhère à la diégèse mais il sait pertinemment que ce qu’il regarde n’est pas la réalité.

Le cinéma est un art onirique, à ce titre il a pour trait commun avec le rêve de nous mettre face à notre double, il permet  donc de nous faire expérimenter l’altérité. En effet, pour citer Jacques Rancière : « L’altérité entre dans la composition même des images [3] », qu’elle soit d’origine onirique ou cinématographique. Le cinéma nous met donc face à notre double, cet autre qui est un « Je ».

L’altérité nous permet de nous opposer à la surmodernité, processus qui cherche à éliminer l’individu. C’est-à-dire à créer, dans une perspective de consommation effrénée, des pantins tout à fait interchangeables, dépourvus de la moindre réflexion et donc sans singularité aucune.

Or, le double permet justement « d’éprouver d’autres imaginations et d’autres imaginaires [4] » et « dans cette image fondamentale de lui-même, l’homme a projeté tous ses désirs et ses craintes, comme du reste sa méchanceté et sa bonté, son « sur-moi » et son « soi » […]. Avant d’y projeter ses terreurs, l’homme a d’abord fixé sur le double toutes les ambitions de sa vie – l’ubiquité, le pouvoir de métamorphoses, l’omnipotence magique – et l’ambition fondamentale de sa mort : l’immortalité [5]. »

Idée que l’on retrouve bel et bien dans le film de Satoshi Kon, notamment avec la relation entre Paprika, personnage fantasque et joyeux, et sa véritable personnalité Atsuko Chiba, femme froide et cartésienne qui semble dépourvue de la moindre fantaisie. Les deux personnages, aux personnalités diamétralement opposées mais pourtant complémentaires, se font échos jusqu’à finalement acquérir leur autonomie réciproque durant le climax. Ainsi, l’ensemble de Paprika est parcouru par un réseau complexe de dédoublements, d’échos et d’analogies entre les personnages, tant sur le plan thématique que visuel.

Tous les personnages de Paprika possèdent un double. Le duo le plus évident est bien sûr Paprika/Atsuko que nous venons de voir, cependant, certains sont plus diffus mais tout aussi intéressants, notamment celui du commissaire Konakawa. Dès le pré-générique, le personnage est confronté à ses doubles lors d’un rêve récurrent. Il s’agit de la réminiscence d’un traumatisme lié à la mort d’un ami proche, qu’il appelle d’ailleurs son « alter-ego ». Perte dont le policier se sent coupable car il a abandonné la réalisation de leur film de gangster.

Le rêve et le cinéma lui permettront donc, dans un élan cathartique, le confrontant justement à l’altérité, de dépasser son traumatisme afin de sauver Paprika durant une scène emblématique où le personnage traverse l’écran d’un cinéma où le rêve de Atsuko/Paprika est projeté. Il sera épaulé dans cette tâche par deux barmans, qui ne sont autres que Satoshi Kon lui-même et l’auteur du roman original Yasutaka Tsutsui. De façon plus concrète, cette réflexion se traduit visuellement dans le film, par un jeu sur les reflets, les miroirs et les écrans.

Or, selon Marc Augé « les nouvelles techniques de la communication et de l’image rendent le rapport à l’autre de plus en plus abstrait […]. La substitution des médias aux médiations contient ainsi en elle-même une possibilité de violence[6]. »

Cette citation, s’applique parfaitement au « DC Mini », la machine permettant d’accéder aux rêves. En effet, à l’instar d’internet (Paprika fait d’ailleurs un parallèle entre les deux inventions) le «DC Mini » à été crée par le docteur Tokita, génie obèse et otaku affirmé, justement dans une perspective de communication entre les hommes. Néanmoins, les deux inventions, bien qu’étant toutes deux des outils formidables ouvrant des perspectives grandioses, sont très vite utilisées à des fins de contrôle.

Ainsi, ce qui devait être un moyen de fédérer les hommes, finit par les opposer, car les coupant de toute altérité, faisant le jeu de la surmodernité. Satoshi Kon ne juge pas l’invention ou l’inventeur, mais bien l’emploi que l’on peut faire d’une telle arme, car le « DC Mini » est bel et bien un instrument de contrôle de l’inconscient. Or, pour le cinéaste, le seul moyen efficace de lutter contre la surmodernité semble être l’altérité, que l’on peut atteindre dans la liberté du rêve, par le cinéma, ou en faisant confiance à l’« Autre ».

Ainsi, lors du climax en tout point apocalyptique du film, les personnages parviennent à gagner l’indépendance du monde du rêve uniquement par la fusion symbolique entre Paprika, Atsuko et Tokita, donnant naissance à un nouvel être, « un enfant divin ».

Avant de décortiquer les solutions concrètes qu’apportent Satoshi Kon pour lutter contre la surmodernité, il convient, tout d’abord, de voir de quelles manières il la représente visuellement. Il s’agit d’une notion abstraite qu’il semble très difficile de représenter et encore moins de personnifier, pourtant, et c’est en cela que réside le talent du cinéaste, la surmodernité est bel et bien visible dans le film, et sous plusieurs formes.

Ce principe abstrait trouve sa parfaite illustration, dans la « parade », rêve mégalomaniaque d’un esprit délirant, qui parcourt tout le film. Or, si nous étudions en détails les êtres fantasmagoriques qui la composent nous voyons, outre les créatures chimériques, des objets de consommation tels que des téléviseurs, des téléphones portables ou même des réfrigérateurs, comme si la société de consommation trouvait sa parfaite représentation anthropomorphique et se mettait à envahir l’inconscient humain.

Durant le final de Paprika, la réalité et le rêve finisse par se confondre et la « parade » envahit alors le monde réel en entraînant une véritable hystérie collective parmi la population, certaines personnes finissent même par se transformer en objets de consommation, la plus notable de ces métamorphoses étant celle de jeunes filles en téléphones portables, tandis que des adolescents se muent, quant à eux, en appareils photographiques capturant ce qui se trouve sous leurs jupes.

Satoshi Kon avait déjà utilisé un procédé similaire dans sa série Paranoïa Agent, où l’image télévisuelle, représentée par une vague noire déferlante, se mettait à envahir l’ensemble de la réalité. De plus, dans Paprika, la « parade » viole même le dernier lieu encore épargné par la surmodernité, la salle de cinéma, mettant à mal le caractère calme et solennel, touchant au rituel, que le cinéma pouvait encore avoir, et qui induisait d’ailleurs l’altérité.

Quelles sont les alternatives viables, en dehors de l’altérité que Kon oppose à la surmodernité ? La solution est sans appel, il s’agit du cinéma.

Bien loin de n’être qu’un rêve par procuration, c’est la puissance d’évocation du cinéma et son pouvoir cathartique qui font de lui un moyen de lutte. On notera dans Paprika, que le commissaire Konakawa, déclare pendant une grande partie du métrage qu’il déteste le cinéma.

Or, non content d’apprécier le 7eme art, Konakawa possède aussi d’importante notion de réalisation. Il est ainsi le médiateur privilégié, à la fois entre le film et le spectateur, mais également entre le cinéma et le monde du rêve. C’est donc tout naturellement qu’il parvient à résoudre son traumatisme en revoyant un extrait de son film inachevé, le renvoyant à son « alter-ego » et donc à l’altérité.

De son côté, Paprika, quant à elle, semble apprécier d’emblée le cinéma, tant et si bien qu’à l’instar de bien des personnages facétieux de cartoon elle n’hésite pas à se transformer en ses personnages favoris, comme une sirène, une fée, le Roi singe, ou encore Pinocchio. De plus, ces  personnages liés aux contes, sont tous des personnages de « fripon divin » (archétype développé dans le livre éponyme de Jung), où trickster en anglais, c’est à dire des personnages espiègles faisant office de médiateurs entre deux mondes.

De son côté, Konakawa est un amateur de cinéma  populaire, représenté dans le film par un récit d’espionnage, une romance, une séquence tirée d’un film d’aventure ou encore le film policier (mise en abîme évidente à nouveau). Ainsi, on peut se demander si le cinéaste ne cherche pas à démontrer toute la noblesse du cinéma populaire, dans lequel il avait déjà rendu un vibrant hommage dans Millenium Actress. C’est peut être précisément par son caractère populaire et marqué par les conventions génériques, que le cinéma de genre est le plus à même de critiquer le régime d’image dominant sous couvert de divertissement (on peut penser au cinéma subversif de John Carpenter, ou encore de Paul Verhoeven).

A l’instar de son personnage principal, Paprika est une œuvre protéiforme, aux multiples degrés de lecture. De fait,  le film de Satoshi Kon oppose  bien sûr le caractère univoque de la surmodernité, générateur d’individualisme, à l’altérité qui induit des échanges entre les hommes.

Or, l’altérité peut être atteinte par l’intermédiaire du rêve, de l’«Autre », et bien sûr du cinéma. Satoshi Kon a compris d’emblée que, par essence, le cinéma est un art onirique, et il nous le prouve d’ailleurs dès le générique qui ouvre le film, invitant le spectateur à mettre au même plan le cinéma et le rêve, la réalité et la fiction, en lui proposant de se laisser porter par l’euphorie du rêve sur pellicule.

Bibliographie :

  • Augé (Marc), Non-lieux : Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, coll. La Librairie du XXe Siècle, Paris, 1992.
  • Augé (Marc), La guerre des rêves : exercices d’ethno-fiction, Éditions du Seuil, coll. La Librairie du XXe Siècle, Paris, 1997.
  • Aumont (Jacques), L’image, Éditions Nathan, Paris, 1990.
  • Barthes (Roland), « Civilisation de l’image » in, Roland Barthes œuvres complètes Tome 1 1942-1965, Éditions du Seuil, Paris, 1993.
  • Didi-Huberman (Georges), « Restitutions » in, Penser l’image, Les presses du réel, coll. Perceptions, Paris, 2010.
  • Kriegk (Jean-Samuel) et Launier (Jean-Jacques), Art ludique, Sonatine Éditions, Paris, 2011.
  • Morin (Edgar), Le cinéma ou l’homme imaginaire, Éditions Gonthier, Paris, 1965.
  • Rancière (Jacques), Le partage du sensible, La fabrique éditions, Paris, 2000.
  • Rancière (Jacques), Le destin des images, La fabrique éditions, Paris, 2003.
  • Rancière (Jacques), Le spectateur émancipé, La fabrique éditions, Paris, 2008.

Notes de bas de page : 

[1] Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Editions Gonthier, Paris, 1965, p. 11.
[2] Marc Augé, La guerre des rêves : exercices d’ethno-fiction, Editions du Seuil, coll. La Librairie du XXe Siècle, Paris, 1997, p. 143.
[3] Jacques Rancière, Le destin des images, La fabrique éditions, Paris, 2003, p.11.
[4] Edgar Morin, op. cit. , p. 66.
[5] Marc Augé, op. cit. , p. 150.
[6] Ibid.,  p. 28.

Critique Nanar : « Flic ou Ninja » de Godfrey Ho

Après avoir été violée par une bande, une jeune fille traumatisée remonte la filière d’un gang de yakuza afin de venger cet acte en réalité prémédité. Voici le résumé du scénario de Flic ou Ninja, et à première vue rien ne prête à rire. Et pourtant …

Dès l’introduction, la mise en scène chaotique, la maladresse des acteurs, le montage parallèle incompréhensible, (sans parler des jolis coloriages sur les visages des agresseurs) tous ces éléments surgissent pour notre plus grand plaisir. Mais quelque chose laisse tout de même perplexe, car la scène filmée est tout de même censée être un viol (et c’est pas bien de violer à ce qui paraît …)

Mais mieux vaut ne pas en tenir compte et mettre sa conscience sur stand-by, pour apprécier le film à sa juste valeur ! Ici, nous sommes en présence d’un film de Godfrey Ho, le maître du nanar à la hongkongaise. Certes Flic ou Ninja est le premier et le seul film que j’ai vu de ce réalisateur mais je ne doute pas qu’il ait acquis sa renommée par hasard.

Et ici, l’amorce du scénario n’est que le prétexte pour développer une énième histoire de vengeance. Il faut dire que c’est pratique pour un film de ninja : le gentil veut buter le grand méchant parce que celui-ci lui a fait un truc de mal. Donc si le méchant tue le gentil, ça fait pas de lui un méchant, même s’il tue tous les sbires du grand méchant qui n’ont rien demandé à personne. Toutefois, Flic ou Ninja recèle une petite particularité : cette fois, c’est une femme qui souhaite se venger.

Mais n’y voyait la marque d’aucune représentation féministe. Cette femme, du nom de Rose, charme ses ennemis pour les tuer (oh, la salope !), exploite un simple d’esprit comme homme de main (oh, la traînée !) et elle a même largué quelque années plus tôt un inspecteur d’Interpol (oh, la pute !) Mais elle n’est pas méchante puisqu’elle se venge.

C’est vrai ! Elle le montre d’ailleurs remarquablement dans une scène où toute l’émotion du film est concentrée. Prise dans un piège tendu par les yakuzas, elle sauve le brave demeuré qu’elle a recueilli en prenant sa place comme condamnée à la décapitation.

Mais le brave imbécile beugle (même si on ne l’avait jamais entendu avant), il beugle de toutes ses forces car il ne veut pas la voir mourir. Et là, Rose a ses quelques mots : « Je sais, tu es amoureuse de moi mais tu n’a jamais osé me le dire parce que tu es trop timide. » Et le demeuré acquiesce. Et on comprend alors que si elle l’exploite, c’est bien parce qu’il le veut (quel con décidément !)

Ah quelle poésie ! Décidément, la déficience mentale vu par Godfrey Ho, c’est marrant à voir, parce que c’est vraiment traité à la va vite. En fait, le réalisateur aurait très bien pu remplacer le neuneu par une vache que ça n’aurait pas changer grand-chose.

Car c’est comme tout le reste : ça ne sert que de toile de fond pour faire des scènes d’actions avec des gros hommes musclés (car comme dirait quelqu’un, le muscle c’est Maracas !)

Et on le voit d’ailleurs dans cette scène, les deux personnages sont sur le point de se faire tuer quand arrive soudain le véritable héros du film. Il s’agit de George, l’ex-petit ami de Rose travaillant à Interpol et qui enquête sur les meurtres de celle-ci, et lui prête aussi main forte au passage.

Mais bizarrement, il n’y a pas tant de baston que ça. Les scénaristes du film (encore des gens payés à rien foutre) ont essayé de développer une histoire de règlement de compte entre yakuzas autour (si j’ai bien compris) d’un trafic de diamants histoire de trouver une bonne raison pour que ça se figthte, et ils ont essayé de lier une histoire de viol à tout ça.

En fait, Rose a été violée pour faire payer une faute a quelqu’un, mais du coup sa vengeance vient foutre la merde. Mais c’est aussi le cas dans nos esprits parce qu’au plus on avance dans le film, au plus on se perd au milieu de ces deux scénarios parallèles. Et les éléments qui finissent par se révéler juste avant le combat final n’ont finalement plus aucun impact sur notre esprit amorphe, bloqué dans une sorte de labyrinthe mental et psychédélique.

Mais le pire dans tout ça, c’est que même les scènes d’actions sont mal filmées. Déjà peu nombreuses, elle se concentrent sur un étrange ninja occidental (c’est Bruce Baron, l’acteur fétiche de Ho.) Parachuté dans le récit, il s’agit en fait du chef de George qui l’aide quand ça lui prend en tuant tour à tour quelques ninjas du clan des méchants, liés au yakuzas (forcément.)

Que reste-t-il donc ? Et bien vraiment pas grand-chose, d’autant que les acteurs n’ont aucun charisme (et un énorme merci aux voix françaises qui leur rendent bien) à tel point qu’on finit par avoir du mal à les distinguer. Et ça n’arrange rien à la compréhension, à tel point que suivre ce film devient une épreuve de concentration. Mais après tout, c’est sans doute le plus grand intérêt qu’on puisse lui attribuer.

Salaryman

N.B.1 : Afin de compléter votre point de vue sur la question, je vous renvois à la très bonne critique-fleuve réalisée par Nikita du site nanarland.com : http://www.nanarland.com/Chroniques/Main.php?id_film=flicouninja

N.B.2 : Bon, j’ai un peu torchée cette critique (si, si, ça se voit, dîtes pas le contraire.) Mais ça fait longtemps que j’ai plus revu ce film. Ma critique est donc en ligne car nous sommes en juin, mais je ne tarderai pas de la compléter une fois que j’aurais regardé ce chef-d’œuvre de nouveau … Désolé !

N.B.3 : C’est pas parce que je défends les rôles de filles dans les films face aux gros musclés à moustache que je suis forcément homosexuel ou intello …

5 Telenovelas qui vous aideront avec votre espagnol !

5 Telenovelas qui vous aideront avec votre espagnol

Nouvelle année, nouveau défi. Ca fait un petit moment que vous voulez vous remettre à l’espagnol. Vous avez déjà regardé toutes les bonnes séries hispanophones du genre Vis à Vis (2015 – 2019), En Terapia (2012 – 2014), La Casa de Papel (2017 – ), ou Elite (2018 – ), et vous n’avez pas l’impression d’avoir vraiment avancé dans votre remise à niveau de la langue parce que vous les avez regardé en VF ou en VOSTFR.

Que faire pour vraiment vous améliorer en 2020 ?

Le secret est en fait de trouver une série qui est assez intéressante pour vouloir continuer à la regarder, mais assez nulle pour ne pas ressentir le besoin de comprendre tous les petits détails et ainsi la regarder en VO, avec des sous-titres en espagnol si vraiment nécessaire. Les telenovelas sont parfaites pour cet exercice.

Et voici mes 5 préférées.

La Reina Del Sur (celle avec Kate del Castillo) (2011 – ?)

Pure et dure telenovela mexicaine (et américaine et colombienne officiellement). 

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:1447106986_345549_1447107620_noticia_normal.jpg

La première saison a été tournée avec les moyens de Telemundo ; la deuxième avec l’aide financière de Netflix, donc elle monte d’un petit niveau. On finit par rentrer dans l’histoire et être accro, malgré la qualité de base qui laisse à désirer parce que: « c’est tellement nulle, que ça en devient génial » (phrase qui au fond n’a pas de sens).

Synopsis: Teresa Mendoza, jeune femme d’une vingtaine d’années, doit fuir Culiacán quand son petit copain, un trafiquant de drogue, est tué par le cartel de Sinaloa. 

Alors oui, c’est très cliché comme pitch, je vous l’accorde. Mais, dans le style telenovela, la série est plutôt féministe : cette femme finit par devenir la plus grande trafiquante de drogue au monde, La Reina Del Sur. Certes, elle court et saute des barrières en talons et décolletés, mais les sœurs Halliwell et Buffy le faisaient aussi pour sa défense. 

En prime, vous apprendrez tout plein de nouvelles expressions mexicaines (surtout des jurons, on ne va pas se mentir).

La Casa de las Flores (2018 – ?)

Série/telenovela mexicaine.

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:AAAABSdBic_u8LEzREM3dG7v0_rEaRjqt0VhhEmvE8M1fLLBpNEZNfiGchXIcr5Zsz327u7gPt5N4tk_6AY7PX3sEFKQtl2YDDPrDnxtQYPa40kjlf5oejHij5Jpf_Z9Ww.jpg

Synopsis: Une famille de fleuristes riche organise une grande fête pour l’anniversaire du père, Ernesto de la Mora. La maîtresse de ce dernier décide de se suicider dans la boutique pendant que les invités profitent des festivités. Ce drame apporte toute une avalanche d’autres péripéties pour la famille de la Mora, qui n’est pas au bout de ses peines.

L’originalité de cette telenovela est qu’elle met en valeur la culture LGBTIQ+ du Mexique sans que ce ne soit le seul sujet de la série. Elle a des personnages avec des caractères très théâtraux sans qu’ils soient trop dans le cliché non plus. Ils ont aussi tous des âges différents, ce qui donne une variété de vocabulaire assez intéressante. (Je parie que d’ici à la fin de la première saison, vous utiliserez l’expression « no mames » dans votre quotidien.)

La Reina Del Flow (2018 – ?)

Telenovela colombienne.

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:1165662.jpg

Synopsis : Yeimy Montoya, adolescente passionnée de musique, rêve de percer dans le milieu mais est très timide et peu sûre d’elle. Elle commence à écrire pour deux camarades de classe, Charly et Juancho, voulant aussi faire carrière dans la chanson. Cependant, ces garçons font aussi partie d’un réseau de trafic de drogue de Medellín. Yeimy se retrouve à purger une peine de prison à cause de Charly et promet de se venger à sa sortie. Le jour de sa libération est arrivé.

Si vous aimez le reggaeton, et les histoires de narcos, d’amour et de vengeance, vous devriez être servis ! Le petit plus de cette série est qu’elle est colombienne, donc avec l’accent de Colombie et son vocabulaire. Si vous planifiez un voyage dans ce pays, elle vous donne la possibilité de vous faire à leur parler en 82 épisodes (pour le moment).

Gran Hotel (2011 – 2013)

Série espagnole aux airs de telenovela.

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:0232015A06048842-c1-photo-grand-hotel-saison-2.jpg

Synopsis : Nous sommes au début du XXe siècle chez une famille riche et propriétaire d’un grand hôtel de luxe à Cantaloa. Un jeune homme, Julio Olmedo, vient s’infiltrer dans l’hôtel pour enquêter sur la disparition de sa sœur. S’en suit de nombreuses découvertes, de nombreux rebondissements, et de nombreuses histoires d’amour.

Après quelques épisodes, malgré toutes les fibres de votre corps vous demandant pourquoi vous regardez une telle histoire romantique digne des Feux de l’Amour, vous aurez envie de savoir où est la sœur de Julio et qui va finir par contrôler l’hôtel.

L’avantage : les dialogues étant énormément dans la romance et d’un « ancien » temps, il est très facile de suivre ce qui se passe.

Galerías Velvet (2014 – 2016)

Série espagnole dans la même veine.

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:ob_c90073_velvet.jpg

Synopsis : Nous sommes à Madrid dans les années 1950, Alberto Márquez se retrouve à la tête de galeries de vêtements de haute couture après le suicide de son père, propriétaire de ces galeries. En reprenant les rênes, il se rend compte que les finances de l’entreprise ne se portent pas très bien et décide coûte que coûte de les remettre en état.

Si vous avez aimé Gran Hotel, vous aimerez Galerías Velvet. Vous retrouvez la moitié du casting, et la trame de fond est à peu près la même. Et si vous en voulez encore, un spin-off de la série est sorti, Velvet Colección (2017 – 2019), ainsi qu’un film Velvet : Una Navidad para recordar (2019).

Les trois séries ainsi que le film ont été écrits par Ramón Campos et Gema R. Neira, aussi créateurs de Las Chicas del Cable (2017 – ?) sur Netflix.

Sur ce, je vous souhaite un bon visionnage et apprentissage ¡ hasta luego güeys y feliz año nuevo !

Deleuze : Qu’est-ce que l’acte de création ?

Retranscription texte :

Qu’est-ce que l’acte de création ?
Conférence de Gilles Deleuze à la FEMIS (1987)

Je voudrais, moi aussi, poser des questions. Et en poser à vous, et en poser à moi-même. Ce serait, heu…, ce serait du genre : qu’est-ce que vous faîtes au juste, vous qui faîtes du cinéma ? Et moi, qu’est-ce que je fais au juste quand je fais ou quand j’espère faire de la philosophie ?

Eh ! Est-ce que l’on a quelque chose à se dire, en fonction de cela ?

Alors bien sur, cela va mal chez vous, mais ca va très mal aussi chez moi [rires], et c’est pas seulement ca qu’on aurait à se dire – ou bien je pourrais poser la question autrement :

« Qu’est-ce que c’est avoir une idée au cinéma ? » Si l’on fait du cinéma, ou si l’on veut faire du cinéma : « Qu’est-ce que c’est avoir une idée ?« 

Alors ce qu’on dit : tiens, j’ai une idée. Alors parce que d’une part tout le monde sait bien qu’avoir une idée, c’est un événement rare, ca arrive rarement, avoir une idée c’est une espèce de fête.

Mais ce n’est pas courant. Et, d’autre part, avoir une idée, c’est pas quelque chose de général, on n’a pas une idée en général. Une idée, elle est déjà vouée, tout comme celui qui a l’idée, est déjà à tel auteur, domaine.

Je veux dire que une idée, c’est tantôt une idée en peinture, tantôt une idée en roman, tantôt une idée en philosophie, tantôt une idée en science. Et c’est évidemment pas le même qui peut avoir tout ça.

Si vous voulez, les idées, il faut les traiter comme des espèces de potentiels, les idées se sont des potentiels, mais des potentiels déjà engagés dans tel ou tel mode d’expression.

Et inséparable du mode d’expression, si bien que je ne peux pas dire : j’ai une idée en général. En fonction des techniques que je connais, je peux avoir une idée dans tel domaine, une idée en cinéma, ou bien un autre, une idée en philosophie.

Qu’est-ce qu’avoir une idée en quelque chose ?

Donc, je reparle de, du fait que je fais de la philosophie, vous faites du cinéma. Alors, ce serait trop facile de dire ben oui, la philosophie tout le monde sait qu’elle est prête à réfléchir sur n’importe quoi. Donc, pourquoi elle réfléchirait pas sur le cinéma ?

Or, c’est une idée indigne ; la philosophie n’est pas faite pour réfléchir sur n’importe quoi. Elle n’est pas faite pour réfléchir sur autre chose. je veux dire, en traitant la philosophie comme une puissance de réfléchir sur, on a l’air de lui donner beaucoup et en fait, on lui retire tout.

Car personne n’a besoin de la philosophie pour réfléchir. Je veux dire, les seuls gens capables, effectivement, de réfléchir sur le cinéma, se sont les cinéastes, ou les critiques de cinéma, ou ceux qui aiment le cinéma. Ils n’ont absolument pas besoin de la philosophie pour réfléchir sur le cinéma.

L’idée que les mathématiciens auraient besoin de la philosophie pour réfléchir sur les mathématiques est une idée comique. Si la philosophie devrait réfléchir sur quelque chose, mais elle n’aurait aucune raison d’exister.

Si la philosophie existe, c’est qu’elle a son propre contenu. Si nous nous demandons : qu’est-ce que le contenu de la philosophie ? il est tout simple.

C’est que la philosophie est une discipline aussi créatrice, aussi inventive que toute autre discipline. La philosophie est une discipline qui consiste à créer ou à inventer des concepts. Et les concepts, ça n’existe pas tout fait, et les concepts ca n’existe pas dans une espèce de ciel où ils attendraient qu’un philosophe les saisissent. Les concepts, il faut les fabriquer. Alors, bien sur, ca ne se fabrique pas comme ça, on ne se dit pas un jour : “Tiens, je vais faire tel concept, je vais inventer tel concept“.

Pas plus qu’un peintre ne se dit un jour “ tiens, je vais faire un tableau comme ça“.

Il faut qu’il y ait une nécessité. Mais autant en philosophie qu’ailleurs, tout comme un cinéaste ne se dit pas “tiens, je vais faire tel film“, il faut qu’il y ait une nécessité, sinon il n’y a rien du tout.

Reste que cette nécessité qui est une chose très complexe, si elle existe, elle fait que, un philosophe je sais au moins de quoi il s’occupe, il ne s’occupe de réfléchir même sur le cinéma.

Il se propose d’inventer, de créer, des concepts. Je dis que je fais de la philosophie, c’est à dire, j’essaie d’inventer des concepts.

J’essaie pas de réfléchir sur autre chose. Si je dis, vous qui faites du cinéma, qu’est-ce que vous faites ? Je prends une définition aussi puérile, donc accordez la moi, il y en a sûrement d’autres et de meilleures.

Je dirai juste ce que vous inventez, ce n’est pas des concepts, ce n’est pas votre affaire, ce que vous inventez c’est ce que l’on pourrait appeler des blocs de mouvements-durée. Si on fabrique un bloc de mouvements-durée, peut-être que c’est …, que… on fait du cinéma.

Remarquez, il n’y a pas question d’invoquer une histoire ou de la récuser. Tout a une histoire. La philosophie aussi raconte des histoires. Elle raconte des histoires, des histoires avec des concepts. Le cinéma, je pense, mettons, supposons, qu’il raconte des histoires avec des blocs de mouvements-durée.

Je peux dire que la peinture invente, elle, c’est un tout autre type de blocs, c’est ni des blocs de concepts, ni des blocs de mouvements-durée, mais supposons que ce soit des blocs de lignes-couleurs.

La musique invente un autre type de bloc très très particulier, bon. Mais je dis dans tout ça, la science elle est non moins, vous savez, la science elle est non moins créatrice, je ne vois pas tellement d’opposition entre les sciences, les arts, tout ça.

Si je demande à un savant : qu’est-ce qu’il fait ? Là aussi, il invente, il ne découvre pas, un savant ou du moins la découverte ça existe, mais ça en fait partie, mais ce n’est pas par là que l’on définit une actualité scientifique en tant que telle.

Un savant, il a inventé, il crée autant qu’un artiste. Alors bon … Alors pour aller aussi, pour en rester dans des définitions aussi sommaires que celles dont je suis parti, tout de même, un savant, vous savez, c’est quelqu’un, c’est pas compliqué, c’est quelqu’un qui invente ou qui crée des fonctions, et il n’y a que lui.

Il ne crée pas des concepts, un savant en tant que savant n’a rien à faire avec des concepts, c’est même pour ça, heureusement qu’il y a de la philosophie. En revanche, il y a quelque chose qu’un savant est seul, un savant sait faire : inventer et créer des fonctions.

Alors, qu’est-ce que c’est qu’une fonction ? ça on pourrait le définir aussi simplement que j’ai essayé, puisqu’on en reste vraiment au plus rudimentaire, quoi. Pas du tout parce ce que vous ne comprendriez pas plus, mais parce que c’est moi qui serait déjà dépassé c’est…

Et puis, il n’y a pas lieu pour ce que je veux vous dire aujourd’hui, il n’y a pas lieu d’aller plus loin. Euh…, j’irai au plus simple : une fonction, qu’est-ce que c’est ? Y a fonction dès qu’il y a mise en correspondance réglée de deux ensembles au moins. La notion de base de la science, et pas depuis hier, mais depuis très très longtemps, la notion de base de la science est celle d’ensembles, et un ensemble c’est complètement différent d’un concept, cela n’a rien à voir avec un concept.

Et dés que vous mettez en corrélation réglée des ensembles, vous obtenez des fonctions, et vous pouvez dire : je fais de la science. Heu… Et si n’importe qui peut parler à n’importe qui, si un cinéaste peut parler à un homme de science, si un homme de science peut avoir quelque chose à dire à un philosophe et inversement, c’est dans la mesure où, et en fonction de leur activité créatrice à chacun, non pas qu’il y ait lieu de parler de la création, la création c’est plutôt quelque chose de très solitaire, et de . , non pas qu’il y ait lieu de parler de la création, mais c’est au nom de ma création que j’ai quelque chose à dire à quelqu’un.

Et si j’alignais alors toutes ces disciplines qui se définissent par leur activité créatrice, si je les alignais, je dirai bien qu’il y a une limite qui leur est commune, et la limite qui est commune à toutes ces séries, à toutes ces séries d’inventions – inventions de fonctions, inventions de blocs durée-mouvement, inventions de concepts etc.. – la série qui est commune à tout ça ou la limite de tout ça, c’est quoi ?

C’est l’espace-temps. si bien que si toutes les disciplines communiquent ensemble, c’est au niveau de ce qui ne se dégage jamais pour soi-même, mais qui est comme engagé dans toute discipline créatrice, à savoir la constitution des espace-temps.

Bresson, bon, c’est très connu, il y a rarement des espaces entiers chez Bresson. C’est des espaces qu’on appeler déconnectés.

C’est à dire, il y a un coin, par exemple, le coin d’une cellule, et puis on verra un autre coin ou bien un endroit de la paroi etc., tout ce passe comme si l’espace bressonnien, à certains égards, se présentait comme une série de petits morceaux dont la connexion n’est pas prédéterminée.

Série de petits morceaux, dont, dès lors, la connexion n’est pas prédéterminée. Il y a de très grands cinéastes qui emploient au contraire, ah…, des espaces d’ensembles ; je ne dis pas que cela soit plus facile de manier un espace d’ensembles, hein !

Les espaces, il y en a tellement au cinéma, mais je suppose que ça c’est , c’est un type d’espace sans doute, il a été repris ensuite, il a été même, il a servi d’une manière très créatrice à d’autres, qu’ils l’ont renouvelé par rapport à Bresson, mais je suppose que Bresson a été un des premiers à faire de l’espace avec des petits morceaux déconnectés, c’est à dire des petits morceaux dont la connexion n’est pas prédéterminée.

Quand je disais de tout manière, à la limite de toutes les tentatives de création, il y a des espaces -temps, il y a que ça, ben oui !! c’est là que les blocs de durée/mouvements de Bresson vont tendre vers ce type d’espace, entre autre.

La réponse, elle est donnée. Ces petits morceaux d’espace visuels, dont la connexion n’est pas donnée d’avance, par quoi voulez vous qu’ils soient connectés ? dans [hun] par la main (à ce moment Gilles montre sa main).

Et c’est pas de la théorie, c’est pas de la philosophie, c’est pas, ça se déduit pas comme ça, mais je dis : le type d’espaces de Bresson et la valorisation cinématographique de la main dans l’image sont évidemment liés.

Je veux dire le raccordement des petits bouts d’espaces bressonnien, du faite même que ce sont des bouts, des morceaux déconnectés d’espaces, ne peut être qu’un raccordement manuel.

D’où l’exhaussions de la main dans tout le cinéma de Bresson, bon, c’est bien, on pourrait continuer longtemps, parce que par là, le bloc d’étendue-mouvement de Bresson recevrait donc, comme caractère propre à ce créateur, le caractère de cet espace qu’est très particulier, le rôle de la main qui en sort tout droit, il n’y a plus que la main qui puisse effectivement opérer des connexions d’une partie à l’autre de l’espace.

Et Bresson est sans doute le plus grand cinéaste à avoir réintroduit dans le cinéma les valeurs tactiles, pas simplement parce qu’il sait prendre en image, admirablement, les mains. Mais, s’il sait prendre admirablement les mains en image, c’est qu’il a besoin des mains.

Un créateur, c’est pas un être qui travaille pour le plaisir. Un créateur ne fait que ce dont il a absolument besoin.

Histoire de l’idiot et des Sept Samouraïs.

Avoir une idée en cinéma, encore une fois, c’est pas la même chose qu’avoir une idée ailleurs. Et pourtant, il y a des idées en cinéma qui pourraient valoir aussi dans d’autres disciplines. Il y a des idées en cinéma qui pourraient être d’excellentes idées en roman. Mais elles n’auraient pas la même allure du tout.

Et puis, il y a des idées en cinéma qui ne peuvent être que cinématographiques. Ca empêche pas, même quand il s’agit d’idées en cinéma qui pourraient avoir une valeur en roman, elles sont déjà engagées dans un processus cinématographique qui fait qu’elles sont vouées d’avance.

Et ce que je dis compte beaucoup parce que c’est une manière de poser une question qui m’intéresse : Qu’est-ce qui fait qu’un cinéaste a vraiment envie d’adapter, par exemple, un roman ? S’il a envie d’adapter un roman, il me semble évident que c’est parce qu’il a des idées en cinéma qui résonne avec ce que le roman présente comme des idées en roman. Et que là, se font parfois, se font souvent des grandes rencontres.

C’est très différent, je ne pose pas le problème du cinéaste qui adapte un roman notoirement médiocre. Il peut avoir besoin du roman médiocre, il en a besoin, ça n’exclue pas que le film soit génial. Je pose donc une question un peu différente, se serait une question intéressante de traiter cela, mais moi je pose une question un peu différente, c’est lorsque le roman est un grand roman, lorsque …et que se révèle cette espèce d’affinité où quelqu’un a en cinéma une idée qui correspond à ce qui était l’idée en roman.

Un des plus beaux cas, c’est le cas de Kurosawa. Pourquoi est-ce que Kurosawa se trouve dans une espèce de familiarité avec Shakespeare et avec Dostoïevski. Pourquoi faut-il un japonais, peut-être aussi en familiarité avec un Shakespeare et Dostoïevski. Il faut vous dire, parce que, il me semble, moi je …, c’est une réponse parmi mille autres possibles, et elle touche aussi un peu la philosophie, je crois.

D’où les personnages de Dostoïevski, ça peut-être un petit détail. Dans les personnages de Dostoïevski, il se passe une chose assez curieuse très souvent.

Généralement, ils sont très agités, hein ! Un personnage s’en va, descend dans la rue, tout ça comme ça, et dit “Une telle, la femme que j’aime, Tania, m’appelle au secours, j’y vais, je cours, je cours, oui, Tania va mourir si je n’y vais pas“.

Et il descend son escalier et il rencontre un ami, ou bien il voit un chien écrasé et il oublie complètement. Il oublie, il oublie complètement que Tania l’attend, en train de mourir. Il se met à parler comme ça, il se met…, et il croise un autre camarade, il va prendre le thé chez le camarade et puis tout d’un coup, il dit “Tania m’attend, il faut que j’y aille“ [rires dans la salle].

Mais qu’est-ce que ça veut dire ces … hein voila. Chez Dostoïevski, les personnages sont perpétuellement pris dans des urgences, et en même temps qu’ils sont pris dans des urgences, qui sont des questions de vie ou de mort, ils savent qu’il y a une question encore plus urgente, ils ne savent pas laquelle, et c’est ça qui les arrête.

Tout se passe comme si dans la pire urgence, il y a le feu, il y a le feu, il faut que je m’en aille, je me disais, non non il y a quelque chose de plus urgent, quelque chose de plus urgent, et je ne bougerai pas tant que je le saurai pas. C’est l’idiot ça ; c’est l’idiot, c’est la formule de l’idiot.

Ah ! Mais vous savez, non non, il y a un problème plus profond, quel problème ? je ne vois pas bien, mais laissez-moi, laissez-moi, tout peut brûler, sinon quand on arrive, il faut trouver ce problème plus urgent. Cela c’est par Dostoïevski que Kurosawa l’apprend, tous les personnages de Kurosawa sont comme ça.

Je dirai : voila une rencontre, une belle rencontre. Si Kurosawa peut adapter Dostoïevski, c’est au moins parce qu’il peut dire : j’ai une affaire commune avec lui. J’ai un problème commun, ce problème là. Les personnages de Kurosawa, ils sont exactement dans la même situation, ils sont pris dans des situations impossibles. Ah oui, mais attention, il y a un problème plus urgent, il faut que je sache quel est ce problème ?

Peut-être que Vivre“ est l’un des films de Kurosawa qui va le plus loin dans ce sens, mais tous les films de Kurosawa vont dans ce sens. Les Sept samouraïs, cela me frappe beaucoup moi, parce que tout l’espace de Kurosawa en dépend. C’est forcé que se soit une espèce d’espace ovale et qui est battu par la pluie, enfin peu importe, cela nous prendrait trop de temps, que là aussi, l’on tomberait sur …, la limite de tout qui est aussi un espace temps.

Mais dans les Sept samouraïs, vous comprenez, ils sont pris dans la situation d’urgence, ils ont accepté de défendre le village, et d’un bout à l’autre, ils sont travaillés par une question plus profonde. Il y a une question plus profonde à travers tout ca. Et elle sera dite à la fin par le chef des samouraïs, quand ils s’en vont “ qu’est-ce qu’un samouraï ?“

Qu’est-ce qu’un samouraï, non pas en général, mais qu’est-ce qu’un samouraï à cette époque là. A savoir quelqu’un qui n’est plus bon à rien. Les seigneurs n’en n’ont plus besoin, et les paysans vont bientôt savoir se défendre tout seul. Et pendant tout le film, malgré l’urgence de la situation, les samouraïs sont hantés par cette question qui est digne de L’idiot, qui est une question d’idiot : nous autres samouraïs, qu’est-ce que nous sommes ?

Voilà, je dirai une idée en cinéma, c’est de ce type. Vous me direz non, puisque c’était aussi une idée en roman. Une idée en cinéma, c’est de ce type, une fois qu’elle est déjà engagée dans un processus cinématographique. Et vous pourrez dire là, j’ai eu l’idée, même si vous l’empruntez à Dostoïevski.

Sinon de même, je cite très vite, je crois qu’une idée, c’est très simple ; Encore une fois, ce n’est pas un concept, ce n’est pas de la philosophie. Un concept, c’est autre chose, heu, de toute idée, on peut peut-être tirer un concept, mais je pense à Minnelli. Minnelli, il a, il me semble, une idée extraordinaire sur le rêve. Elle est très simple, on peut dire et elle est engagée dans tout un processus cinématographique qui est l’œuvre de Minnelli, et la grande idée de Minnelli sur le rêve, il me semble, c’est que le rêve concerne avant tout, ceux qui ne rêvent pas ; le rêve de ceux qui rêvent concerne ceux qui ne rêvent pas, et pourquoi cela ça les concerne ?

Parce que dès qu’il y a rêve de l’autre, il y a danger. A savoir que le rêve des gens est toujours un rêve dévorant qui risque de nous engloutir. Et que les autres rêvent, c’est très dangereux, et que le rêve est une terrible volonté de puissance, et que chacun de nous est plus ou moins victime du rêve des autres, même quand c’est la plus gracieuse jeune fille, même quand c’est la plus gracieuse jeune fille, c’est une terrible dévorante, pas par son âme, mais par ses rêves.

Méfiez-vous du rêve de l’autre, parce que si vous êtes pris dans le rêve de l’autre, vous êtes foutu.

Cadavre

Ou bien je parlerai de, autre exemple, idée proprement cinématographique, de la fameuse dissociation Voir/Parler dans un cinéma relativement récent.

Que se soit, alors là aussi, je prends les cas les plus connus, que se soit Syberberg, que se soit les Straub, que se soit Marguerite Duras, qu’est-ce qu’il y a de commun ?

Voyez, en quoi c’est proprement cinématographique, ça c’est une idée cinématographique. Faire une disjonction du visuel et du sonore, c’est heu… pourquoi ca ne peut pas se faire au théâtre,
pourquoi ?

Ca peut se faire, mais appliqué alors là si cela se fait au théâtre, sauf exception, à moins que le théâtre ait les moyens de le faire, on pourra dire que le théâtre l’a appliqué du cinéma. Ce qui n’est pas mal, forcement. Mais c’est une idée tellement cinématographique d’assurer la disjonction du voir et du (sonore) et du parler. Du visuel et du sonore. Ca c’est … ça répondrait à l’idée : qu’est-ce que, par exemple, avoir une idée cinématographique ?

Et tout le monde sait en quoi ça consiste, je le dis à ma manière pour, une voix parle de quelque chose, en même temps, donc, on parle de quelque chose, en même temps on nous fait voir autre chose, et enfin, ce dont on nous parle est sous ce qu’on nous fait voir.

C’est très important ça, ce troisième point. Vous sentez bien que c’est là que le théâtre ne pourrait pas suivre. Le théâtre pourrait assumer les deux premières propositions. On nous parle de quelque chose et on nous fait voir autre chose.

Mais que ce dont on nous parle en même temps se mette sous ce qu’on nous fait voir – et c’est nécessaire, sinon les deux premières opérations, elles n’auraient aucun sens , elles n’auraient guère d’intérêt – si vous préférez, on peut dire, alors en termes plus…, la parole s’élève dans l’air, la parole s’élève dans l’air en même temps que la terre qu’on voit, elle s’enfonce de plus en plus, ou plutôt en même temps que ce dont cette parole qui s’élève dans l’air nous parlait, cela dont elle nous parlait s’enfonce sous la terre.

Qu’est-ce que c’est que ça ? Si il n’y a que le cinéma qui puisse faire ça. Je ne dis pas qu’il doive le faire, hein, qu’il l’ait fait deux ou trois fois, je peux dire simplement, c’étaient de grands cinéastes qui ont eu cette idée. Il ne s’agit pas de dire c’est cela qu’il faut faire ou pas faire, hein. Il faut avoir des idées, quelles qu’ elles soient.

Ah !, ça c’est une idée cinématographique, je dis que c’est prodigieux, parce que ça assure au niveau du cinéma une véritable transformation des éléments. Un cycle des grands éléments qui fait que, du coup, le cinéma fait un grand écho avec, je ne sais pas, avec une physique qualitative des éléments. Ca fait une espèce de transformation, l’air, la terre et l’eau le feu, parce qu’il faudrait ajouter, j’ai, on n’a pas le temps, évidemment, on découvrirait le rôle des deux autres éléments, une grande circulation des éléments dans le cinéma.

Une grande circulation des éléments dans le cinéma. Dans tout ce que je dis, en plus, ça ne supprime pas une histoire, hein, l’histoire est toujours là, mais ce qui nous intéresse, c’est pourquoi l’histoire est-elle tellement intéressante ? Sinon pourquoi il y a tout ça derrière et avec. C’est tout à fait ce cycle, tel que je viens de le définir si rapidement, la voix s’élève en même temps que ce dont parle la voix s’enfonce sous la terre, vous avez reconnu la plupart des films de Straub, et c’est le grand cycle des éléments chez les Straub. Ce qu’on voit, c’est uniquement la terre déserte, mais cette terre déserte, elle est comme lourde de ce qu’il y a en dessous, et vous me direz “ mais ce qu’il y a en dessous, qu’est-ce qu’on en sait ?

“ Ben, c’est justement ce dont la voix nous parle. et c’est comme si la terre, là, se gondolait de ce que la voix nous dit, et qui vient prendre place sous la terre, à son heure et en son lieu. Et si la terre et si la voix nous parle de cadavres, c’est toute la lignée des cadavres qui vient prendre place sous la terre, si bien qu’à ce moment là, le moindre frémissement de vent sur la terre déserte, sur l’espace vide que vous avez sous les yeux, le moindre creux dans cette terre, tout cela prend sens.

Qu’est-ce que l’acte de création ? Eh bien, je me dis, vous voyez bien, avoir une idée, ce n’est pas de l’ordre de la communication, en tout cas. Et c’est à ca que je voudrais en venir, parce que cela fait partie des questions qui m’ont été très gentiment posées. Je veux dire à quel point tout ce dont on parle est irréductible à toute communication.

Ce n’est pas grave. Ca veut dire quoi ? Cela veut dire, il me semble que, en un premier sens, on pourrait dire que la communication, c’est la transmission et la propagation d’une information. Or une information, c’est quoi ?

C’est pas très compliqué, tout le monde le sait : une information, c’est un ensemble de mots d’ordre. Quand on vous informe, on vous dit ce que vous êtes sensés devoir croire. En d’autres termes : informer c’est faire circuler un mot d’ordre. Les déclarations de police sont dites, à juste titre, des communiqués ; on nous communique de l’information, c’est à dire, on nous dit ce que nous sommes censés être en état ou devoir croire, ce que nous sommes tenus de croire.

Ou même pas de croire, mais de faire comme si l’on croyait, on ne nous demande pas de croire, on nous demande de nous comporter comme si nous le croyions. C’est ça l’information, la communication, et, indépendamment de ces mots d’ordre, et de la transmission de ces mots d’ordre, il n’y a pas de communication, il n’y a pas d’information. Ce qui revient à dire : que l’information, c’est exactement le système du contrôle.

Et c’est vrai, je dis des platitudes, c’est évident. C’est évident, sauf que ça nous concerne particulièrement aujourd’hui. Ca nous concerne aujourd’hui parce que , et c’est vrai que nous entrons dans une société que l’on peut appeler une société de contrôle. Vous savez, un penseur comme Michel Foucault avait analysé deux types de sociétés assez rapprochées de nous. Hein, les unes qu’il appelait des sociétés de souverainetés, et puis les autres qu’il appelait des sociétés disciplinaires.

Et ce qu’il appelait, lui des sociétés disciplinaires, qu’il faisait partir maintenant – parce qu’il y a toutes les transitions que vous voulez – avec Napoléon, c’était le passage typique d’une société de souveraineté à
une société disciplinaire, heu…, la société disciplinaire, elle se définissait – c’est célèbre, les analyses de Foucault sont restées à juste titre célèbres – elle se définissait par la constitution de milieux d’enfermement : prisons, écoles, ateliers, hôpital. Et les sociétés disciplinaires avaient besoin de ça. Mais ça a un peu engendré des ambiguïtés chez certains lecteurs de Foucault, parce que l’on a cru que c’était la dernière pensée de Foucault. Evidemment non.

Foucault n’a jamais cru, et même, il l’a dit très clairement, que ces sociétés disciplinaires n’étaient pas éternelles. Et bien plus, il pensait évidemment que nous entrions, nous dans un type de société nouveau. Bien sûr, il y a toutes sortes de restes de sociétés disciplinaires, et pour des années et des années.

Mais nous savons déjà que nous sommes dans des sociétés d’un autre type , qui sont, qu’il faudrait appeler, c’est Burroughs qui prononçait le mot, et heu…, Foucault avait une très vive admiration pour Burroughs, heu… Burroughs proposait le nom de, le nom très simple de contrôle.

Nous entrons dans des sociétés de contrôle qui se définissent très différemment des disciplines, nous n’avons plus besoin, ou plutôt ceux qui veillent à notre bien n’ont plus besoin ou n’auront plus besoin de milieu d’enfermement. Vous me direz, ce n’est pas évident actuellement avec tout ce qui se passe actuellement, mais ce n’est pas du tout la question. Il s’agit de peut-être pour dans cinquante ans, mais actuellement, déjà tout ça, les prisons, les écoles, les hôpitaux sont des lieux de discussions permanents.

Est-ce qu’il vaut pas mieux , heu…, répandre les soins à domiciles ? Oui, c’est sans doute l’avenir, les ateliers, les usines, ben, ça craque par tous les bouts. Est-ce qu’il vaut pas mieux, heu, les régimes de sous-traitance et même le travail à domicile ? heu… bon, les prisons, c’est une question. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Qu’est-ce qu’on peut trouver ?

Est-ce qu’il n’y a pas d’autres moyens de punir les gens que la prison ? C’est des vieux problèmes qui renaissent. Parce que, vous savez, les sociétés de contrôle ne passeront évidemment plus par des milieux d’enfermement.

Même l’école, même l’école il faut bien surveiller actuellement les thèmes qui naissent, ça se développera que dans quarante ou cinquante ans, pour vous expliquer que l’épatant se serait faire en même temps l’école et la profession. Ah…, ça sera très intéressant parce que l’identité de l’école et de la profession dans la formation permanente, qui est notre avenir, ça n’impliquera plus forcément le regroupement d’écoliers dans un milieu d’enfermement. Heu…, ha…, ça pourra se faire tout à fait autrement, cela se fera par Minitel, enfin tout ça heu… tout ce que vous voudrez, l’épatant ce serait les formes de contrôle.

Voyez en quoi un contrôle ce n’est pas une discipline. Je dirai, par exemple, d’une autoroute, que là vous n’enfermez pas les gens, mais en faisant des autoroutes, vous multipliez des moyens de contrôle. Je ne dis pas que cela soit ça le but unique de l’autoroute {rires}, mais des gens peuvent tourner à l’infini et sans être du tout enfermés, tout en étant parfaitement contrôlés. C’est ça notre avenir. Les sociétés de contrôle étant des sociétés de disciplines.

Alors, pourquoi je raconte tout ça ? Bon, ben… parce que l’information, mettons que cela soit ça, l’information, bon, c’est le système contrôlé des mots d’ordre, des mots d’ordre qui ont court dans une société donnée.

Qu’est-ce que l’art peut avoir à faire avec ça ? qu’est-ce que l’œuvre d’art … vous me direz : “allez, tout ça, ça ne veut rien dire ».

Alors ne parlons pas d’œuvre d’art, parlons, disons au moins que, qu’il y a de la contre-information. Par exemple, il y a des pays, où dans des condition particulièrement dures et cruelles, les pays de très dures dictatures, où il y a de la contre-information. Heu ! du temps d’Hitler, les juifs qui arrivaient d’Allemagne et qui étaient les premiers à nous apprendre qu’il y avait des camps d’extermination en Allemagne, ils faisaient de la contre-information.

Ce qu’il faut constater, c’est que, il me semble, jamais la contre-information n’a suffit à faire quoi que ce soit. Aucune contre information n’a jamais gêné Hitler. Heu ! non, sauf dans un cas. Mais quel est le cas ?

C’est là que c’est important. Ma seule réponse ce serait : la contre-information devient effectivement efficace que quand elle est, et elle l’est de par nature, donc, heu, c’est pas grave, que quand elle est ou devient acte de résistance. Et l’acte de résistance est lui ni information ni contre-information. La contre-information n’est effective que quand elle devient un acte de résistance.

Malraux Quel est le rapport de l’œuvre d’art avec la communication ? Aucun.

Aucun, l’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’œuvre d’art n’a rien à faire avec la communication. L’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, en revanche il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance.

Alors là, oui. Elle a quelque chose à
faire avec l’information et la communication, oui, à titre d’acte de résistance, quel est ce rapport mystérieux entre une œuvre d’art et un acte de résistance ? alors que les hommes qui résistent n’ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l’art, je ne sais pas.

Malraux développe un bon concept philosophique. Malraux dit une chose très simple sur l’art, il dit “c’est la seule chose qui résiste à la mort“.

Je dis revenons à mon truc de toute à l’heure, au début, sur qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’on fait quand on fait de la philosophie ? On invente des concepts. Et je trouve que là, c’est la base d’un assez beau concept philosophique. Réfléchissez…Alors oui, qu’est-ce qui résiste à la mort.

Ben oui, sans doute, il suffit de voir une statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse. Alors on pourrait dire, alors moins bien, du point de vue qui nous occupe, ben oui, l’art c’est ce qui résiste, c’est ce qui résiste et c’est être non pas la seule chose qui résiste, mais c’est ce qui résiste.

D’où ; d’où le rapport, le rapport si étroit entre l’acte de résistance et l’art, et l’œuvre d’art. Tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art bien que, d’une certaine manière elle en soit.

Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance et pourtant, d’une certaine manière, elle l’est.

Quelle manière mystérieuse là il nous faudrait là peut-être, je ne sais pas, là il nous faudrait une autre réflexion, une longue réflexion pour ce que je veux dire c’est, si vous me permettez de revenir à : « Qu’est-ce qu’avoir une idée en cinéma ? Ou qu’est-ce qu’avoir une idée cinématographique ?« .

Lorsque je vous disais, prenez le cas , par exemple, en autre, des Straub lorsqu’ils opèrent cette disjonction voix/sonore dans des conditions telles que… remarquez l’idée ah ah elle est… d’autres, de grands auteurs l’ont prise d’une autre manière, je crois chez les Straub, ils la prennent de la manière suivante : cette disjonction, encore une fois, la voix s’élève, elle s’élève, elle s’élève, elle s’élève et encore une fois, ce dont elle nous parle passe sous la terre nue, sous la terre déserte, que l’image visuelle était en train de nous montrer, image visuelle qui n’avait aucun rapport avec l’image sonore, ou qui n’avait aucun rapport direct avec l’image sonore.

Or quel est cet acte de parole qui s’élève dans l’air pendant que son objet passe sous la terre ? Résistance. Acte de résistance. Et dans toute l’œuvre des Straub, l’acte de parole est un acte de résistance. De Moïse au dernier Kafka, ah… en passant par, je cite pas dans l’ordre, je ne sais pas l’ordre, un Non réconciliés jusqu’à Bach.

Rappelez vous, l’acte de parole de Bach, c’est quoi ? C’est sa musique, c’est sa musique qui est acte de résistance ; acte de résistance contre quoi ? C’est pas acte de résistance abstrait, c’est acte de résistance contre et de lutte active contre la répartition du profane et du sacré. Et cet acte de résistance dans la musique culmine dans un cri.

Tout comme il y a un cri dans Woyzek, il y a un cri de Bach : « Dehors, dehors, allez vous en, je ne veux pas vous voir« . Ca, c’est l’acte de résistance. Alors quand les Straub le mettent en valeur ce cri, ce cri de Bach, ou quand ils mettent en valeur le cri de la vieille schizophrène dans, je crois, non réconciliés, etc., tout ça, tout doit en rendre compte d’un double aspect.

L’acte de résistance, il me semble, a deux faces : il est humain et c’est aussi l’acte de l’art. Seul l’acte de résistance résiste à la mort, soit sous la forme d’une œuvre d’art, soit sous la forme d’une lutte des hommes.

Et quel rapport y a-t-il entre la lutte des hommes et l’œuvre d’art ?

Le rapport le plus étroit et pour moi le plus mystérieux. Exactement ce que Paul Klee voulait dire quand il disait : « Vous savez, le peuple manque« .

Le peuple manque et en même temps, il ne manque pas. Le peuple manque, cela veut dire que – il n’est pas clair, il ne sera jamais clair – cette affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et un peuple qui n’existe pas encore n’est pas ne sera jamais claire. Il n’y a pas d’œuvre d’art qui ne fasse pas appel à un peuple qui n’existe pas encore.

Alors, enfin, bon ben, il est très … et bien voila, je suis profondément heureux de, de votre très grande gentillesse de m’avoir écouté, et je vous remercie beaucoup.

Liste et classement de mes lectures 2020 !

Ce qu’il y a de merveilleux quand on fait le bilan de ses lectures annuelles, c’est d’en découvrir à la fois sa richesse et son contraire.

Pour preuve, les genres littéraires ci-dessous tiennent en trois catégories : littératures de l’imaginaire, voyages et un peu de livres avec des dessins et encore moins d’essais.

Ce n’est pas que je regarde le reste de la production littéraire d’un œil moqueur. Peut-être découvre-je au final que je ne lis pas dans les livres, mais peut-être que je lis en moi-même lol ?

ESSAIS & NON-FICTION :

Bon, pas de notation ici, ça n’aurait aucun sens de comparer la lecture de Salvoj Zizek avec la Bible du Running.

De toute façon, ceux que je n’ai pas aimé, je ne les ai pas fini et ne sont donc pas de facto dans cette liste si vous suivez ma logique compliquée héritée de la lecture d’essais.

Dans la tempête virale, de Slavoj Zizek. Éditions Actes Sud, 2020.

Point de recul pour Slavoj, cet essai écrit lors du premier confinement : « Zizek traque les virus idéologiques qui ont favorisé l’apparition et la dissémination de la Covid-19, mais aussi ceux que la pandémie active ou réactive, les virus du racisme, des fake news, des théories du complot. »

Un joyeux programme dont je retiens notamment l’idée que la crise générée par le Covid-19 peut être prise comme un entraînement face à la crise climatique qui approche.

Dune : Exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers. Sous la direction de Roland Lehoucq. Éditions Le Bélial, 2020.

Quand le monde scientifique se penche sur la saga Dune, cela a de quoi naturellement faire bien plaisir. Mais là, c’est du gros niveau.

Des sciences dures à la linguistique, la politique, la question de genre et l’Histoire, l’ouvrage est là pour assouvir toute soif de connaissance qui se respecte.

Bref, encore une de ces pépites érudites que nous offre régulièrement le Bélial, je ne les en remercierai jamais assez.

Dune : Un chef-d’œuvre de la science-fiction, de Nicolas Allard. Éditions Dunod, 2020

Sympathique essai sur Dune traitant notamment des rapports avec Star Wars, de la place des femmes dans l’œuvre, de transhumanisme et du genre de l’aventure.

C’est agréable à lire, très bien fait et à destination des nouveaux lecteurs de Frank Herbert qui veulent aller plus loin dans la découverte de l’univers du roman.

Algues Vertes, l’histoire interdite, de Inès Léraud et Pierre Van Hove.Éditions Delcourt, 2019

Quitter une crêperie bretonne par cette lecture n’est pas forcément la meilleure idée du siècle tant la Bretagne décrite ici, au prisme de cette incroyable affaire des algues vertes, fiche le tournis.

L’affaire et cette bande-dessinée pourrait paraître comme un stéréotype des questions écologiques face à l’économie et ses soutiens politiques.

La Bible du Running, de Jérôme Sordello. Éditions Amphora, 2015

Mine d’informations de 700 pages didactiques et bien écrites revenant sur tous les aspects physique et psychologique de la course à pied, de son premier dix kilomètres à l’ultra-trail. Bref, le titre porte très bien son nom.

Reconnaître le fascisme, de Umberto Eco . Éditions Grasset, 2017.

Ayant vécu son enfance dans l’Italie fasciste, Umberto propose dans ce livre très court une grille de lecture pour distinguer les différentes thématJiques constituant le fascisme, ce dernier étant plus hétérogène qu’on le pense. 

Res-Cultura, Res-Publica, de Michel Larive. Éditions Bruno Leprince, 2020.

En gros : le programme des Insoumis pour sauver la culture, et par extension le monde : la nationalisation.

Hors de l’aspect « parti », le livre reste assez savant dans ces références et les notions qu’il interpelle, avec notamment une première partie plus historique qui revient sur les politiques culturelles depuis les débuts de l’humanité (rien que ça).

OEUVRES DE FICTION :

🐹🐹🐹🐹 : Fantastique.

Certes, si classement il y a, il ne s’agit pas ici de produire un podium en bonne et due forme. La preuve, les œuvres ci-dessous sont classés par ordre alphabétique. 

Après, si vous souhaitez absolument connaître les ouvrages liés à l’actualité littéraire, je vous laisse regarder les dates savamment indiquées.

Littératures de l’imaginaire :

Yama Loka Terminus : dernières nouvelles de Yirminadingrad & Bara Yogoï
De Léo Henry, Jacques Mucchielli et Stéphane Perger. Éditions Dystopia, 2008/2010

Quoi de mieux que commencer un classement alphabétique par la lette Y ? La faute au second opus de ce recueil de récits, Bara Yogoï, tirés d’une ville fictive au nom imprononçable écrit à quatre mains (ou bien il faut dire deux, puisque l’on écrit que d’une ?)

Véritable claque stylistique, on est sur de la haute littérature exigeante et assez unique. Après, faut être accroché à votre caleçon/culotte, ça pardonne pas.

Le Congrès de futurologie, de Stanislas Lem. 1971

Il m’en a fallu de temps pour passer le premier quart de ce bouquin !

Comme vous le savez, la SF Soviétique et moi, c’est le grand amour, et notre Stanislas préféré ne m’a pas déçu. Entre la caverne de Platon revisitée et les pilules proto-Matrix, les images qu’il nous laisse en tête sont percutantes et, pour changer, ne font pas tâche dans notre société contemporaine.

A noter, ce bel article sur la carrière du bonhomme par Erwann Perchoc sur le Belial.

L’Enfant des Poussière & La Peste et la Vigne, de Patrick Dewdney. Éditions Au Diable Vauvert, 2018/2019

Voilà bien deux ans que mon entourage – des gens de hautes qualités dont les conseils ne sont que de grandes réussites, me parlait de « L’Enfant de Poussière ». Étant plutôt rétif au genre, la Fantasy, je sais toutefois savoir l’apprécier en cas de de qualité exceptionnelle, avouons que ce roman est de ceux-là. Et de loin.

En suivant les “aventures” du jeune Syffe, ballotté dans des contextes historiques le dépassant, se dessinent des intrigues politiques et un apprentissage de la vie à la dure. On ne peut qu’être emporté par les qualité d’écriture de Patrick Dewdney, « L’Enfant de Poussière » faisant partie de ces œuvres qui nous bouffent allègrement nos heures de sommeil. Bien entendu, sa suite garde le niveau, et l’impatience grandit quant à la sortie prochaine du troisième tome !

Un Long Voyage, Claire Duvivier. Éditions Aux Forges de Vulcain, 2020

Fin et brillant, ce premier roman de Claire Duvivier fait partie de ces lectures qui marquent durablement l’esprit comme le coeur.

C’est simple, depuis sa fin de lecture il y a quelques heures, je me trouve face à cette douce mélancolie après en avoir quitté les personnages.

Outre son histoire qui, force tranquille, monte en puissance, l’exploit de ce livre se trouve notamment dans son écriture, efficiente, l’univers se dépliant entre deux lignes, offrant des contextes inconnus et étrangement familiers.

Sans Parler du Chien, de Connie Willis. Éditions J’ai Lu, 2000

Une relecture celui-ci, mais que du re-bonheur ; surtout qu’entre-temps j’ai rattrapé « Trois hommes dans un bateau », ce qui rajoute au plaisir.

Bref, un de mes coups de coeur all time plein d’humour et de voyage dans le temps.

Bandes Dessinées, Comics & Mangas :

L’Oasis, de Simon Hureau. Éditions Dargaud, 2020.

Simon Hureau prend son petit-déjeuner lorsqu’il entend le discours du ministre Nicolas Hulot qui annonce sa démission du gouvernement.

Sa présence au gouvernement donnait l’illusion que l’état français était à la hauteur des enjeux climatiques, mais ce n’est évidemment pas le cas… il préfère alors partir. La biodiversité fond comme neige au soleil, certes… mais Simon Hureau réalise que personne ne parle qu’il est facile de la favoriser à petite échelle, qui plus est encore plus dans son propre jardin.

Shingeki no Kyojin : chapitre 1 à 135, de Hajime Isayama. Éditions Pika, 2009-2020..

Je suis peu lecteur de mangas, mais la série animée adaptée de ce dernier avait bien entendu retenu mon attention.

La sortie de la quatrième et dernière saison en cette fin d’année 2020 m’a poussé à attaquer la longue lecture de ces 135 chapitres afin de me remettre dans le bain des constantes révélations et sous-intrigues de cette histoire qui restera comme la meilleure production du genre de ces dix dernières années.

Littératures pas de l’imaginaire :

Texto, de Dmitry Glukhovsky. Editions L’Atalante, 2019

Même en tant qu’amoureux de Glukhovsky, voici une lecture, que je pensais anecdotique lors de son achat. Que l’auteur s’attaque au polar urbain moscovite, avec un concept simplissime, pourquoi pas, mais ce n’était pas forcément ma tasse de vodka.

Et pourtant… D’une simplicité et d’une efficacité à tout épreuve, ce roman assez court est une véritable descente au fond de l’autre. J’en suis resté bouche bée, et je m’étonne encore aujourd’hui de l’avoir autant gardé en tête.

L’histoire : un type lit les textos d’un autre type qui lui l’avait fait à l’envers. Et ça part en cacahuètes, mais pas tant.

Récits de voyages ou de gens tous seuls dans la nature :

Indian Creek, de Pete Fromm. Éditions Gallmeister, 2010.

Suite à une recommandation offerte grâce au pouvoir infini des réseaux sociaux, je n’ai pas lâché le bouquin après avoir attaqué ses premières pages.

La nouvelle preuve que les histoires de gars tous seuls à attendre dans le froid que ça passe, ça peut quand même raconter quelque chose.

De loin mon coup de cœur dans le genre depuis la découverte de Paolo Cognetti.

🐹🐹🐹 : J’aime beaucoup.

Voici donc la note qui divise… Pour certain·e·s, c’est l’équivalent de la deuxième place sur le podium : la pire ! Et bien détrompez-vous, ami·e·s visiteur/se/s de la Lettre à Jal ! Les œuvres citées ci-dessous se hissent parmi des lectures d’excellentes qualité, l’équivalent d’un 16 ou 18 sur 20 si le système de notation cochon d’indesque ne lui était pas infiniment supérieure. 

Littératures de l’imaginaire :​

  • Chasse Royale, 2e branche III, de Jean-Philippe Jaworski. Éditions Les Moutons Électriques, 2019.
  • Chasse Royale, 2e branche IV, de Jean-Philippe Jaworski. Éditions Les Moutons Électriques, 2020.
  • Cochrane VS Cthulhu, de Gilberto Villarroel. Éditions Aux Forges de Vulcain, 2020.
  • Exodes, de Jean-Marc Ligny. Editions L’Atalante, 2012.
  • Hypérion, de Dan Simmons. Editions Ailleurs et Demain, 1991.
  • Jardins de Poussière, de Ken Liu. Éditions Le Bélial, 2019.
  • Métro 2035, de Dmitry Glukhovsky. Éditions L’Atalante, 2017.
  • La Mort immortelle, de Liu Cixin. Éditions Actes Sud, 2018.
  • Le Système Valentine, de John Varley. Éditions Denoël, 2003.
  • Trafalgar, d’Angélica Gorodischer. Éditions La Volte, 2019.
  • Trop semblable à l’éclair, de Ada Palmer. Éditions Le Bélial, 2019.






















Récits de voyages ou de gens tous seuls dans la nature :

  • Au Cœur des ténèbres, de Joseph Conrad. Éditions Flammarion, 1993.
  • Les Esprits de la Steppe, de Corine Sombrun. Éditions Albin Michel, 2012.
  • La Grande Course de Flanagan, Tom McNab. Éditions Robert Laffont, 1992.
  • Into the Wild, de Jon Krakauer. Éditions Presses de la Cité, 2008.
  • Sur le Fleuve, de Léo Henry et Jacques Mucchielli. Éditions Dystopia, 2013.
  • L’usage du Monde, de Nicolas Bouvier. Éditions La Découverte, 2013.












Bandes Dessinées, Comics & Mangas :

  • Batman White Knight, de Sean Murphy. Éditions Urban Comics, 2018.
  • Carbone et Silicium, de Mathieu Bablet. Éditions Ankama, 2020.
  • Metropolis : 4 tomes, de Serge Lehman et Stéphane De Caneva. Éditions Delcourt, 2017.
  • Tu mourras moins bête : tome 5, de Marion Montaigne. Éditions Delcourt, 2019.








🐹🐹 : Un bon moment.

On ne peut pas mieux décrire cette note que ce qui est déjà écrit ci-dessus : les deux cochons d’Inde c’est comme un couple de l’animal suscité dans la vie : c’est le plaisir simple, l’instant suspendu, la douce tiédeur du foin un soir d’été, le bout d’endive qui arrive au bon moment. Oui, voilà. Un bon moment.

Littératures de l’imaginaire :

  • L’Abominable, de Dan Simmons. Éditions Robert Laffont, 2019.
  • Dernier meurtre avant la fin du monde, de Ben H. Winters. Éditions 10-18, 2016.
  • Luna, Ian McDonald. Éditions Denoël, 2017.
  • Niourk, de Stefan Wul. Éditions Fleuve Noir, 1957. 
  • Nous sommes légion, Dennis E. Taylor. Éditions Bragelonne, 2018. 
  • Replay, de Ken Grimwood. Éditions Le Seuil, 1988.
  • Silo, de Hugh Howey. Éditions Actes Sud, 2013.
  • Silo – Origines, de Hugh Howey. Editions Actes Sud, 2014.
  • La Terre Errante, de Liu Cixin. Éditions Actes Sud, 2020.


















Bandes Dessinées, Comics & Mangas :

  • Black Summer, de Warren Ellis. Éditions Milady Graphics, 2009.
  • Punk Rock Jesus, de Sean Murphy. Éditions Urban Comics, 2013.
  • The Last Day of American Crime, de Rick Remender. Éditions Jungle, 2016.
  • The Wake, de Sean Murphy. Éditions Urban Comics, 2015.
  • Tokyo Ghost – intégrale, de Sean Murphy. Éditions Urban Comics, 2020.
  • Une année sans Cthulhu, de de Smolderen Thierry et Clérisse Alexandre. Éditions Dargaud, 2019.












Récits de voyages ou de gens tous seuls dans la nature :

  • Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, de Haruki Murakami. Éditions 10-18, 2011. 
  • Sur le chemin des glaces, Werner Herzog. Éditions  Payot, 2016.
  • Tragédie à l’Everest, de Jon Krakauer. Éditions 10-18, 2010.
  • Voyage avec un âne dans les Cévennes, de Robert Louis Stevenson. Marivole Éditions, 2015.








🐹 : Ça se laisse lire.

Littératures de l’imaginaire :

  • Eclosion, de Ezekiel Boone. Éditions Actes Sud, 2018.
  • Le Nexus du Docteur Erdmann, Nancy Kress. Éditions Le Bélial, 2016.

Bandes Dessinées, Comics & Mangas :

  • Catwoman à Rome, de Jeph Loeb et Tim Sale. Éditions Urban Comics, 2019.
  • Les Cochons dingues, de Miss Prickly, Laurent Dufreney et Magali Paillat. Éditions Delcourt, 2017.
  • Les Cochons dingues : tome 2, de Miss Prickly, Laurent Dufreney et Magali Paillat. Éditions Delcourt, 2019.
  • Reborn, de Greg Capullo et Mark Millar. Éditions Panini, 2017.
  • Transperceneige, Extinctions : Tome 1, de Jean-Marc Rochette. Éditions Casterman, 2019. 

Récits de voyages ou de gens tous seuls dans la nature :

  • L’ascension du Mont Blanc, de Ludovic Escande. Éditions Allary, 2017. 

🐰 = Relation compliquée mais intense :

  • Mon chien stupide, de John Fante. Éditions 10-18, 2002.
  • Tout doit disparaître, de Simon Hureau. Éditions Futuropolis, 2006. 
  •  


















GRILLE DE NOTATION EN COCHONS D’INDE :

🐹 : Ça se laisse lire. Sympatoche.
🐹🐹 : Un bon moment.
🐹🐹🐹 : J’aime beaucoup.
🐹🐹🐹🐹 : Fantastique.
🐹🐹🐹🐹🐹 : Coup de cœur de fifou.
🐰 : Relation compliquée mais intense.

Cours de cinéma en ligne : Sur la convergence des Arts !

Pourquoi parler d’une convergence des arts ? La question introduit tout d’abord la notion d’une séparation initiale.

Actuellement, il y a un jeu à poser la question, notamment grâce au numérique qui change la définition ancienne des arts.

Le rapport entretenu avec la musique aujourd’hui n’a rien à voir avec elle entretenue au 19éme siècle. On pensait qu’il s’agissait là d’un art total.

Quels sont donc ces nouveaux déplacements ? Outre le numérique, on peut aussi questionner le réseau et la réticulation mais dans un autre contexte que l’informatique et le web.

1. Quelques grandes divisions :

Kant va diviser les arts en trois grands secteurs : le mot, le geste et le ton.
– Le mot : l’art de la parole (poésie, éloquence)
– Le geste : l’art figuratif (la structure et l’architecture) et l’art de l’apparence sensible (la peinture et le jardin).
– Le ton : l’art du beau jeu des sensations (la musique et l’art des couleurs).

Dans cette distribution, on ne retrouve pas les distinctions habituelles des arts.

Hegel divise les arts selon la part de spirituel qu’il y a en eux, de la plus matérielle à la plus spirituelle : architecture ; peinture ; musique ; poésie. L’art tend vers la philosophie car c’est la plus spirituelle des choses sur terre.

Aristote fait une opposition à partir du drama (à peu près comme la représentation). C’est l’opposition entre l’opsis et le drama .

L’opsis c’est le spectacle, la mise en scène. Ensuite vient le melos qui doit être subordonnée au drama, alors que le drama devrait être en premier lieu.

2. Le cinéma

Selon Jacques Rancière, le cinéma hérite de la défiguration esthétique des arts du 18éme siècle et au drama. C’est une réflexion sur le genre des arts. Rancière dit qu’on pourrait classer et diviser les arts selon le melos. L’opsis étant du domaine de l’énigme et le melos celui du charme (la musique ayant la possibilité de charmer, de mettre en transe).

L’énigme c’est l’art plastique qui oblige à réagir pour répondre à ce qui est proposé.

Vachel Lindsay est un des premiers à avoir écrit un texte théorique sur le cinéma. C’est un texte de 1915 qui n’a jamais été traduit en français : The Art of the Moving Picture.

Sa classification des films rappellent ce que fera Deleuze plus tard :

  • La splendeur : des paysages, le merveilleux où les gestes sont chargés de sens. C’est le Plan Général.
  • L’intimité : c’est ce qui touche plus aux affects aux émotions. C’est la proximité, le Gros Plan.
  • L’action : course à l’extérieur. C’est le Plan Moyen.

Ce ne sont pas ici des espèces d’art mais des modes d’existence qui peuvent entrer en concurrence, se croiser. On peut rapprocher
cela de la synesthésie : possibilité que les sens ne soient pas séparés mais se croisent. On retrouve cette volonté synesthésiste chez les avant-gardistes. Rapproché cela d’un art total
comme l’opéra, la musique. Ce tout essaye peut-être de recréer une mythologie commune. Au niveau du cinéma, il recherche sa dimension mythologique Via l’affect qu’est la nostalgie.

Youssef Ishaghpour : Le cinéma a pris la suite de l’opéra, c’est un art artificiel qui se situe entre l’opéra et la télévision Maurice Blanchot :

Penser l’écriture comme sa séparation de l’image :

L’entretien infini, Blanchot. Gallimard.

Selon Elie Faure, on peut attendre du cinéma selon lui qu’elle est la plus grande invention morale et sociale depuis l’invention du Christ.

La cinéplastie et machinisme. Son point de comparaison le plus fort sera cinéma et architecture (comme le feront ensuite Benjamin et Deleuze).

3. Etudier le mode d’insertion de tel ou tel œuvre d’art dans un film et étudier, les effets et les enjeux de cette insertion.

Extrait, Pierrot le fou, Jean Luc Godard.

« Jean Paul Belmondo cite un passage de Vélasquez d’Elie Faure ».

Il ne s’agit pas de s’intéresser aux objets constitués mais à ce qui est forme. Seul le cinéma est capable de montrer ces choses qui surgissent.

Passion. Histoire d’un cinéaste polonais qui vient tourner en suisse une superproduction mettant en scène des tableaux vivants.

Pour Godard, ce qui est vivant, un tableau c’est quelque chose qui incorpore en lui une multiplicité de temps.

L’origine du drame baroque allemand, Walter Benjamin. Flammarion, p40 : sur Godard.

L’origine n’est pas un commencement mais un début perpétuel. Une œuvre d’art est toujours à l’origine.

Un affect c’est quelque chose qui met hors de soi, l’individus met son identité en cause : l’émotion c’est du préindividuel. Lorsqu’on communique vraiment c’est le préindividuel qui se conjugue.

C’est le transindividuel ‘ce qui en survit mais ce quelque chose qui est notre mode de présence même après sa disparition. C’est avec cela que les autres (famille, amour) a eu un rapport) qui est communicant.

Le guépard, Visconti.

Ce qui devient évident dans la mise en scène c’est ce qui se passe entre et peut circuler entre eux. Ce qui important c’est filmé le tans-individuel, ce qui se passe entre.

26/11/04 – Michel Bouvier

Analyse Ciné : La Mouvance du Décor – 2e partie

2 / Evolution de la représentation du décor mouvant

2.1 / Une fonction « fictionalisante »

L’espace comme forme signifiante :

André Gardies  se propose de caractériser l’espace au cinéma. A partir de deux propositions il tente de fournir des éléments caractéristiques de l’espace au cinéma d’un point de vue diégétique.

La première est issue de l’opposition de A.J. Greimas  entre l’étendue et l’espace: « par opposition au caractère amorphe de l’étendue, l’espace offre une propriété essentielle, celle de la mise en forme. » 

La seconde proposition est une définition de l’espace  par Iouri Lotman.
En alliant la forme (mimétisme, physique), et les relations internes qui s’organisent au sein de l’espace (prenant l’idée que l’espace est un ensemble d’objets homogènes), l’espace diégétique est ici étudié comme espace discursif.

André Gardies constate que l’espace « est déjà une forme signifiante et qu’il est susceptible de s’organiser en système ».

Mouvance du décor : du nom commun au nom propre fictif.

André Gardies, propose une analyse sémantique du lieu. Cette approche du lieu s’inspire du travail de P. Hamon  concernant les personnages. On a déjà vu qu’André Gardies avait pris soin de différencier le lieu de l’espace. Ce qui nous intéresse dans son approche est l’application aux lieux des propositions de Hamon relatives aux personnages.

Il différencie de cette manière les lieux qui « portent » un nom commun – une plage par exemple- pour lesquels l’origine sémantique dominante est faite de signifiés et de connotations stéréotypées, des lieux qui portent des noms communs.

Cette démarche sémantique permettra par la suite de questionner certains « lieux mouvants ». Bien que notre étude s’appuie sur la mouvance des décors, il convient de faire la distinction entre décors mouvants et lieux mouvants : c’est parfois en effet le lieu même dans sa totalité qui est mouvant.

Ainsi, afin de mieux comprendre notre démarche, il convient de lui attribuer un exemple. Nous appliquerons la démarche d’A. Gardies au film Dark City.

Dans ce film, le lieu qui nous est montré comme partie intégrante de l’espace diégétique n’est autre qu’une ville. De ce fait, la ville est, par sa forme, reconnaissable en tant que lieu commun.

Le principe de mimétisme dans la forme des éléments constitutifs de l’image nous renvoie l’image d’un milieu urbain stéréotypé. Les immeubles sont reconnaissables en tant que tels et les relations internes qui s’organisent au sein de l’espace (cf. proposition de L. Lotman plus haut) en font une forme signifiante. La ville de Dark City peut donc être considérée comme un lieu portant un nom commun.

L’origine sémantique dominante de ce lieu semble être caractérisée par le signifié et les connotations stéréotypées qui lui sont associées.

Il existe cependant une dualité dans les lieux de Dark City. En plus des lieux  portant un « nom commun », A. Gardies se propose d’ajouter les lieux renvoyant à des noms propres.

Dans cette catégorie, on trouve les lieux dont la nomination propre est attestée. On peut citer, par exemple, une ville existante comme Paris (Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, J.P. Jeunet 2001).

De ce point de point de vue l’origine sémantique dominante fait alors appel à un référent extra-textuel.  Le savoir encyclopédique du spectateur peut être pris en compte si le lieu n’est pas mentionné et que les objets de l’espace attestent de l’origine du lieu (La tour Eiffel à Paris).

La ville de Dark City ne renvoie à aucun référent extratextuel. La dernière catégorie de lieux qui nous intéresse est caractérisée par le nom propre fictif. Le référent est alors textuel.

C’est à ce stade qu’intervient la notion de mouvance du décor. Car la ville se meut. Les immeubles se transforment de façon étrange. Elle est fictionnelle, caractérisée par le mouvement inhabituel qui l’habite.

Aucun référent extra-textuel, aucune connotation stéréotypée ne peut être pris en compte si l’on considère ce mouvement inhabituel aux yeux du spectateur.

La ville possède ce caractère particulier qui lui confère un statut fantastique. Cet aspect du lieu renvoie à un nom propre fictif . Cependant, nous avons déjà attribué à la ville de Dark City un nom commun.

Ce nom commun peut être pris en compte dans la mesure où l’on fait abstraction des phénomènes de mouvance du décor, des scènes et plans qui s’y rattachent. Ici, la mouvance du décor à une fonction « fictionalisante ».

En plus de faire intervenir des connotations stéréotypées, la ville de Dark City fait intervenir la notion de texte propre à la diégèse du film. De ce fait la mise en scène dans ce film participe l’élaboration d’un texte filmique.

2.2 / Personnification du décor : nouveaux enjeux narratifs

Dark City fait penser au Cabinet du Docteur Caligari. Il reprend l’idée d’un décor changeant, mais en modifie grandement sa nature et les raisons de ces changements : dans Dark City, le décor n’est plus le reflet de la vision du monde à travers le prisme mental d’un personnage dérangé, mais semble posséder une personnalité qui lui serait propre.

Si le film peut être rapproché des films expressionnistes, c’est en réalité davantage par l’atmosphère générale des décors, sombre, torturée et malsaine.

La bizarrerie des décors provient de l’accumulation de références temporelles contradictoires : l’aspect futuriste d’une SF classique est contrebalancé par la construction d’une ville « retro », s’inspirant d’une architecture allant des années 1940 jusqu’aux années 1970.

En réalité, le film va plus loin que les films expressionnistes allemands en matière d’innovation de représentation du réel et de mise en scène de l’espace, notamment par un traitement innovant de la personnification du décor :

Les mouvements et les distorsions d’une ville-organisme

Les immeubles sortent de terre, poussent comme des champignons monstrueux. La ville entière apparaît comme un être organique immonde et labyrinthique, composé d’excroissances chaotiques : certains plans larges de la ville la font ressembler à une forêt  luxuriante fantastique et rappellent certains films naturalistes montrant les mouvements particuliers des plantes lorsque leur croissance est visionnée en vitesse accélérée. Ceci est rendu possible grâce à l’emploi du procédé dit de Morphing.

Dans le film, les « Etrangers » ont la possibilité de modifier la matière et l’espace grâce à une machinerie complexe qui se trouve sous la ville. Cette machinerie fonctionne grâce à l’énergie psychique des créatures extraterrestres.

On retrouve ici le mécanisme de la machinerie des salles de théâtres, évoqué dans les chapitres précédents par Max de Nansouty  et Réjane Hamus-Vallée, qui permettait de changer les décors ou de les faire mouvoir. La monstrueuse machinerie de Dark City est bien-entendu plus  performante car elle permet de modifier non plus un décor mais un espace-temps.

Le principe est cependant resté le même : créer une illusion qui permet de manipuler non plus les spectateurs dans une salle de théâtre mais les habitants d’une ville entière.

Le décor mouvant, un personnage à part entière

Les décors font en effet parti intégrante de la structure narrative du film et permettent des résolutions ou des rebondissements de l’intrigue. Ainsi l’escalier en bois se rallongent sous les pas du héros qui essaie de s’échapper, des portes se matérialisent dans les murs fournissant, au gré des mésaventures, une porte de sortie pour le héros, des passages secrets vers la base ennemie ou vers l’ « extérieur » de la ville (Shell Beach).

Les immeubles mouvants eux-mêmes représentent un danger pour le personnage de John Murdoch et pour les « Etrangers ».

Cette personnification des décors est d’autant plus intéressante que toutes les autres traces de personnification et d’identification sont effacées ou perverties dans le film : tous les citoyens ne possèdent pas de personnalité propre mais une personnalité de substitution, échangée quotidiennement avec celle des autres citoyens selon le bon vouloir des maîtres de la ville en fonction de leurs expériences. Même l’enveloppe charnelle des habitants peut être amenée dans un autre endroit par les créatures lors des périodes d’harmonisation.

Les Extraterrestres ne savent pas non plus ce qu’est l’individualité puisque leur mode de rapport au monde passe par une conscience collective. Ils forment un seul et même être et n’ont pas de personnalité. A la manière des fourmis dans une fourmilière, ils vivent pour servir la communauté et non leurs intérêts personnels.

D’ailleurs, seul M. Hand à qui l’on avait injecté les souvenirs de John Murdoch, survit. Il s’est un peu humanisé et s’était donc désolidariser de ses congénères avant leur anéantissement final.

On assiste donc à un renversement de situation dans la mesure où les personnages habituels sont ici dépourvus de personnalité propre (citoyens et « Etrangers ») alors que le décor lui-même semble investi d’une personnalité, comme si la ville était devenue une véritable incarnation, résultat du transfert des énergies psychiques de chacune des créatures
extraterrestres vers cet unique réceptacle.

2.3 / Une Dématérialisation des décors

La dématérialisation des décors est un processus qui a largement profité de la formidable accélération des progrès en matière d’effets spéciaux. Les retouches numériques  et les images de synthèse ont très souvent remplacé les décors réels ou fabriqués.

Reprenons l’exemple de Dark City. L’influence des films expressionnistes et de Metropolis en particulier sur Dark City est flagrante . On retrouve par exemple le thème de la domination d’une majorité de citoyens par une minorité d’élus. Autre exemple, la symbolique de l’horloge géante des étrangers, symbole de leur maîtrise du temps, très présente dans le film et que l’on retrouve dans Metropolis. Cette symbolique de l’horloge apparaît d’ailleurs continuellement dans le film (présence systématique de plans d’horloges dans tous les lieux).

Les habitants croient avoir la maîtrise du temps mais il n’en est rien. On s’aperçoit que la mouvance du décor permet d’engendrer la création de nouveaux espaces-temps, ou en tout cas de redéfinir la notion d’espace-temps au cinéma.

Ici les « Etrangers » sont capables de créer artificiellement un espace-temps contrôlable et modulable en fonction des besoins des expériences qu’ils font sur les cobayes humains.

La ville est en réalité une bulle d’espace-temps flottante, une microstructure artificielle et autonome, englobée dans l’espace-temps général et plus vaste de l’univers.

Une nouvelle forme de rapport entre personnages et décors

Au regard de Metropolis et du Cabinet du docteur Caligari, Dark City permet d’approfondir les thèmes de l’illusion et de la manipulation des citoyens vivants dans une structure prédéterminée dont ils ne connaissent pas les rouages et les mécanismes de fonctionnements.

La portée philosophique et politique du film est évidente. Il entre d’ailleurs dans un courant de films qui exploite sensiblement la même veine, comme Cube, Matrix ou The Truman Show.

Dans tous ces films sont présentes les notions d’illusion, de réalité et de manipulation, même si les moyens scénaristiques et visuels différent. Mais Dark City va plus loin.

En effet, dans les trois films précédemment cités, les personnages sont confrontés à une illusion de réalité  (Matrix, The Truman Show) ou à un milieu artificiel et hostile (Cube). Même si les procédés de déformation de la  représentation de la réalité diffèrent (une matrice, un rubbick-cube géant ou un monde-décor), il existe un point commun : la pré-existence du réel (quel que soit sa nature) aux personnages.

Or, dans Dark City, tel n’est pas le cas – en tout cas au final –  puisque c’est le personnage de John Murdoch qui construit lui-même le monde, une fois les « Etrangers » vaincus. Il peut reconstruire à sa guise une nouvelle réalité qui possède une véritable existence matérielle : ce n’est ni un espace mental ni un espace virtuel mais un espace filmique construit à partir du néant, du vide sidéral entourant la ville.

Le décor final de Shell Beach est une matérialisation d’un lieu qui n’existait jusqu’à présent que dans ses souvenirs (et encore ce ne sont même pas ses propres souvenirs mais des souvenirs implantés). L’espace de réalité ainsi crée est une duplication de morceaux de réalité qui existent effectivement sur terre.

Ainsi la représentation du réel évolue tout au long du film en trois étapes :

  1. Représentation classique de la réalité. Le film est présenté comme un polar ou un film noir.
  2. Les distorsions de la ville commencent, une représentation selon les codes des univers de science-fiction se met en place (aspects fantastiques)
  3. Le réel est une matérialisation opérée à partir des souvenirs et des sentiments des citoyens-cobayes : les créatures construisent une réalité à partir des souvenirs des gens qu’ils capturent au cours des années, ce qui explique la coexistence de types d’architecture différents dans la ville. Le réel est une création des créatures dominantes.
  4. Le réel est désormais crée par un être humain, John Murdoch, qui a vaincu les créatures. Le personnage a non seulement conscience de la nature de la réalité dans laquelle il vit mais il est également capable de la transformer, ce qui n’est pas le cas dans les trois films cités précédemment.

Une « contamination » des personnages par les décors

L’interactivité personnages/décor constatée précédemment – création d’une véritable réalité doté d’une matérialité par le personnage de John Murdoch- trouve une application différente dans Matrix.

Dans cette séquence, Neo touche du doigt la surface d’un miroir qui se liquéfie. Cette matière contamine alors progressivement le corps de Neo.

On assiste alors à une fusion, au sens propre du terme, entre décor et personnage, matérialisant ainsi par l’image la découverte la matrice. La mouvance du décor sert alors de révélateur de l’irréalité de l’espace filmique.

2.4 / mouvance du décor et irréalité de l’espace filmique

Deux films principalement vont ici servir de point d’appui. Il s’agit d’Avalon et de Matrix. Tous d’eux peuvent être considérés comme des œuvres qui s’inscrivent dans la tradition sceptique .

Le mythe de la Caverne de Platon est ainsi revu et corrigé, ou plutôt adapter au monde moderne de la cybernétique et de la virtualité.

La mouvance du décor permet de mettre  en question le traitement de d’impression de réalité au cinéma. L’espace filmique devient un chevauchement de plusieurs réalités. De ce point de vue, la séquence d’ouverture d’Avalon est explicite.

Analyse d’Avalon, Séquence d’ouverture :

La mouvance du décor est rendue par des effets différents :

Le traitement des explosions :

Ce traitement est utilise la fixation des images ou de quelques blocs distincts au sein de l’espace filmique, comme l’arrêt sur image des explosions des tank.

Les explosions « aplaties » en 2d sont  plus intéressantes encore car elles permettent de visualiser les distorsions opérées dans l’espace filmique : la cohabitation de plusieurs dimensions au sein d’un même espace permettent une gestion novatrice des objets filmiques.

Le traitement des personnages :

Les séquences des apparitions  et des disparitions des personnages (Ash, civils, ennemis, hélicoptère, ombre….) procèdent du même principe, c’est à dire fixation de l’image (d’un corps) puis effacement.

L’arrivé des personnages dans le jeu vidéo de Avalon se fait de manière fantomatique. En effet, le personnage apparaît successivement à l’écran comme un agglutinement de pixels qui finissent par former un tout (i)-matériel uniforme : un être formel.

Cette entrée de personnage dans le cadre, permet de part l’apparente inhumanité de la forme corporelle (faite de pixels), de se questionner sur le personnage comme objet de décor en mouvance. Ici, le personnage possède la même matérialité que le décor.

Le traitement du paysage urbain

De même on assiste au téléchargement du décor de la ville : des pans entiers de la ville apparaissent par « à-coup ». L’image pixellisée et l’utilisation du Sépia permet la création d’un décor fictif et informatisé mouvant dans lequel évolue des personnages bloqués entre la représentation et la réalité.

Cette nouvelle mouvance permet de considérer le film comme représentation dans laquelle un personnage se retrouve enfermé dans un autre mode de représentation. L’univers informatique, outil et générateur d’image, utilisé formellement au cinéma peut également en devenir un enjeu narratif. La mise en scène se retrouve bouleversée par cette dualité image numérique / cinéma.

En fait, la réalité elle-même devient un décor : la réalité, l’espace dans sa quasi-totalité, d’un point de vue diégétique inhérent au jeu d’Avalon, devient objet de décor.

L’espace dans lequel évolue le personnage principal est entièrement figé (personnages compris, personnage principal non compris). Tout ce qui se retrouve figé est alors devenu décor.

Analyse de Matrix

Les innovations de Matrix en ce qui concerne la mouvance du décor concernent son parti-pris.

Contrairement à un film comme Dark City, le décor ne bouge jamais en soi dans le film. On ne voit jamais un mur se transformer en quelque chose de différent.

Dans le film, le décor est irréel, non matériel puisque uniquement composé de codes informatiques dont la seule représentation dans le monde réel est composée des lignes de codes verts tombant sur le moniteur comme de la pluie.

Il faut tout d’abord faire une distinction importante dans la diégèse du film afin de ne pas faire d’erreurs sur les exemples donnés.

La Matrice est un monde virtuel créé par les machines qui se doit d’être le plus réaliste possible et, par conséquent, de comporter le moins de changements possible afin de ne pas déroger aux « règles du monde réel ».

Ensuite, il existe des programmes créés par l’homme afin de simuler la Matrice ceux-ci peuvent donc se transformer comme nous le verrons.

Dans la Matrice, le décor n’agit pas sur les personnages. Ce sont au contraire les personnages qui cherchent à transformer le décor en fonction de leur besoin.

Mais pour cela, pour casser les règles qui régentent le système, il leur faut eux-mêmes créer des programmes. Ils peuvent ainsi aisément passer d’un dojo au toit d’un building via une Unité Centrale d’ordinateur.

Les effets spéciaux de Matrix ont fait impression à leur sorti. En effet, quoi de mieux que d’utiliser l’image numérique pour représenter un monde numérique ?

Le « bullet-time » mis au point par John Gaeta permet d’associer à un ultra-ralenti (de l’ordre de 12 000 images/secondes) toutes les possibilités dynamiques de la prise de vue habituelle.

Le mouvement comme coupe mobile du temps est ici décomposé à sa limite, bien qu’il reste certain qu’on ne puisse pas faire de coupes mobiles du mouvement.

Matrix cherche donc à « dé-temporaliser » les scènes d’action afin de pouvoir contrôler à loisir l’espace de l’action.

Le décor, à nouveau, ne bouge pas en soi : on ne voit pas une modification de la structure des immeubles, comme dans Dark City ou Avalon, mais plutôt une structuration du décor autour du personnage qui gèle le temps. La caméra a tout le loisir de parcourir alors l’espace centré autour du héros.

La mise en scène cherche donc à capter ces « instants quelconques » qui sont exploités par l’œil de la caméra afin de mettre l’accent sur les possibilités qu’à l’esprit humain de contrôler ce monde virtuel.

Conclusion

Si l’on peut parler des décors comme objets de mise en scène, à l’issue de cette recherche, on préférera parler de mouvance du décor comme élément de transition (d’où les différentes approches de la notion de temporalité faites tout au long de ce dossier).

Cet élément, capable de transformer un objet de décor en un autre objet, est un des multiples phénomènes transitionnels tenant lieu dans le monde cinématographique.

Après avoir énoncé les liens qui unissent effets spéciaux et mouvance du décor, nous avons vu en quoi la mouvance du décor peut s’inscrire dans des études faisant le lien entre la narration et la mise en scène : la mouvance du décor  peut avoir, par exemple, une fonction fictionalisante.

Elle peut également nous renseigner sur les personnages et nous révéler des enjeux narratifs et discursifs sous-jacents. Il ne semble pas étrange de considérer la communauté extra-terrestre de Dark City et leur emprise sur le décor d’un point de vue politique par exemple.

Cette étude restant non exhaustive, plusieurs éléments n’on pas été traités. Les liens qui unissent le son et le décor mouvant sont ainsi absents de ce dossier.

On peut aisément s’interroger sur l’utilisation des bruitages dans la scène du « Bullet-Time » de Matrix et sur les transformations des immeubles de Dark City (effets produits sur le spectateur, etc…)

Nous avons beaucoup axé notre étude sur l’image et sa matérialité. Le décor mouvant est parfois un élément qui, associé à la nature de l’image informatique, semble accentuer son apparente immatérialité.

De la même façon que la mouvance du décor peut être considérée comme un objet de transition, le cinéma semble traverser une phase de transition.

L’arrivé de nouvelles formes et de nouveaux matériels cinématographiques n’est plus à démontrer. La multiplicité des formats, des genres, des styles ou des matières, élargit d’avantage les possibilités cinématographiques.

« L’univers du cinéma » qui s’ouvrait déjà sur l’infini dès sa naissance s’en retrouve enrichi.

Analyse écrite en 20045 (et oui) par Etienne Jeannin, Pierre Brunet et Julien de la Jal.

Analyse Ciné : La Mouvance du Décor – 1ère partie

Introduction

Depuis une vingtaine d’année, on assiste à une révolution dans la représentation de la réalité au cinéma par l’intermédiaire d’une déréalisation croissante et d’une dématérialisation du décor.

Cette révolution s’est traduite par l’émergence de nouvelles formes cinématographiques. De nombreux films s’en font l’écho, comme Tron, Total Recall (Paul Verhoeven, 1990), eXistenZ (David Chronenberg, 1999), The Truman Show (Peter Weir, 1998),  Dark City (Alex Proyas, 1998), Matrix ou encore Avalon (Momoru Oshii, 2002). Ce sont ces trois derniers films qui nous intéresserons ici plus particulièrement.

Deux raisons principales et concourantes peuvent expliquer l’apparition de ces nouvelles formes cinématographiques que nous nous proposons d’analyser par le prisme thématique de la mouvance du décor :

Un bond-en-avant technologique avec l’apparition du numérique, de l’image de synthèse et de la puissance des calculs informatiques. Nous allons voir en quoi les effets spéciaux ne servent pas qu’à engendrer du spectaculaire, mais qu’ils sont aussi générateurs de ruptures profondes dans le traitement de la mouvance des décors.

Une dématérialisation croissante dans la vie quotidienne qui se manifeste dans les rapports sociaux (phénomène de disparition du lien physique au profit d’une mise en réseau), économiques (monnaie, flux financiers) et politiques (déconnexion entre les sphères dirigeantes, les centres décisionnels et de pouvoir et la masse des citoyens).

On parle même désormais de virtualisation de la société, étape ultime du processus de dématérialisation : il est ainsi très facile pour notre génération de plonger dans des univers alternatifs à la réalité, que ce soit par l’intermédiaire des jeux-vidéo, de la télévision ou du réseau Internet.

Les dernières recherches scientifiques en matière de virtuel n’ont pas que des applications militaires et économiques puisque le cinéma est en train de se les approprier. Martine Joly s’est d’ailleurs intéressée, dans son dernier ouvrage, aux interactions entre les dernières technologies virtuelles et cinéma.

Le cinéma est un art du temps, de l’espace et du mouvement. Le mouvement est dépendant du temps et s’associe à une durée dans espace filmique donné. Etudier le décor, sa mouvance et ses modifications, permet de prendre en considération ces notions. Le décor mouvant permet de prendre comme objet de réflexion des orientations variées.

Il convient cependant de préciser que l’objet de cette étude, tant son objet appelle de vastes considérations, ne peut prétendre faire le tour de toutes les problématiques, de tous les films et les sujets qui lui sont de près ou de loin liés.

Deux axes principaux de réflexion vont être ici privilégiés, à savoir les rapports qu’entretient la mouvance du décor avec la représentation de la réalité ainsi qu’avec la mise en scène.

Le décor est un des éléments de la mise en scène et peut être utilisé de façons différentes. Il est parfois l’un des objets centraux du film comme la ville dans Playtime (Jaques Tati, 1967) ou le motel et la maison de Bates dans Psychose (Alfred Hitchcock, 1960). Il peut devenir personnage comme la maison hantée dans Hantise (Jan de Bont, 1999) où le fantôme personnifie la maison jusqu’à ce que son visage s’immisce dans les murs et que ses bras deviennent les armatures du lit.

Outre la construction de l’espace filmique, le décor participe également à une proposition de représentation de la réalité. Nous allons voir que la notion de mouvance du décor entraîne une modification de la nature même du décor et par conséquent des changements dans les types de représentation de la réalité.

Le décor est ainsi devenu un espace mental comme dans Le Cabinet du Docteur Caligari (R. Wienne, 1919) et Fight Club (David Fincher, 1999). Il peut également tenir lieu d’espace virtuel comme dans Matrix (les soeurs Wachowski, 1999) et questionner le statut même de l’image cinématographique et son rapport au réel et à la réalité.

1. Utilisations classiques du décor mouvant

1.1/ Les décors mouvants naturels

L’espace dans lequel nous vivons est un espace en perpétuelle évolution. Le paysage naturel dans lequel nous évoluons lors d’une ballade en forêt est un espace en mouvement. Les arbres et l’herbe poussent de façon constante et quasi invisible à l’œil nu.

Certains films accélèrent le processus naturel. Le cinéma étant une succession d’images fixes, l’accélération de la diffusion des images aux yeux du public sera perçut en fonction du rapport qu’entretient le spectateur avec le temps de la réalité. Lorsqu’on nous montre les images d’une plante poussant à « vitesse grand V », comme dans Hic par exemple, notre rapport au réel s’en trouve bouleversé.

Aucun spectateur n’a jamais vu de ses propres yeux une plante pousser si vite. Bien que le cinéma tout entier puisse être perçu comme illusion, il n’en demeure pas moins une trace.

La mouvance du paysage réel qui nous entoure nous est représentée à travers une image trace cinématographique et une accélération temporelle du mouvement « normal » aux yeux du spectateur.

L’accéléré est un élément de mise en scène cinématographique. Son utilisation dans Hic permet de jouer sur la temporalité de l’action d’un point de vue diégétique et sur le temps de la projection.

Elle met en évidence la mouvance du décor naturel que l’on retrouve dans plusieurs films. La mouvance dans le décor naturel est donc omniprésente même si elle n’est pas forcément visible à l’œil nu, faute d’avoir utilisé un procédé de mise en scène qui mette en valeur cet état.

1.2 Les décors : mouvements mécaniques

La mouvance des décors a d’abord renvoyé à la notion de mouvements mécaniques des décors. Les décors mouvant servent alors plutôt à offrir une vision déformée de la réalité, non réaliste mais plutôt poétique et fantasmagorique. Méliès fut l’un des précurseurs dans l’invention et l’utilisation des décors mouvants.

Prémices du décor mouvant au cinéma

Il peut sembler étrange d’engager une réflexion sur la mouvance du décor en s’appuyant sur l’œuvre de Méliès. En effet, l’œuvre de Méliès est bien souvent caractérisée par la présence quasi constante de  plans fixes et de toiles peintes en guise de décors.

Il semble de ce fait impossible de dégager à priori de cette œuvre l’existence de mouvement dans le décor. Or rien n’est plus faux  que de parler d’absence de mouvement des décors dans les films de Méliès que de parler d’absence de montage. La présence de montage dans l’œuvre de Méliès n’est plus à démontrer.

L’héritage théâtral présent dans l’œuvre de Méliès nous permet de faire quelques comparaisons entre théâtre et cinéma du point de vue du décor.

Tout d’abord, le rachat par Méliès du théâtre Robert Houdin, à la fin du 19ème siècle, n’est pas un hasard. L’héritage théâtral de Méliès tient des spectacles de prestidigitation. Nous ne nous attarderons pas davantage sur l’histoire de Méliès, mais avant de parler de son œuvre il convient de rappeler brièvement le lien qui unit le théâtre et les effets spéciaux.

Théâtre et effets spéciaux

Dans le numéro de la revue Cinémaction intitulé Du trucage aux effets spéciaux , on trouve un article signé Réjane Hamus-Vallée : « Théâtre et effets spéciaux : une archéologie du trucage ».

Cet article met en évidence plusieurs points qu’il nous a paru intéressant de reprendre dans le cadre de notre étude. Elle part de considérations étymologiques, faisant la distinction entre le truc comme effet produit sur le spectateur et la machinerie comme technique mise en œuvre.

S’en suit une définition tirée d’un ouvrage de Max de Nansouty : 

« On désigne sous le nom de truc, au théâtre, toute disposition ou tout mécanisme employé pour faire mouvoir certains décors et exécuter des changements à vue, et aussi tout moyen dont on se sert pour faire apparaître ou disparaître un objet. Le truc est une forme matérielle de l’illusion : il est donc essentiel dans le fonctionnement théâtral ».

On constate que l’emploi du terme « faire mouvoir certains décors »  crée un lien entre le truc et la mouvance du décor. Tandis que la machinerie possède également un lien étroit avec le décor puisqu’elle concerne « exclusivement les changements de décor ».

L’article de Réjane Hamus-Vallé ouvre un bref historique des trucages employés au théâtre dans l’antiquité (le deus ex machina), au Moyen-Âge, à la renaissance et dans le théâtre des attractions du 19ème siècle.

Nous retiendrons de tout cela la présence de trucages tels que des mâchoires articulées de l’enfer crachant feu et flammes au Moyen-Âge, et la présence de changements à vue dans la renaissance. Nous reviendrons sur les mâchoires articulées de l’enfer dans notre chapitre sur l’expressionnisme.

Force est de constater que le décor mouvant n’à pas attendu le cinéma pour
apparaître au théâtre. Enfin, Réjane Hamus-Vallée fait plus loin dans son article, un rapprochement entre les changements à vue théâtraux et les changements de plans cinématographiques : 

« Plus la transformation est rapide, plus le « cut » est parfait ; plus elle est lente, plus elle se dirige vers la juxtaposition de deux espaces, autrement dit, le fondu enchaîné« .

Le spectacle d’illusion devient cinématographique

L’impureté du cinéma explicitée par André Bazin est à prendre en compte pour la suite de notre article. Le cinéma à beau se nourrir de codes appartenant aux autres arts, il possède ses propres spécificités que Méliès s’est empressé d’utiliser.

On retrouve dans le livre issu du colloque de Cerisy quelques planches de projets mettant en scène la mouvance du décor. L’un des projets est un
dispositif permettant de « dérouler » le ciel.

La technique est relativement simple. Il s’agit de faire tourner une roue sur les bords de laquelle se trouve un ciel peint. La hauteur du bord de la
roue correspond à la hauteur du cadre qui sera fait par la caméra. A l’écran le ciel semble bouger. Il s’agit en réalité d’une toile peinte.

Méliès, soucieux de créer l’illusion, essaye de retranscrire une mouvance de décor naturel (le ciel) en le soumettant à plusieurs systèmes de représentation. Ainsi le décor peint, sa mouvance, et la prise de vue sont des instruments de la mise en scène illusionniste de Méliès.

On retrouve l’idée de mécanisme. Cette idée fait penser à l’emploi de machineries au théâtre. Mais son emploi est strictement cinématographique. Il détermine le cadre et est enregistré.

Dans le même ouvrage, on retrouve un dessin de Méliès (fig. 26) représentant une machinerie articulée. Il s’agit d’une représentation d’un ogre dont les bras sont articulés.

Ce décor articulé peut il être réellement considéré comme un décor dans la mesure ou il s’agit de la représentation d’un personnage ? Nous verrons que cette question est récurrente lorsqu’on tente de dresser un panorama exhaustif et d’étudier les décors mouvants.

En effet l’un des effets de la mouvance des décors peut être la personnification de ces derniers. Ainsi beaucoup de maisons-fantômes dans les films sont des personnifications de l’être fantomatique ou d’une force démoniaque (apparentée bien souvent au démon).

Lorsqu’un décor prend vie on lui confère souvent une personnalité. L’usage,
au premier degré, de décors pour caractériser un personnage chez Méliès fait donc penser aux liens que peuvent entretenir les personnages et les décors.   

1.3 /  Décor et Expressionnisme : nouvelle conception du décor

L’expressionnisme allemand attachait au décor une importance fondamentale dans la narration. Ainsi la fonction narrative du décor dans Le cabinet du docteur Caligari est un élément important à souligner.

La stylisation du décor traduit la vision d’un homme résidant en hôpital psychiatrique. Cette idée, servant de justification au décor et aux événements du film, serait issue de Fritz Lang.

La réalisation de ce film fut confiée à Robert Wiene qui conserva l’épilogue du film (Fritz Lang tournait Les Araignées). Le scénario de tels films suscita l’intérêt de décorateurs tels que Walter Röhrig, Walter Reiman et Hermann Warm qui déclara : « l’image doit devenir graphisme ».

Il y a donc un lien inévitable entre le décor de films expressionnistes et la peinture dans Caligari bien que certaines personnes parlent de nécessité du style lié au manque de crédits (affirmation tenue par Edgar G. Ulmer reprise dans le livre Histoires du cinéma fantastique de Gérard Lenne).

Le film Nosferatu (F.W. Murnau, 1921)  laisse prendre en compte d’autres considérations du décor. Nosferatu est tourné en décor naturel, ce qui n’empêche pas le spectateur d’y trouver une étrangeté et un aspect  « irréel ». 

Les lieux sont aussi variés que le port de Wismar, les greniers à sel de Lübeck et le château d’Oravsky en Tchécoslovaquie. Mais le décor n’entretient dans ce film pas de lien aussi étroit entre la narration et le personnage que dans Le cabinet du Docteur Caligari.

Dans Nosferatu le voyage en terre inconnue est celui du jeune Jonathan Harker, parti dans les terres des Carpates. On suit le personnage. Dans Caligari on est à l’intérieur de l’esprit du personnage, le décor est lié à une perception ou une construction interne au personnage.

Le décor à donc un aspect mouvant. Quand le personnage voit les toits biscornus, la dynamique qui découle des lignes tracées par le décor, le rend quasiment vivant. Mais il ne s’agit, dans le cas présent, que d’extrapolations car le décor reste fixe.

Il faut donc aller chercher ailleurs la mouvance d’un décor mental. La grande profusion de films basés sur l’univers mental des personnages que nous offre la fin des années 1990 et le début du 21ème siècle permet de retrouver de façon plus concrète la présence de mouvements des décors.

Nous avons précédemment évoqué l’absence de mouvance du décor dans les œuvres expressionnistes citées, si l’on considère la notion de mouvance du décor prise au sens littéral du terme. Dans le cas de Métropolis de Fritz Lang (1927) les choses diffèrent : on y retrouve en effet la présence d’un système faisant penser aux mâchoires articulées de l’enfer (citées dans le chapitre « théâtre et effet spéciaux « ).

La bouche mécanique qui engloutit les personnages du film peut être considérée comme un décor mécanique mouvant et personnifié.

La suite : Evolution de la représentation du décor mouvant !

Analyse écrite en 20045 (et oui) par Etienne Jeannin, Pierre Brunet et Julien de la Jal.

Bibliographie

  • Gérard Lenne, Histoires du cinéma fantastique, 1989, pp.168
  • Max de Nansouty, Les trucs de théâtre, du cirque et de la foire, Armand Colin, La petite bibliothèque, série sciences créatives, Paris, 1909, p.37.
  • Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », in Poétique du récit, Paris, Seuil « point », 1976.
  • Réjane Hamus-Vallée, Du trucage aux effets spéciaux, Cinémaction (directeur : Guy Hennebelle)  n° 102,  Paris,   1er trimestre 2002.  p.40-45
  • A.J. Greimas, « Pour une sémiotique topologique », Sémiotique et sciences sociales, Paris, Seuil, 1976, p. 129-156
  • Alain Badiou, Thomas Benatouil, Elie During, Patrice Maniglier, David Rabouin et Jean-Pierre Zarader, Matrix, Machine Philosophique, Paris, Ellipse, 2003, p.161-162.
  • André Bazin, Qu’est ce que le cinéma ? , Ed 7 Art (première édition), 1958, pp.375
  • André Gardies, « L’espace diégétique », in L’espace au cinéma, Paris, Méridiens Klincksieck, 1993, p.59-103
  • Cités-cinés, Ouvrage collectif, Coordination : Lise Grenier (IFA) assistée de Aurélie Akerman / Catherine Boulège (Ramsay), « Dans les villes crépusculaires » ouvrage co-édité par la Grande
  • Halle / la Villette et les éditions Ramsay à l’occasion de l’exposition Cités-Cinés, Paris, 1987 p.109
  • G. Deuleuze, L’image mouvement, Paris, Edition de Minuit, 1983 (1er chapitre).
  • Martine Joly, L’image et son interprétation, Paris, Nathan Cinéma, 2002.pp.220
  • Méliès et la naissance du spectacle cinématographique. Colloque de Cerisy sous la direction de Marie Malhêtre Méliès, ed. Klincksieck, Paris,  1984. pp.242

DVD

  • Dark City, Entretient Galeshka Moravioff  (bonus du DVD du film d’Alex Proyas)

Filmographie sélective

Expressionnisme :

  • Cabinet du Docteur Caligari (R. Wienne, 1919) 
  • Métropolis (Fritz Lang,1927)
  • Nosferatu (F.W. Murnau, 1921) 

Décor mouvant et enjeux narratifs :

  • Dark City (Alex Proyas, 1998)

Décor mouvant et espace virtuel :

  • Matrix (les frères Wachowski, 1999)
  • Final Fantasy, the spirits within (Hironobu Sakaguchi, 2001)

Décor mouvant et espace mental :

  • Fight Club (David Fincher, 1999)
  • Avalon (Momoru Oshii, 2002)

Analyse cinéma. « Le Road-Movie hors des sentiers battus »

par Baptiste Decourty.

Conseil de lecture : bien que vous puissiez lire cet essai sans avoir vu les films, il est conseillé, si vous ne voulez pas connaître la fin des films, de regarder Gerry (Gus van Sant, 2002, avec Matt Damon et Casey Affleck), La Colline a des yeux  (Alexandre Aja, 2006, avec Aaron Stanford), et Phénomènes (M.Night Shyamalan,  2008, avec Mark Wahlberg et Zooey Deschanel).

 

 

 

     Comment fuir du village ? “Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !”

Comment fuir du village ? “Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !”

 

                                                Les contes et histoires se déroulant sur les routes sont primordiaux pour de nombreuses cultures. C’est le cas de l’Odyssée d’Homer mais également, du A bout de souffle (1960) de Godard ou du Ten d’Abbas Kiarostami (Iran, 2001).  Mais le « Road-movie » américain possède, sous plusieurs aspects, une histoire. La grande importance de la route au sein même de la culture nord américain en est une des raisons, avec des notions telles que celles d’auto-mobility, de l’importance de posséder une voiture personnelle, où encore du National Highway Act de 1956 (qui prévoyait le développement des autoroutes sur le territoire nord américain pour des raisons de transport, de  communication et de défense). Une autre raison, interdépendante de la première mais d’un point de vue cinématographique, est le grand nombre de productions étasuniennes de road-movies ou de films liés à l’automobile et à la route :  Easy Rider, Christine, Grease, Wild at Heart (Sailor et Lula), Détour, Natural Born Killers(Tueurs nés)  …

                La route est une structure humaine qui trace des lignes et construit tout un réseau sur le territoire des Etats-Unis. Mais au XIXème siècle, c’est au sein de la Nature américaine que les transcendantalistes de la petite ville de Concord (au Massachusetts), tels que  Ralph Waldo Emerson ou Henry David Thoreau, voyait le fondement même de la philosophie et de l’unité du peuple étasunien. Si les protagonistes d’Easy Rider tentent de trouver les EU sur la route, ce sera plus au fil des panoramas défilants que sur la route même qu’ils approcheront de leur but. La route ne serait alors qu’une droite, une ligne découpant le paysage. On pourra d’ailleurs remarquer avec ironie que sur une photo comme celle-ci, notre regard soit tellement attiré par la route qu’on en oublierait le ciel et les bas-côtés qui peuplent pourtant la plus grande partie de l’image :

  

‘The Road West’ de Dorothea Lange, 1938

 

                L’espace hors des chantiers battus serait alors une base et donc une condition même à l’existence d’une route. Peut-être plus encore aux EU qu’en France, une grande majorité de personnes continuent de conduire à outrance, préférant être seules dans une voiture à l’utilisation de transports en commun. La nature et les paysages semblent parfois être oubliés en tant que tel, et si certains médias en parlent massivement, les changements au sein des cultures, tant européennes qu’américaines, tardent à venir.

                Nous allons ici tenter de mettre en relief quelques représentations cinématographiques du « off-road » (de cet « espace hors des sentiers battus »). Nous partirons sur une double hypothèse. Tout d’abord : le territoire en général serait plus contrôlé par le réseau (autoroutier) américain, et donc le off-road américain aurait une existence dépendante du pays. Ou bien : l’existence même du réseau et des routes auraient fait perdre de vue les espaces en dehors des routes fréquentées, et aurait fini par créer un nouveau mythe, celui de l’espace vide ayant une existence propre.

                Nous allons, pour commencer, questionner l’idée de la route en tant que ligne (en un certain sens en tant que « frontière américaine ») et ce que signifie alors être sur ou en dehors de celle-ci. Nous partirons alors du film Gerry (Gus van Sant, 2002). Nous nous demanderons ensuite si le off-road comprendrait alors, outre les Américains se perdant en dehors des routes, tout une forme de vie n’appartenant qu’à cet univers et oubliée de la société américaine avec La colline à des yeux  (Alexandre Aja, 2006). La raison pour laquelle les easy riders n’arrivent pas à redécouvrir l’Amérique sur les routes pourraient alors être parce qu’elle réside en dehors même des routes ; ou bien alors,  peut être n’est-elle même pas un lieu. C’est pourquoi nous finirons par jeter un œil au Phénomènes (M.Night Shyamalan,  2008) pour clore cette discussion tout en ouvrant de nouveaux paysages.

D’après ce paysage de ‘Gerry’, et sans route apparente, comment trouver un chemin ? Les gens connaissent-ils vraiment leur pays ?

 

                                                La Nature aux Etats-Unis est un thème important. En effet, Emerson dans son essai Nature (1836) expose sa théorie comme quoi la Nature est en toutes choses, comme une sorte de divinité réglant nos vies mais pas de manière oppressive. La raison de la présence de la Nature et de son renouveau constant serait d’enseigner au peuple américain comment se débarrasser du poids culturel du vieux continent :  « Notre âge est rétrospectif. Il bâtit les mausolées de nos pères. Il écrit des biographies, des histoires et de la critique. Les générations précédentes regardaient Dieu et la nature en face ; nous le faisons à travers leurs yeux. Pourquoi ne pas jouir, nous aussi, d’une relation originale à l’univers ? » Il explique également dans The American Scholar (1837) qu’un peuple libre dans les termes ne l’est pas forcément dans l’esprit des gens. Pour se libérer, les américains se doivent alors de trouver un point commun à tous les individus formant ce nouveau peuple, vis-à-vis du pays, puis entre eux : la Nature américaine, qui est à la fois la nature comme nous l’entendons, et l’ordre de toutes choses qui fait le monde tel qu’il est, et permet même l’existence de la Culture.

Il écrit : « Afin de tendre vers la solitude, un homme se doit de s’extraire tout aussi bien de son cabinet que de la société. Et bien que personne ne soit à mes côtés, je ne suis pas solitaire tant que je lis et écris. Mais si un homme en venait à vouloir être seul, il lui suffirait de regarder les étoiles. Les rayons venant de ces mondes célestes sauront le séparer de ce qu’il touche. On pourrait même penser que l’atmosphère a été fait transparent à cette fin : pour donner aux hommes, à travers les corps célestes, une vision de la présence constante du sublime. »

Ces textes ont, dans une certaine mesure, imprégné le cinéma américain et on peut même en voir une trace dans le Wall-e (Andrew Stanton, 2008) quand le robot perçoit de manière furtive quelques étoiles à travers le nuage de pollution qui constitue le ciel. On peut en voir un exemple dans Gerry également ; film dans lequel deux amis se surnommant l’un l’autre Gerry partent faire une randonnée et finissent par se perdre au milieu de déserts et de montagnes nord-américaines. Ils sont alors seuls et directement confrontés à une nature américaine brute. La notion de sublime est celle d’un sentiment au-delà de tout entendement créé par la perception d’un certain objet ou d’une certaine entité et qui donne un aperçu de la grandeur, de la complexité et de l’infinité de l’univers. Ce sentiment est alors présent dans ces exemples et au sein même des longs plans de paysages et de ciel du film de Van Sant.

                                Dans les westerns, la nature est également primordiale mais l’idée de « frontière » dépeint une Amérique allant toujours plus à l’ouest, repoussant les limites du territoire et étendant sa culture. Bien sûr, alors même que la côte ouest a été atteinte, on peut voir que la frontière à été repoussée sur des terrains non-spatiaux tels que ceux de la technologie, de la maîtrise complète du territoire, de l’informatique, etc.  Le pony-express est un exemple de cette progression, mais on pourrait également citer la création, avec la révolution industrielle, de l’automobile à la fin du XIXème, et la révolution aux EU du National Highway Act de 1956. Pour la première fois, un réseau majeur d’autoroutes allait être construit aux EU, une sorte de cathédrale en l’honneur de la voiture et de la notion américaine de la liberté.

La longue séquence d’ouverture de ‘Gerry’ montre les deux amis allant silencieusement vers une destination inconnue. La route est aux commandes. Ils passent à côté de chevaux, fantômes de modes de transports d’un autre temps. Les deux Gerries sont encadrés est menés par la voiture et la route : sont ils vraiment prêts pour la liberté ?

 

La route devient le symbole de la possession du territoire. Si le peuple américain doit trouver sa personnalité et sa liberté au sein de la Nature, selon les prédictions émersoniennes, la Nature sera contrôlée en retour par le peuple, sera rendue docile et proche. On pourra tout de même douter du fait que ce dernier point fît partie des leçons d’Emerson, car selon lui la Nature ne doit pas seulement être trouvée, elle doit être expérimentée. Nul besoin de modes de transport complexes quand le sublime vous permet à lui seul de faire voyager votre esprit. De plus, dans l’essai Self Reliance (1841), il ajoute l’idée selon laquelle il n’est nul besoin de voyager, quand bien même de l’aide est demandée ailleurs, car il y faut d’abord savoir régler les problèmes autour de soi et en soi.

La technique et la technologie peuvent être bonnes mais on est en droit de se demander si la possession du territoire par les routes n’éloigne pas petit à petit l’homme de la Nature. La Culture qui aurait pu être partie intégrante de la Nature s’en retrouve de plus en plus distante. Les routes apportent la possibilité d’aller voir des aspects lointains de la Nature (disons, une île, un désert, etc.) mais vous prive en un sens d’un certain type de voyages pour atteindre ces lieux. Les protagonistes de The Searchers (La Prisonnière du désert, John Ford, 1956), ont un long voyage à faire à travers des paysages naturels et le passage des saisons afin d’arriver à leurs fins. Du fait de n’être montré qu’en quelques longs plans, le passage de conduite de voiture dans Gerry peut sembler long mais il ne traduit en réalité que la notion de longueur de temps que nous avons aujourd’hui.  Notion qui nous fait dire qu’un voyage aux EU en avion est long alors que ça ne prendra qu’une douzaine d’heures, ce qui est en réalité extrêmement court.

En outre, le road-movie peut être tellement poignant qu’il nous rappelle l’expérience cinématographique, de « la fenêtre ouverte sur le monde » d’Alberti au passage des images créant l’illusion de mouvement grâce à l’effet Phi. Voyager sur les routes ce n’est pas vraiment faire l’expérience d’une quelconque nature, c’est faire l’expérience d’un média : la route, la voiture.

 

 

                                Tout ceci expliquerait pourquoi, lorsque les protagonistes de Gerry tentent de se souvenir de la route empruntée, nous ne voyons à aucun moment la carte qu’ils tracent sur le sol. Ils sont tellement habitués à avoir accès à la Nature de façon médiatisée qu’ils ne savent plus lire les indications du soleil, du vent, ou même dessiner une carte à partir de souvenirs. Le vent va même à un moment aller contre eux lorsqu’ils marchent dans un chemin tracé naturellement entre deux montagnes : mais qu’est-ce qu’un chemin si ce n’est une construction mentale ? Tout ce que nous avons ici est un écart entre deux parois, ce n’est pas le chemin qu’ils cherchent ; le vent tente de le leur signifier ; ils continuent car ils sont trop habitués à ne voir partout que des réseaux, des signes et des routes. Ils se trompent même en tentant de lire des traces laissées par des animaux car ils tentent d’avoir une réflexion naturelle alors qu’ils pensent toujours en termes de causes et d’effets, de manière binaire comme les directions d’une route. Leur mémoire est médiatisée, déformée par des signes et c’est pourquoi nous ne voyons que des images de film 16mm de routes et de panneaux routiers depuis l’intérieur de leur voiture alors qu’ils essayent de se souvenirs de paysages qui ne cessent de leur glisser hors de la tête.

Perdus au milieu de la Nature, les deux Gerries ne peuvent comprendre les routes naturelles car elles sont comme les évènements naturels : « Nous pouvons formuler des théories et des hypothèses à écrire dans les livres, mais au bout du compte, certains évènements sont juste des actions dictées par la Nature et que nous ne pourrons jamais comprendre entièrement »  (‘The Happening’). Ils sont imprégnés de réseaux culturels.

 

Les deux amis se retrouvent perdus au milieu de paysages. Le film nous le montre à travers plusieurs variations scalaires lorsqu’on les retrouve par exemple tout petit au milieu de décors immenses. De plus, lorsqu’ils prennent le chemin de randonnées au début du film, on les suit en train de marcher mais ils ne vont pas jusqu’à la fin du chemin ; ce n’est pas beaucoup et pourtant, déjà, ils sont épuisés et la nature l’emporte sur eux. Ils font alors demi-tour, même si nous ne pouvons nous-mêmes en tant que spectateur en être tout à fait sûr, puisqu’ils semblent ne tourner qu’à 90°. Eux ne le remarquent pas et ce sera pourtant le début de leur pérégrinations même si ils ne l’admettent pas  et continuent à chercher une route. Ils se moquent même de la participante d’un jeu télévisé qui n’a pas trouvé une expression à une lettre près alors qu’eux-mêmes sont en train de se perdre durant cette discussion[1].

Au début de la randonnée, ils croisent  un panneau : signe culturel marquant un portail vers la Nature ? C’est une autre illusion alors même que le chemin n’est qu’un entendu culturel. Mais la Nature les rattrape alors qu’ils veulent faire demi-tour. Les jeux scalaires les montrent perdus, jusque dans le temps. Le T-shirt de Gerry représente une étoile … un guide dans la nuit ? Pas pour eux en tous cas car ce n’est qu’une représentation, un signe culturel : ils ne savent pas réellement lire les étoiles.

 

Par deux fois on les voit autour d’un feu de camp. Dans Road Movies, Devin Orgeron explique que le feu de camp arrête le mouvement du voyage et établit un lien avec le foyer en créant un cadre dans l’image (de part la lumière du feu et les ténèbres l’entourant), et une atmosphère privée. Ils recherchent donc le confort du foyer. Si ils parlent de grandes cités et de nature, ce n’est qu’en référence à des jeux vidéos. Ils blaguent sur des dinosaures quand ils entendent un bruit suspicieux, ce qui est drôle mais montre bien qu’ils ont des références culturelles mais aucune idée de la réalité  qui les entoure. Le film semble dire que l’homme américain ne sait plus lire la Nature, et qu’en un sens, la route qui devait apporter plus de liberté a raté son but en les encadrant et en les enfermant dans la culture. Lors de la seconde scène de feu de camp, ils sont déprimés, affamés et ne se regardent plus.

   

Un feu de camp pour retrouver un touche de sécurité comme avec la caravane de  ‘La Colline a des yeux’. Un cinéma de la marche qui fonctionne en tandem ; peut-il durer ? Un mouvement de caméra qui tourne autour de Gerry comme si il était un soleil ; comprendra-t-il qu’il est probablement la seule réponse à sa quête de chemins ?

 

Nous pourrions, en extrapolant les écris d’Emerson, dire que si le tissu social ne fonctionne plus, cela signifie qu’ils doivent être seuls pour se retrouver, à la fois eux-mêmes et leur Nature. Mais ils ne sont pas prêt à faire une telle chose durant une grande partie du film. Certains ont pensé qu’ils n’étaient qu’un et même personnage, ce qui serait tout à fait sensé. Ainsi pourrait-on analyser le film en disant que lorsqu’un Gerry finit par mettre fin aux jours de l’autre afin de le libérer de sa douleur, cela pourrait être, symboliquement, le signe que le personnage se débarrasse de sa dualité et décide d’aller seul de l’avant dans ce monde : et c’est ainsi qu’il rejoint la route. La question subsiste pourtant : son acte est-il dommage puisque la route était finalement si proche ou bien est-ce parce qu’il a fait cela qu’il a trouvé la route ? Alors que nous le voyons porter ce poids sur ses épaules dans la voiture qu’il le récupère, nous savons que cette question devra le hanter toute sa vie. Le conducteur lui lance un regard mais après cette expérience, Gerry ne peut le soutenir. Il se peut effectivement qu’il ait trouvé quelque chose dans la solitude qui aura définitivement changé son expérience de l’Amérique culturelle et médiatisée. Les questions sur la sortie, sur l’identité individuelle ainsi que sur le western en tant que genre pourraient être poursuivies dans la série Le Prisonnier.

Quand Gerry tue son ami, le sublime de la Nature est en jeu : les nuages se déplaçant magnifiquement à toute vitesse projettent des ombres sur le sol et découpent, tel une route, ou de la même manière que les ombres viennent diviser le visage de Gerry, le paysage. Puis la route semble d’elle-même trouver Gerry, et il suffira d’un changement de point pour nous faire voir que la ligne d’horizon supporte des voitures, et n’est autre qu’une route.

 

                                                                Dans La Colline a des Yeux, le personnage principal, Doug, est le beau fils démocrate d’une famille de républicains qui adorent voitures et armes à feu. Ils voyagent tous ensemble sur une route du Nouveau Mexique longeant le désert avec voiture et caravane quand ils sont contraint de s’arrêter pour faire le plein. L’employé de la station leur conseille un raccourci qui est une petite route à travers le désert, route sur laquelle ils ont un accident. C’est en réalité un piège tendu par une bande de mutants complètement dingues !

La route n’est pas qu’un chemin pour les hommes ; plus généralement, elle peut être vue comme un câble, un réseau de communication et de transports de biens et d’informations. Un pays tel que les EU comptera sur les routes pour assurer le transport de biens et de services qui ne peuvent être produits partout. Le territoire est géré de telle façon à ce que chaque endroit, à un macro- ou à un micro-niveau, soit plus ou moins spécialisé dans la production massive de quelques produits qui seront ensuite emmenés et échangés dans le reste du pays, voire du monde. Ces livraisons et échangent sont un aspect de la route. La route est un outil de communication est peut être lié au système postal, puis à l’internet et aux portables qui peuvent tous être représentés sur carte.

Le film commence comme un road movie avec nombre de ses symboles. Mais ils sont vieux et délabrés Quelque chose pourrait bien venir contrecarrer le succès du voyage.

 

Dans ce film précisément, Doug travaille pour une compagnie de téléphone. Son succès n’est pas basé sur sa capacité à réparer une voiture mais à maîtriser les réseaux digitaux de communication. Il est, bien plus encore que les Gerries, un enfant de la grande et large route et des réseaux, mais pas réellement au niveau physique, puisqu’il est moins habitué à voyager que ne l’est sa belle famille.

Ils prennent donc les petits chemins de terre non goudronnés, tombent dans un piège, percutent un rocher. Ils ne captent aucun réseau sur leurs portables alors il ne leur reste plus qu’à marcher ou à attendre et se retrouvent à la merci de toutes les choses hors des routes. Leur dernier refuge est cette fausse maison qu’est la caravane dans laquelle ils dînent et prient. Ce havre n’est qu’une illusion puisque les mutants y rentrent et en sortent à volonté. Ici ou avec l’exemple du réchauffement planétaire, il semblerait que notre confort et notre train de vie contemporains dépendent alors encore de la planète.

L’une des raisons expliquant la taille, fluidité et organisation des routes étatsuniennes, était de permettre aux américains de fuir rapidement en cas d’attaque nucléaire, la peur du nucléaire étant très présente durant la Guerre Froide. Le réseau et la mobilité étaient alors vus comme potentiellement vitaux et on peut le voir dans de nombreux films des années 1950 et 60 comme La Guerre des mondes (Byron Haskin, 1953).

D’un autre côté, les EU avaient eux-mêmes utilisé la bombe nucléaire à la fin de la 2nde Guerre Mondiale, et on sait qu’ils faisaient des expériences nucléaires à des endroits plus ou moins secrets et avec un minimum de population, comme les déserts.

Parallèles entre ‘La Colline…’ et ‘Phénomènes’ : les trous laissés dans le sol par les expériences nucléaires et la fumée des industries partant dans les airs. Un village-témoin mort comme symbole récurrent du rêve américain et des slogans oubliés en chemins. « Vous l’avez bien méritée », dit la publicité.

                                Et si le nucléaire venait de l’intérieur causer des dégâts ? Et si le danger ne venait pas de l’extérieur mais bien du pays lui-même ? C’est déjà arrivé, et c’est ce qui se passe dans ce film. En effet, le nucléaire irradiant les mineurs des environs et leurs familles, des maladies et malformations ont commencé à se propager sur eux et à leurs enfants. Le gouvernement a visiblement fermé la zone et les populations locales ont été oubliés, cachées sous la terre jusqu’à leur retour dans un village-témoin. Ces populations, crées et stigmatisées par les EU comme avec une lettre pourpre, sont énervées et en quête de vengeance.

Si le réseau majeur de communication aux EU est la route, le off-road est le grand oublié, abandonné de la société. Ce qui est hors de chemins battus, c’est la sous-culture que nous tentons de cacher ou d’éradiquer en faveur de la culture principale. Dans ce film, la représentation de la route et des voitures va dans ce sens. Les mutants tuent et dévorent les voyageurs qui s’aventurent sur les routes oubliées, puis ils utilisent leur objets, ils parodient les vestiges de symboles américains tels que des mannequins, des drapeaux, des télévisions. Sur ces dernières, ils n’apparaissent bien sûr pas, n’étant pas partie intégrante du grand public ; pour se rendre visibles ils doivent faire violence, visuellement et auditivement comme dans le générique de début du film durant lequel des images violentes de mutants apparaissent.

Soit ils amoncellent les voitures de leurs victimes dans les trous causés par les tests comme un cimetière sarcastique, soit ils les gardent dans leur village mais en en changeant l’aspect afin qu’ils ressemblent à des cages, symboles contrariés de la liberté étasunienne apportée par l’automobile. Ils voyagent sur des chemins et à travers les tunnels miniers. Pour les retrouver, Doug va devoir revoir sa logique basée sur l’autoroute et la culture de masse ; il va devoir suivre une route tracée par le sang à travers le désert.

Images de voitures détruites par des tests nucléaires : l’Amérique détruit ses propres symboles, symboles qui finissent dans le cimetière automobile.

Les mutants utilisent d’autres moyens de transports que ceux de la route principale. Doug suit des traces de sang dans la nature.

 

On pourrait facilement faire le lien, comme c’est le cas avec nombres de films d’horreur, entre cette histoire de mutants et les contes de fées. Les créatures des bois telles que le loup du Petit Chaperon rouge en sont un exemple. Il imite la voix de la grand-mère car il a des caractéristiques toutes à la fois humaines et du sauvages, tout comme le sont les malformations des mutants. Ces dernières peuvent être vues comme des traces de leur métamorphose avec la pierre et le sable du désert (ce qui  expliquerait leur force, vigueur et discrétion). Dans les contes de fées, le but des créatures malsaines est d’attirer le héros en dehors du chemin, dans les bois, là où leurs pouvoirs naturels sont à leur maximum. Enfin, à l’origine les contes dépeignent des monstres humains et personnels tels que des membres de la famille, des désires, etc. Dans La Colline, le monstre fait définitivement partie de la culture américaine quand bien même il serait refoulé ; le monstre est comme ces mannequins, représentations déformées de la beauté et de la perfection, et c’est pourquoi on peut en un sens les comprendre et les plaindre.  Le lien avec le conte de fées est aussi présent dans Wolf Creek (Greg McLean, 2005) puisque les personnages sont traînés hors de la route, code différent de celui d’ Halloween (John Carpenter, 1978) par exemple dans lequel le tueur est mobile et va dans la maison, ou encore de ceux d’Evil Dead (Sam Raimi, 1981) et de The Shining (Stanley Kubrick, 1981) dans lesquels les personnages choisissent d’aller là-bas. Tous ces codes sont anciens bien sûr et se croisent ici et dans les contes : dans Evil Dead par exemple, l’une des jeunes filles est traînée vers la forêt.

La voiture est un monstre à présent mais Doug a encore le réflexe de s’y réfugier. Parce qu’il ose faire face aux fantômes de sa société il s’en sortira vivant : mais est-il lui-même devenu un monstre en utilisant les armes des mutants, ou a-t-il reconquis les symboles d’une Amérique : le drapeau, et la hache du bucheron des contes.

 

Pour finir, Doug revient avec son bébé et son chien après avoir tué de nombreux mutants. Entre temps, son beau-frère et sa belle-sœur se sont défendus et en ont tué un en faisant sauter leur caravane. En acceptant de détruire leur maison illusoire, ils acceptent de quitter la foyer, de grandir et de faire face à tout ce qui n’est pas sur la voie principale. Quand Doug revient dans un cadre entouré de flammes, il est vivement accueilli par les deux autres personnages. La fin heureuse et son entrée en scène sont classiques du retour du héros, au point d’en être parodiques. C’est alors que nous nous rendons compte qu’ils sont observés depuis la colline à travers des jumelles. On peut alors se demander si il reste encore des mutants ou si ce n’est qu’une représentation à la première personne du off-road qui sera toujours présent tant que les gens seront heureux de voir la culture principale remporter la victoire finale et oublier les autres (le sens de ce happy-end),  et ce en dépit des preuves des contradictions de notre société.

Le héros américain a combattu les fantômes du passé, mais dès qu’ils sont formellement oubliés, ces derniers pourraient bien réapparaître.

 

                                                                Dans cette dernière partie, nous allons nous demander si ce qui se trouve hors des chemins battus ne serait pas plus américain que la culture de masse et que la route. « Où se trouve l’Amérique ? » nous demande Easy Rider, alors que les deux personnages centraux voyagent à travers le pays sans, selon eux, la trouver. Afin de pouvoir la trouver, encore faudrait-il pouvoir la définir. L’Amérique de qui, pour commencer ? De celle d’un peuple qui a été formé par un melting pot général, ou de celle des amérindiens ? Ces derniers aussi sont des oubliés en un sens, représentés dans les westerns classiques non comme individus mais comme un groupe, partie intégrante de la nature américaine et du paysage : semi-homme/semi-nature comme les mutants de La Colline

Dans Easy Rider, la quête se fait en moto. Quand ils descendent de moto c’est, par exemple, pour installer un feu de camp afin de retrouver un semblant de foyer. A aucun moment, même avec la communauté hippie, ils ne quittent la société américaine pour une expérience solitaire avec la Nature comme les Gerries. Et bien qu’ils aient ces paysages sous les yeux, à toute vitesse, ils ne s’arrêtent pas pour se demander si ce ne serait l’Amérique, que ce pourrait être en eux-mêmes également.  Au lieu de cela, ils continuent à aller vers les gens et à être déçus.

   

 ‘Phénomènes’ : comment rendre le vent, l’invisible, et ce qui se passe entre les gens, visibles ?

 

                                The Happening (Phénomènes) pose de nombreuses questions alors qu’une pulsion étrange se propage, poussant les gens à se suicider. Le phénomène commence sur la côte est des EU et se propage vers l’ouest, suivant la direction de la colonisation américaine : se pourrait-il alors que l’Histoire américaine soit en jeu ? Le système des moyens de transport semble être en question également alors qu’Elliot, Alma et Jess (la fille d’amis à eux) vont pour prendre un train (le premier moyen de transport motorisé aux EU) pour fuir à l’ouest. Mais les moyens de communication et de transport sont touchés à tous les niveaux puisque quand le train s’arrête, les conducteurs avouent avoir « perdu le contact avec tout le monde ».

   
   

La communication est omniprésente mais sans réseau les gens sont comme perdus. Le road-movie peut-il alors se poursuivre ?

 

         

Au milieu des bouchons et des banalités, une nouvelle communication de la mort se met en place …

 

Puis les gens commencent à prendre des voitures mais la voiture est un mode de transport individuel  ; une seule voiture s’arrête pour faire monter nos protagonistes. Le phénomène se répand bientôt partout et dépasse la vitesse des voitures. La vérité frappe alors un groupe de gens arrivés à un carrefour depuis des directions différentes : aucune route n’est plus sûre. Comprendre ce fait et décider de fuir à travers champ vers de vieilles routes absentes des cartes leur prend un moment. Malgré ce plan, le phénomène les poursuit. Elliot, en bon biologiste tente de comprendre ce qui se passe en se basant sur sa connaissance des faits : il finit par formuler l’hypothèse selon laquelle les plantes rejetteraient une toxine contre l’être humain devenu une menace pour elles et la planète. La toxine serait alors libérée lorsqu’un groupe de gens trop nombreux seraient réunis et serait propagée par le vent. Ils prennent la décision d’éviter les routes puisqu’il y aurait trop de monde et de se diviser en petits groupes. Ce faisant, ils ne sont plus affectés par le phénomène.

Après avoir fait face à des zélotes et avoir fuit à travers champs, ils finissent par atteindre la maison d’une sorte de vieille ermite. Cette femme les accueille mais n’a que peu de notions de sociabilité et se révèle être folle. Le lendemain matin elle est affectée par le phénomène et se suicide en fracassant une vitre, laissant ainsi le vent rentrer dans la maison. Elliot et Alma se retrouvent alors séparés dans deux pièces à un bout et à l’autre du terrain ; pièces reliées par de petits tuyaux de communication. Depuis le début du film, leur couple est dans une mauvaise passe mais il ne veulent pas mourir seuls sans avoir renoué les liens du passé, alors ils finissent par sortir dehors, dans le vent et survivent alors que le phénomène semble s’être arrêté.

                                Cette régression technologique conduit les personnages de plus en plus loin de la route, et de plus en plus au sein de l’histoire américaine. Ils finissent leur voyage dans cette maison isolée, rappelant l’idée de hutte ou de cabane construite par Thoreau pour son ermitage, et semblent y trouver une réponse au fléau qui frappe le pays.

Le film peut être relié à d’autres œuvres et philosophies. Tout d’abord, on peut y voir une réflexion sur l’œuvre de Hitchcock. Les images du ciel et des arbres dans le vent semblent montrer tout aussi bien une absence qu’une présence frappant non seulement d’en haut mais de également de tous côtés. Le manque dans l’image pourrait être celui des fameux oiseaux d’Hitchcock. Le manque de caméo de la part de Shyamalan dans ce film serait-il alors un hommage à Hitchcock qui manque à ce genres de films et qui lui également avait l’habitude d’apparaître dans ses films ? A la fin de Les Oiseaux  (Alfred Hitchcock, 1963) les personnages fuient sur les routes alors qu’un rayon de lumière redonne un léger espoir  : un suite à ce film aurait pu être un road-movie. Dans Phénomènes, le voyage se poursuit .

 
   

Les dernières images de ‘Les Oiseaux’ comme un début de road movie. C’est précisément cette route qui est interdite dans ‘Phénomènes’, dans lequel les réseaux américains sont réglés par les vents et non plus par les grandes routes. Dans ‘Les raisins de la colère’, alors qu’un fermier parle du changement le vent de cesse d’être entendu.  

 

L’autre film de référence ici sera Les Raisins de la colère (John Ford, 1940) dans lequel Tom Joad, seul sur les routes après avoir passé un certain temps en prison, rejoint sa famille alors que cette dernière se fait expulser de ses terres, comme bien d’autres, par faute de rendement. L’histoire de populations se retrouvant sur les routes pour fuir l’oppression ou pour trouver un meilleure situation est un autre aspect des road movies, Le Tableau Noir (Samira Makhmalbaf, 2000) ou Phénomènes  en étant des exemples. Tom Joad commence alors un road movie qui va jusqu’en Californie, avec ses parents, afin de trouver du travail, mais il n’a de cesse de rencontrer des problèmes dans cette Amérique contrôlée, cassant toutes volontés de défendre les droits des travailleurs et les exploitant.  Avant de quitter sa famille pour fuir la police, il explique à sa mère son point de vue sur la vie et sur le monde. Selon lui, il y a quelque chose de plus que des routes, que du travail ou qu’un pays, qui font d’un peuple ce qu’il est et qui unit tous les êtres humains les uns aux autres. Nous n’aurions alors pas qu’une âme individuelle, mais nous aurions chacun la part d’une âme commune et supérieure. Cette philosophie est exactement celle développée dans l’essai The Over-soul (1841) de Ralph Waldo Emerson. Entre le moment où il marche sur les routes et la fin du road-movie, Tom Joad décide finalement de fuir la société et de tenter de trouver ce qui fait vraiment la spécificité de l’humanité et de l’Américanité, hors des chemins battus, au sein de la Nature.

   
   

Un Tom solitaire marchant sur une route ouvrira un road movie qui le conduira à expliquer sa philosophie et à fuir vers une vie d’ermite dans la nature pour trouver où est l’Amérique.

 

En suivant les lumières des transcendantalistes et des Raisins de la Colère, on pourrait voir Phénomènes comme une suite, dans l’aire de la télécommunication, de ces philosophies. Le film semble vouloir dire que la nature se venge de l’homme à cause du réchauffement climatique, alors que, si l’on considère la notion de Sur-Âme (The Over-Soul), c’est plus comme si on faisait tout simplement tout cela seulement à nous-mêmes, comme si on portait directement la responsabilité de la pollution et des problèmes de communication que nous avons créés avec les routes et la télécommunication. Le suicide des personnages de Phénomènes, ou le fait qu’ils marchent à reculons , seraient alors tout à fait symboliquement sensés, puisqu’il reviennent sur eux-mêmes temporellement et dans l'(auto)mobilité du pays afin de trouver ce qui lie encore. A la fin, si Elliot et Alma arrivent à enrayer la machine ce serait alors parce qu’ils réinstaurent un dialogue entre les individus non pas par le biais d’un comportement social habituel mais parce que, après une période de quarantaine et d’ermitage, ils arrivent à vraiment voir en l’autre une part d’eux-mêmes.

   

Quand la Nature nous fait prendre conscience qu’un réseau de communication et qu’une erreur dans la pratique de la philosophie individualiste ne peuvent rétablir de vrais liens entre les gens …

   
   

… la route semble alors régie par des lois peu rassurantes alors qu’un détail, qu’un individu, peut tout changer, de la même manière qu’un petit trou peut laisser passer peu, mais suffisamment d’air. Quand même un choix entre deux, voire plus, de routes n’est pas suffisant, on devra trouver la solution ailleurs…

   

… mais si la retraite hors du monde peut mener vers la folie et la perte de sa propre humanité…

 

         
         

…la solution devra être trouvée dans la réintégration de l’individu, mais toujours en la liant avec un dialogue entre les âmes de tous : le total des individus vaut plus que la somme de chacun.

 

 

                                                                A travers différents exemples et analyses de films, il apparaît que certaines œuvres travaillent d’arrache pieds pour trouver l’Amérique, tout comme les Easy Riders, mais pas forcément sur les routes. L’étude des territoires hors des routes ne nous aidera certes pas à définir un nouveau genre cinématographique, mais pourra nous aider à mieux cerner et discuter le road movie, les habitudes de vie étasuniennes, ainsi que certaines de ses philosophies. Nous avons en fin de compte réussi à définir le off-road comme une notion intégrante de la nature, comme un cimetière aux oubliés de la culture majoritaire, et comme un autre chemin (différent de celui des grandes autoroutes) vers la mobilité de la personne, sa liberté, et l’unification des êtres.

 

 

 

Filmographie  et Séries :

Le Prisonnier  (créé par  Patrick Mc Goohan et George Markstein, 1967/1968)

A bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960)

Ten  (Abbas Kiarostami, 2002)

Easy Rider (Dennis Hopper, 1969)

Christine (John Carpenter, 1983)

Grease (Randal Kleiser, 1978)

Sailor et Lula (David Lynch, 1990)

Détour (Edgar G.Ulmer, 1945)

Tueurs Nés (Oliver Stone, 1994)

Gerry (Gus van Sant, 2002, avec Matt Damon et Casey Affleck)

La Colline a des yeux  (Alexandre Aja, 2006, avec Aaron Stanford)

Phénomènes (M.Night Shyamalan,  2008, avec Mark Wahlberg et Zooey Deschanel)

Wall-e  (Andrew Stanton, 2008)

La Prisonnière du désert  (John Ford, 1956)

La Guerre des Mondes (Byron Haskin, 1953)

Wolf Creek (Greg McLean, 2005)

Halloween (John Carpenter, 1978)

Evil Dead (Sam Raimi, 1981)

Shining (Stanley Kubrick, 1981)

Les Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963)

Les Raisins de la colère (John Ford, 1940)

Le Tableau noir  (Samira Makhmalbaf, 2000)

 

Bibliographie :

Les essais de Ralph Waldo Emerson et d’Henry David Thoreau.

Road Movies de Devin Orgeron.

The Road Movie Book de Steven Cohan et Ina Rae Hark.

 

     
     

 

 

 


[1] En anglais : la candidate ne trouve pas « barreling down the road » alors qu’il ne lui manque que le L. L’ironie poétique voudra ici, qu’alors que les Gerries se moquent, ils fassent eux-mêmes un L-turn au lieu d’un U-turn.

Cours en ligne : André Bazin – Cinéma & Peinture

Aujourd’hui, « on ne croît plus à l’identité ontologique du modèle ou du portrait [comme chez les égyptiens avec le rituel de momification], mais on admet que celui-ci nous aide à nous souvenir de celui-là, et donc à le sauver d’une seconde mort spirituelle »

Tout en ne considérant que la peinture et le cinéma, vous analyserez la pensée des images qui soutient un tel rapprochement.-

La longue réflexion esthétique d’André Bazin a trouvé sa formule lorsque, cherchant à définir l’essence du cinéma, il écrivait : « la perspective fut le péché originel de la peinture occidentale. Niepce et Lumière en furent les rédempteurs ».

Introduction

Une thèse classique est souvent évoquée a propos du réalisme en art. Ainsi on a longtemps considéré que le cinéma a ajouté le mouvement et la durée à la photographie qui avait elle même rajouté le réalisme à la peinture.

C’est dans ce courant de pensée que s’inscrit André Bazin. Il oppose en effet la peinture à la photographie et au cinéma. Pour lui, il semble en effet qu’il y ait une gradation dans le réalisme des arts apparus historiquement : ainsi la photographie et le cinéma, arts mécaniques, seraient plus à même que la peinture de reproduire le réel avec une certaine objectivité.

Bazin semble ainsi répondre en écho à Malraux qui écrivait dans Verve :

Le cinéma n’est que l’aspect le plus évolué du réalisme plastique dont le principe est apparu à la renaissance, et à trouvé son expression limite avec le Baroque.

La pensée de Bazin entraîne une conception particulière de notions telles que l’objectivité, le réalisme ou la ressemblance. Elle induit de même une hiérarchisation précise des rapports entre le monde réel et ses représentations – picturales ou cinématographiques : la peinture ne permettrait qu’une représentation du monde, alors que le cinéma (tout comme la photographie) serait une extension du réel.

On abordera alors les notions de « transfert de réel », de modèles et de figures.

Nous verrons cependant qu’il est possible de remettre en cause la hiérarchisation bazinienne de la représentation et la conception du statut ontologique de l’image. Pour ce faire, une réinterprétation des notions d’objectivité, de réalisme et de ressemblance sera nécessaire. Une manière d’adoucir l’opposition brutale entre peinture « subjective » et cinéma « objectif ». Une manière aussi de questionner le réalisme en art, et spécifiquement au cinéma.

L’existence d’un lien ontologique entre l’image cinématographique et le réel sera également discuté à partir de deux points d’appui. Le premier consiste dans le processus d’autonomisation de l’image. Ce processus a en réalité débuté très tôt – dès les années 1920 – comme nous pourrons le constater en évoquant les courants avant-gardistes français puis allemands – principalement avec Hans Richter – mais aussi en introduisant un exemple particulier étudié en cours : celui de Nosferatu (Murnau, 1922).

Le deuxième point d’appui résidera dans le processus de modélisation de l’image. On évoquera alors la révolution « copernicienne » du numérique avec deux applications majeures pour le cinéma : l’image numérique et l’image virtuelle.

I / La conception classique du réalisme selon Bazin….

La perspective fut le péché originel de la peinture occidentale. Niepce et Lumière en furent les rédempteurs .

1 / le péché originel

Que veut dire André ?

La première partie de la phrase fait allusion à l’abandon progressif de la représentation spirituelle du monde par la peinture. Représentation qui passait davantage par un mode de représentation symboliste plutôt que réaliste. A partir du XVème siècle, en effet, les peintres ont commencé « de se détourner du seul soucis primordial de la réalité spirituelle exprimée par des moyens autonomes, pour en combiner l’expression avec l’imitation plus ou moins complète du monde extérieur ».

Voilà pourquoi André Bazin qualifie la perspective de « péché originel » : la peinture s’est fourvoyée pendant des siècles, depuis la mise en place de la perspective, en ne proposant que des représentations faussées. Représentation qu’il qualifie de « pseudo-réalisme en trompe-l’œil (ou trompe-l’esprit) qui se satisfait de l’illusion des formes ». Ce nouveau type de représentation n’est qu’illusion et ne rend en aucun cas justice à la grâce et au mystère de la nature.

2 / Les rédempteurs

L’utilisation curieuse du terme « rédempteurs » par Bazin soulève un certain nombre de questions. Ce mot possède en effet une connotation religieuse très prononcée. La notion de sacrifice lui est même très souvent associée. Ainsi dans la tradition chrétienne le terme « Rédempteur » renvoie au Christ qui a racheté par sa crucifixion le genre humain et l’a sauvé de la mort éternelle.

Si l’on généralise un peu la définition, la rédemption renvoie à l’action d’une divinité ou d’une personne qui sauve spirituellement, qui redonne de la vertu. Dans cette acception, Niepce et Lumière auraient sauvé spirituellement la peinture de la décadence pseudo-réaliste dans laquelle elle était tombée. Nous verrons ce que cela peut signifier.

Une petite remarque cependant. L’utilisation par Bazin d’un vocable religieux semble quelque peu excessif. On comprend bien l’utilisation de l’expression « péché originel » du fait de l’abandon progressif de l’icône et de l’émergence d’une représentation picturale, non plus symboliste et spirituelle, mais (pseudo)réaliste et profane.

Mais la présentation de Niepce et de Lumière comme des « rédempteurs » semble tenir plus du sens de la formule que d’une quelconque vérité historique. On ne peut en effet pas dire que la peinture renoue par la suite avec un passé spirituel. On constate certes la disparition progressive de la perspective, mais les différents courants picturaux depuis la fin du XIXème siècle s’inscriront pour la plupart dans un contexte général de « déspritualisation » des Etat-nations occidentaux.

Dans un sens plus courant cependant, « rédempteur » renvoie à une personne qui apporte une régénération, des valeurs nouvelles ou encore le bien social.

En ce sens, Niepce et Lumière peuvent très bien être considérés comme des inventeurs de médium visuels qui ont permis une régénération de la peinture et de la représentation artistique en général : confrontés à des nouvelles formes de représentations mécaniques plus réalistes a priori rendant caduque le réalisme pictural, les peintres ont du développer de nouvelles techniques de représentation associées à de nouvelles philosophies esthétiques.

Ces dernières se retrouvent dans les courants successifs : impressionnisme, cubisme, suprématisme, avec toutes les étapes menant à une abstraction toujours croissante, où le modèle se retrouve de nouveau transcendé par le symbolisme des formes.

3 / Objectivité, ressemblance & réalisme.

Nous allons voir ici quelle est la conception d’A. Bazin concernant les notions d’objectivité, de réalisme et de ressemblance :

L’objectivité :

« Si habile que fût le peintre, son œuvre était toujours hypothéquée par une subjectivité inévitable »

« L’originalité de la photographie par rapport à la peinture réside donc dans son objectivité essentielle »

« Dans cette perspective, le cinéma apparaît comme l’achèvement dans le temps de l’objectivité photographique. Le film ne se contente plus de nous conserver l’objet enrobé dans son instant […]. Pour la première fois, l’image des choses est aussi celle de leur durée et comme la momie du changement ».

Ces trois phrases résument bien la pensée de Bazin. Non-content d’avoir libéré l’art de la contrainte figurative, Niepce et Lumière ont réinventé la forme moderne de l’image « acheiropoiète », c’est à dire produite sans main de l’homme.

Certes, reconnaît Bazin, le photographe ou le cinéaste interviennent dans le choix des appareils de prise de vue, des cadrages ou encore des expositions de lumière, mais le processus de captation du réel sur un support (film ou pellicule) reste le fait de mécanismes physiques et chimiques autonomes.

C’est à ce titre que le cinéma peut prétendre à une certaine objectivité : objectivité de la représentation du modèle (du référent), mais aussi objectivité des rapports spatiaux et temporels entre les différents modèles représentés sur l’image.

L’objectivité vient alors du faible rôle que jouerait l’homme dans le processus du transfert du réel, mais aussi du médium (la caméra et la pellicule) lui même puisqu’il crée une passerelle continue entre la réalité brute et la réalité inscrite sur le support.

Le réalisme :

Pour André Bazin, l’invention de la photographie et du cinéma « sont des découvertes qui satisfont définitivement et dans leur essence même l’obsession du réalisme » car elles bénéficient « d’un transfert de réalité de la chose sur sa reproduction ».

On a vu, dès l’introduction, que la conception de l’évolution du réalisme pour Bazin est fortement corrélée à l’histoire des inventions scientifiques et à l’apparition de nouveaux medium de représentation. Le passage de la représentation picturale à une représentation photographique puis cinématographique procède ainsi d’une « révolution ontologique ».

Ainsi, contrairement à la peinture, les images photographiques et cinématographiques ne s’inscrivent plus dans un rapport avec le réel, elles sont le réel, tout du moins une extension du réel : « l’existence de l’objet photographié participe de l’existence du modèle comme une empreinte digitale ».

La représentation du monde par une image photographique ou cinématographique n’est pas une substitution du réel, mais une extension du réel lui-même venant s’inscrire sur la pellicule. Psychologiquement, ce transfert provoque une impression de réalité qui n’avait encore jamais été atteinte dans l’histoire de la représentation artistique.

Mais l’effet de réel – ce que Bazin nomme « la puissance de crédibilité » – propre à l’image cinématographique n’est peut-être pas une évidence universelle, mais plutôt une donnée culturelle comme nous allons le remarquer en seconde partie.

La ressemblance :

La peinture n’est-elle plus du même coup qu’une technique inférieure de la ressemblance, un ersatz des procédés de reproduction.

On voit bien que chez Bazin la notion de ressemblance est intimement liée à celle de réalisme. Pour être ressemblant, une œuvre d’art se doit d’être réaliste. La ressemblance dépendrait donc uniquement de critères objectivement reconnaissables. Bazin prend néanmoins la précaution de reconnaître le génie pictural des « grands artistes […] dominant la réalité et la résorbant dans l’art ».

On commence cependant à distinguer ici les limites de l’opposition bazinienne. En fait la question de la ressemblance ne peut être résolue que par l’adhésion à une conception métaphysique du réel et de la vérité. Nous n’avons pas l’ambition ici de répondre à cette question.

Tout juste pourra-t-on évoquer d’autres conceptions que celle de Bazin qui s’apparente, en un certain nombre de points, à la conception platonicienne de l’art (Cf. tableau p. 5). Ainsi, d’un point de vue ontologique, la représentation picturale se réfère au monde visible alors que la représentation cinématographique renvoie au monde intelligible :

Ce reflet dans le trottoir mouillé, ce geste d’un enfant, il ne dépendait pas de moi de le distinguer dans le tissu du monde extérieur ; seule l’impassibilité de l’objectif, en dépouillant l’objet des habitudes et des préjugés, de toute la crasse spirituelle dont l’enrobait ma perception, pouvait le rendre vierge à mon attention, et partant à mon amour.

L’objectif garantirait la représentation d’un modèle nettoyée de toute sensation parasite.

Dans ce cadre théorique, la sensation apparaît comme un facteur de déformation du monde. La représentation mécanique serait plus à même de s’approcher d’une vérité épistémologique du monde. Cette conception semble être à l’opposé du courant phénoménologique qui fait justement de la sensation un instrument naturel de compréhension – d’appréhension – du monde.

Finalement Bazin est inscrit dans un cadre traditionnel et platonicien : non pas par le statut de l’artiste dans la société (vision rétrograde de Platon) mais par la hiérarchisation qu’il propose. Bazin ordonne en effet peinture, photographie et cinéma selon une hiérarchisation ontologique et épistémologique. Dans la pensée platonicienne, ce sont les idées et les formes intelligibles qui s’actualise dans le monde sensible.

Pour Bazin, le réel s’actualise sur la pellicule. Avec la peinture, on propose une vision du monde, alors qu’avec le cinéma c’est le monde qui propose une vision de lui même par l’intermédiaire d’un filtre photosensible.

Ce schéma semble pouvoir refléter le pensée de Bazin sur le sujet. Il y apparaît toutes les positions ontologiques et épistémologiques.

D’un point de vue ontologique, la peinture renvoie aux « images » platoniciennes alors que le cinéma appartient d’avantage au monde intelligible. D’un point de vue épistémologique, l’opposition classique platonicienne Science/Opinion renvoie à la conception de Bazin sur l’importance des découvertes scientifiques.

Pour lui, le critère de vérité dépend aussi des médiums utilisés. D’autres conceptions de la vérité, du réalisme et de la ressemblance sont cependant possibles

II / … qui reste contestable

 

1 / Re-questionnement sur objectivité / réalisme / ressemblance.

 

A propos de l’objectivité supposée du cinéma tout d’abord. Bazin semble minimiser un peu trop l’influence du cinéaste sur le rendu final.

On peut évoquer à ce propos le courant du cinéma d’avant-garde qui débute dans les années 1920 en France, avec Epstein, Gance, L’herbier, Dulac, et plus globalement en Europe. La recherche d’un « cinéma pur » passe par une recherche d’une musicalité propre au cinéma, principalement à travers le concept de rythme. Cette démarche vise à déconstruire l’effet de réel et l’effet de théâtralité – le cinéma cherchant à cette époque à s’affirmer par rapport au théâtre.

Par un montage rapide et une représentation déformée (accélération ou ralentissement) du temps et de l’espace, l’objectif est de « secouer » physiquement le spectateur. Dans ce cas certains cinéastes jouent à fond la carte de la subjectivité. Ainsi Epstein se réjouissait du fait que les « sensations cinématographiques puissent ébranler le corps de façon telle qu’on puisse assimiler ses effets à des drogues ».

On peut citer à titre d’exemple des films comme Entr’acte (René Clair, 1924) ou La Roue (Abel Gance, 1921). Il est d’ailleurs amusant de constater que certains peintres, comme Fernand Leger par exemple, se soient réappropriés le cinéma à cette période.

Les cinéastes de cette période revendiquent une certaine liberté de leurs images vis-à-vis des modèles préexistant dans le réel. Le réalisme est délaissé au profit de la recherche de sensations visuelles. Le cinéaste revendique absolument sa subjectivité et cherche à heurter celle des spectateurs.

On voit donc bien que l’objectivité cinématographique reste toute relative. Tout dépend de la conception (et de l’utilisation) que fait le cinéaste de son art : le cinéma peut très bien être un formidable outil de retranscription de la subjectivité dont le « transfert de réalité » n’est en aucun cas objectif ou neutre.

Même sans évoquer les transformations opérées sur le support filmiques (travail sur la pellicule, trucages, etc.) ou les effets de montage (cassures ou déformations spatiales et temporelles), le caractère essentiellement subjectif du
cinéma naît en premier lieu de la mise en scène. Certes lorsque Bazin parle d’objectivité de l’image cinématographique, il évoque avant tout l’objectivité du médium cinématographique, mais
il semble qu’il minimise un peu trop les modifications apportés par le metteur en scène lors du processus de transfert de réalité.

Cette mise en scène, chez les avant-gardes, vise à retrouver par analogie la vérité des sensations à l’aide d’outils purement cinématographiques. La vérité « phénoménologique » de l’image tient alors davantage dans sa réussite à retranscrire les sensations visuelles et même physiques.

Ensuite, le réalisme ou l’effet de réel propre à l’image cinématographique n’est pas une évidence universelle, mais plutôt une donnée culturelle, même s’il est vrai que Bazin prend soin de préciser qu’il restreint son analyse picturale aux sociétés occidentales .

Chez les indiens Huni Kuin, par exemple, reclus au fin fond de l’Amazonie, l’image filmique (qu’ils ont découverts à ce moment là) ne semble ainsi pas évoquer le réel, mais au contraire le temps du rêve et celui de l’hallucination. Ce qui choque et interpelle les indigènes avant tout, ce sont moins les images en tant que telles, que les raccords entre les séquences ; autrement dit l’enchaînement des plans via le montage. Le spectateur « occidental » est habitué à reconstruire mentalement un espace et un temps filmiques. L’habitude de la diégèse et de la narration cinématographique fait que le spectateur raccorde – par supposition ou imagination – mentalement les séquences «
absentes » du films : « le changement de plan semble appartenir à la narration ».

La longue pratique des visions et des cultes chamanistes (associés à la prise régulière de substances hallucinogènes) de ces Indiens suscitent une lecture surprenante des films : « la discontinuité et la l’ordonnancement des images leur rappelaient cette expérience là, indépendamment du contenu des images ».

Bazin parle d’ « hallucination vraie » à propos de l’image photographique. Mais on ne peut que suivre Patrick Deshayes lorsqu’il affirme que la vision du cinéma comme fenêtre sur le réel semble donc bien n’être qu’une convention ou une construction historique et culturelle propre au monde occidental.

Bazin considère l’image cinématographique comme une empreinte du réel. Mais le fait d’être une empreinte ne garantit pas la ressemblance. Comme l’a fait remarquer le théoricien de l’art Ernst Gombrich, la « ressemblance n’est pas une adéquation entre une représentation et une réalité, mais entre des attentes, celle du peintre et celle du spectateur, qui changent d’une époque à l’autre et les unes par rapport aux autres ».

La ressemblance objective entre le modèle et sa représentation cinématographique, entre le référent et le signifiant, a été mis à mal comme nous l’avons vu par le courant avant-gardiste. Un de ses membres est allé assez loin dans cette voie, il s’agit d’Hans Richter, du moins dans sa première période avec Rythmus 21 notamment. Dans ce film la relation figure-lieu renvoie à une relation originale entre le modèle et sa représentation. L’analogie entre les deux n’est plus basée sur une relation exogénétique mais endogénétique.

Pour Bazin, on l’a vu, l’objectif extrait les objets du tissu du monde extérieur en révélant leur potentialité d’existence. Or Rythmus 21 propose une vision endogénétique du réel dans laquelle les figures participent du lieu dans une relation symbiotique et anti-sémiotique.

Au-delà de ces considérations sur l’objectivité ou le réalisme du cinéma, il est possible de noter que le lien ontologique supposé par Bazin entre l’image cinématographique et le réel a souvent été remis en cause, de manière théorique et pratique. Nous allons voir ici que cette remise en cause peur s’analyser de deux points de vue différent : soit par une autonomisation de l’image, soit par une modélisation de l’image.

2 / Affaiblissement du lien ontologique du cinéma avec le monde.

Regardons tout d’abord le phénomène d’autonomisation de l’image qui vient contredire l’idée de Bazin selon laquelle un film est une extension du réel, un « ajout à la création naturelle ».

On a déjà évoqué plus haut quelques démarches « autonomistes » – on pourrait dire indépendantistes si l’on voulait rendre compte du fort engagement esthétique et philosophique de leurs auteurs ; que ce soit avec le cinéma d’avant-garde ou avec Richter. Mais ces démarches ne constituent que les premières étapes. Le cinéma cherchait alors une légitimité artistique.

Il lui fallait donc se démarquer des autres arts et affirmer son autonomie esthétique. Voilà pourquoi le rythme et le montage furent privilégiés dans un premier temps. Mais bien vite, l’ambition d’une autonomie esthétique s’est considérablement renforcée, allant jusqu’à proposer des modes de représentation relevant de l’autonomie ontologique.

On s’appuiera ici sur un film étudié en cours : Nosferatu. Dans le film, l’ombre de correspond plus à une quelconque objectivation d’une ombre lumineuse, elle est devenue autonome. Nous avons vu vu que

L’ombre n’est pas simplement le régime constitutif du vampire, et encore moins sa projection lumineuse, mais elle sert l’expérimentation d’un champ de possibilités figuratives où l’homme filmique est réduit au seules variables d’images et de formes que le film est capable de mobiliser[…] autrement dit, sa réalité ne témoigne d’aucune norme pré-filmique, d’aucun modèle à son enregistrement, mais des seules puissances de l’image.

Ce motif de l’ombre apparaît non pas pour une fonction mimétique, mais pour une fonction interprétative. Le cinéma est aussi capable d’être une puissance épiphanique, c’est à dire de mobiliser des formes et des figures indépendamment du réel, d’instruire un écart entre le monde et l’image entre le référent et le signifiant.

Cela fait apparaître une conception anti-lumièrisme et anti-naturaliste : le cinéma possède en propre la capacité de faire surgir du « réel » uniquement en ce qu’il existe avec les propriétés plastiques de l’image.

Cette autonomisation de l’image peut être comparée au passage, en peinture du linéaire au pictural. C’est H. Wölfflin qui le premier a révélé cette dichotomie esthétique. Ainsi, la peinture linéaire présente tout au long du XVIème siècle porte l’accent sur les limites des objets.

La ligne est privilégiée, les figures ont un contour fixe et des frontières précises, les formes sont toujours séparées les unes des autres dans une structure générale laissant apparaître une composition stable. A l’inverse la « révolution picturale » qui caractérise tout le XVIIème siècle casse cette représentation exogénétique.

A la ligne est préférée la masse, les figures sont remplacées par des tâches de couleurs. Les frontières deviennent floues et les jeux d’ombres et de lumière ont alors pour fonction de lier les formes entre elles. La composition se fait mouvante, fluctuante et doit être embrassée dans sa totalité incertaine.

Même si Wölfflin soutient que « l’apparition du pictural ne procède pas d’une ambition ontologique de présenter le réel différemment, mais d’une ambition esthétique de représenter un nouveau sentiment de beauté », on ne peut s’empêcher de voir une filiation dans les mouvements d’autonomisation de la figure picturale et de l’image cinématographique.

Ainsi la femme nue peinte par Rembrandt et le Dracula de Murnau n’existent que par le surgissement de contraste des ombres et des lumières et obtiennent comme un surcroît d’existence du seul fait de leurs propriétés plastiques, qu’elles soient cinématographiques ou picturales.

3 / Numérique & modélisation du réel

Nous avons vu au paragraphe précédent en quoi l’autonomie de l’image cinématographique pouvait rompre le « lien ontologique » avec le réel.

Avec la disparition progressive de l’image analogique au profit de l’image numérique, c’est d’une autre manière encore que ce lien est rompu. Peut-être de manière définitive d’ailleurs tant la révolution du numérique – avec son corollaire virtuel – a toutes les caractéristiques d’une révolution systémique.

Aujourd’hui la « puissance de crédibilité » d’une photographie, ou plus globalement d’une image, s’est considérablement affaiblie. Il est en effet très facile aujourd’hui de modifier, voire de dénaturer une image par des techniques de retouche de plus en plus variées et performantes. L’arrivée du numérique a accéléré ce phénomène de décrédibilisation de l’image. Ce phénomène est associé à ceux de virtualisation et de déréalisation des images.

La rupture ontologique avec le réel s’effectue au niveau du « transfert de réalité de la chose sur sa reproduction ». Comme nous allons le voir, pour une image virtuelle, le modèle préexistant à l’image, à sa représentation, ne renvoie plus à une réalité a priori mais à des modèles logico-mathématiques.

Le « transfert » de réalité ne se fait plus à travers le filtre photo-sensible de la pellicule mais à travers la synthèse de données numériques – donc informatiques. C’est le processus de modélisation des images. Sur ce thème, On va s’appuyer sur le dernier livre de Philippe Quéau, Le virtuel, vertus et vertiges, en tentant d’en faire une synthèse comparative de l’image analogique et de l’image numérique à l’aide d’un tableau synthétique.

L’étymologie de virtuel vient du latin virtus, qui signifie force, énergie, impulsion initiale . Les mots Vis (force) et Vir (homme) lui sont apparentés. Ainsi la virtus n’est pas une illusion, un fantasme, ou une simple éventualité : elle agit fondamentalement.

Elle est à la fois la cause initiale en vertu de laquelle l’effet existe mais aussi ce par quoi la cause continue de rester présente virtuellement dans l’effet. On a assisté au cours des siècles à un renversement des notions du réel et du
virtuel. Ainsi chez les Latins, l’homme et la vertu ont partie liée.

Ce qui est proprement l’essence d’un homme c’est sa « vertu », et la « vertu » est proprement humaine. Dans cette perspective, l’homme apparaît comme un être « virtuel » dans un monde qui ne serait que « réel », c’est-à-dire sans vertu. Le virtuel des Latins est la véritable réalité de l’homme. De nos jours, évidemment, le virtuel semble ontologiquement inférieur au réel.

A partir du graphique d’Y. Lafrance repris ci-dessous, on peut déjà situer le statut ontologique de l’image numérique. L’image virtuelle naît de la rencontre entre les sensations physiques du « spectateur » (le monde visible chez Platon)
et les réalités artificielles nées de programmes informatiques (le monde intelligible) ; ces images virtuelles reposant sur des techniques de synthèse d’images en temps réel et des techniques de visualisation stéréoscopique.

Pour Quéau, ces réalités d’un nouveau genre nous rappellent les intuitions platoniciennes et les metaxu, ces « êtres intermédiaires » qui permettaient jadis de relier la matière et la forme, le savoir et l’ignorance, la beauté et la laideur, les dieux et les hommes. En cela Quéau s’inscrit pleinement dans une conception platonicienne.

Pour Bazin, « les virtualités esthétiques de la photographie résident dans la révélation du réel ». C’est ce que Philippe Quéau nomme le potentiel. Le potentiel est de l’ordre du futur car il n’est qu’en puissance. C’est ce qui peut devenir actuel, ce qui peut s’actualiser.

Philippe Quéau entend ainsi le potentiel au sens aristotélicien du terme, de potentia. Pour Aristote, la puissance, la potentia, c’est l’aptitude, plus ou moins grande, à recevoir une forme. Elle peut aussi être en voie d’actualisation, si elle dispose des conditions favorables, des vertus nécessaires à sa détermination.

Le virtuel, en revanche, c’est ce qui est réellement présent en tant que cause déterminante, actualisée. C’est la présence réelle et discrète de la cause.

Les images virtuelles ne sont pas des représentations analogiques d’une réalité déjà existante, ce sont de simulations numériques de réalités nouvelles. Ces simulations sont purement symboliques et ne peuvent pas être considérées comme des phénomènes représentant une véritable réalité, mais plutôt comme des fenêtres artificielles donnant accès à un monde intermédiaire, au sens de Platon.

L’image n’est plus alors « une empreinte digitale d’un modèle réel » mais un symptôme du modèle symbolique. L’espace naît de la rencontre entre le corps humain et le programme informatique, de l’expérience interactive et progressive de l’espace.

Conclusion

La conception d’André Bazin a propos de l’image s’inscrit dans une conception platonicienne de l’art : il effectue une
hiérarchisation des statuts ontologiques et épistémologiques des images selon leur mode de représentation (picturale, photographique ou cinématographique). Il propose une vision « classique » de l’histoire des mutations ontologiques qui se calque sur l’histoire des inventions scientifiques.
 
Nous avons vu cependant que bon nombre d’artistes ou théoriciens contestent ce point de vue. Ils remettent ainsi en cause le lien ontologique « naturel » qui unirait le cinéma (et le photographie) et le monde réel.
 

Ainsi le lien sémiologique entre référent et signifiant est brisé au profit de l’émergence soit de formes autonomes nées des propriétés plastiques de l’image – on parle de production de formes sui genesis – soit de formes intermédiaires nées de la rencontre entre des sensations et des modèles logico-mathématiques – on parle alors de

production de formes non pas in vivo mais in machina. Dans le premier cas, le modèle ne préexiste pas à la figure mais il se crée de lui même, dans le second cas, le modèle renvoie à un réel synthétisé (image numérique) voire entièrement construit artificiellement (image virtuelle).

L’image n’est plus une « fenêtre sur le réel » mais une fenêtre artificielle ouvrant sur un monde intermédiaire ou bien encore une image « plastique » ouvrant sur le néant. Avec Nosferatu, on peut parler d’un espace autonome, indépendant même de l’espace diégétique. Avec l’image numérique, on peut parler d’un espace intermédiaire, lieu de rencontre entre le sensible et l’intelligible.

Une des dernières applications du numérique remplace les écrans à cristaux liquides placés devant les yeux par un microscanner au laser. Un balayage du fond de la rétine par un laser de faible intensité, modulant des images en couleur, crée une interface entre le nerf optique et le calculateur. Avec ce type de laser, il n’y a plus de pixels car il excite directement les cônes et les bâtonnets de l’œil. Il devient alors difficile de parler encore d’image. Il s’agirait plutôt alors de sensations visuelles, marquant ainsi l’aboutissement de la dématérialisation du medium de représentation.

Bazin finit son chapitre de l’ontologie de l’image photographique par cette phrase : « d’autre part le cinéma est un langage ». Cela nous permet de rebondir car on ne peut pas lire une image numérique comme on lit une image analogique : les images virtuelles ne sont pas des images, au sens classiques du terme comme pour la photo ou le cinéma (naît de la rencontre entre la lumière et un support photosensible), mais un langage à part entière.

Plus précisément, les images virtuelles sont essentiellement des représentations visibles de modèles conceptuels abstraits, de modèles logico-mathématiques et de programmes informatiques. Les images de synthèse forment une nouvelle façon d’écrire.

On peut évoquer P. Quéau en parlant de « révolution scripturale » car il y a un nouveau rapport entre langage et image. Le lisible peut désormais engendrer le visible. Les mathématiques deviennent physiquement perceptible.

Les fêtes de fin d’année approchent : offrez-vous un Cochon d’Inde !

Les fêtes approchent, et pour combattre la morosité de cette fin d’année 2020, avez-vous pensé à prendre un cochon d’Inde ?

A l’instar des Hobbits avec qui il partagent de nombreux traits : certes il suffit de quelques jours pour comprendre l’animal, mais celui-ci sera toujours capable de vous surprendre des années après leur adoption.

Dans le cadre d’une grossesse imprévue survenue à l’Amazing Bicoque – refuge pour animaux joyeux, La Lettre à Jal, vous propose cette offre exceptionnelle qui saura ravir les petits comme les grands.

A propos de l’animal

Beaucoup de questions se posent avant de prendre la responsabilité d’accueillir un Poutou. Comprenez tout d’abord, qu’un cochon d’Inde offre de multiples avantages uniques :

  1. C’est rigolo.
  2. Permet de détecter toute ouverture de frigo de jour comme de nuit.
  3. Recycle efficacement vos déchets végétaux.
  4. Éloigne les chats.

Présentation des intéressé·e·s

Tonnerre « Anastasia » Picard
Femelle, née le 12 avril 2020

Si les cochons d’Inde avaient un Einstein, ce serait assurément cette petite boule de poils marrons. Vive, curieuse, sociable et maline, Tonnerre détonne depuis son arrivée à l’Amazing Bicoque. Malheureusement affublée d’un “frère” (au lieu d’une sœur à l’achat), la voici fort surprise par cette portée inattendue. Statut : Non cessible.

Tornade « Céleste » Picard Mullervater
Mâle, né le 12 avril 2020

Beaucoup plus représentatif des stéréotypes de son espèce, Tornade ne manque pas de vivacité. Mais ses qualités s’effacent derrière le tas d’hormones qui caractérise son existence. Le père de tous les cochons d’Inde va quitter le refuge de l’Amazing Bicoque pour rejoindre la résidence Mullervater en début d’année 2021. 
Statut : cédé à la famille Mullervater.

John Ouik on the Rock

John Ouik
Mâle, né le 15 novembre 2020

Né deux fois plus gros que sa fratrie, John Ouik partage de nombreuses ressemblances avec le héros de la saga de films d’action : sombre, rapide, il sait défendre son indépendance, fonce sur le chat et ponctue ses échappées par des cascades qui sied normalement fort peu à l’espèce. 
Statut : donné.

Daenepouite Reine des Conchons

Daenepouite Targuerien
Femelle, née le 15 novembre 2020

Digne descendante de sa mère, Daenepouite a aussi hérité d’un cerveau bien fait comme le prouve la résolution de problèmes complexes tels qu’attraper un bout d’endive en se penchant hors de la cage ou se dépêtrer du labyrinthe maudit du polochon écarlate. Statut : donnée

Harry Poutteur
Mâle, né le 15 novembre 2020

Discret et efficace, Harry Poutteur possède les qualités de tout bon cochon d’Inde : capacité à se fondre dans la masse, chaparder au vu au su de tous son bout de carotte, ouiker. Mais son plus grand sortilège sera celui de prendre votre cœur. Statut : donné

Tim
Femelle, née le 15 novembre 2020

Tim sait mélanger les genres qu’elle bouscule en commençant par son propre prénom. La plus petite boule de poil de la cage sait jouer de son charme et de sa souplesse pour atteindre ses objectifs. Bref, si elle est le cadet de sa famille, elle ne sera pas celle de vos soucis.
Statut : donnée

Don terminé.

Nouvelle portée disponible certainement mi-avril ^^

Critique : « Mignonnes » de Maïmouna Doucouré (2020) : Un Film Qui Pose Les Bonnes Questions

Après le scandale autour de la vignette de ce film sur Netflix USA, et après son interdiction de diffusion sur la plateforme en Turquie, ma curiosité a suffisamment été piquée pour me remotiver à aller au cinéma malgré les restrictions de distanciation sociale et du port du masque pendant toute la durée de la projection. Et spoiler : c’est pas si pire le cinéma avec un masque !

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:on prend soin de vous.jpg

Mignonnes (2020) suit Amy (Fathia Youssouf) une pré-adolescente de 11 ans cherchant à s’intégrer dans un groupe de jeunes filles de son âge qu’elle prend en admiration.

Cette admiration se transforme presque en obsession ce qui la pousse à copier leur façon de s’habiller et de se comporter afin d’être acceptée. En somme, ce film raconte le rite de passage du collège : le moment où on devient « grand.e » sans vraiment savoir ce que ça veut dire, le moment où on remet en question l’environnement familial pour se tourner vers les autres.

Puisque les personnages principaux sont de jeunes filles, l’accent est bien entendu mis sur le changement d’univers pour les pré-adolescentes et non pour les pré-adolescents.

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:angelica et amy.jpg

La femme dans notre société a (heureusement) une multitude de représentations, ce qui parfois peut rendre difficile la tâche de trouver un modèle pour une jeune fille.

Les réseaux sociaux influencent énormément nos vies et encore plus celles des jeunes générations qui cherchent à développer leur propre image, leur « brand ».

Alors, lorsque les contenus les plus visionnés et aimés sont des vidéos de femmes hyper-sexualisées dansant de façon plus que suggestive, quoi de plus naturel pour une fille de 11 ans que de copier ces femmes pour gagner un concours de danse et être appréciée à sa juste valeur ?

La rhétorique est bonne. Afin de montrer le parallèle entre les clips musicaux avec des femmes dansant de manière à éveiller un certain désir et la façon dont « les mignonnes » préparent leur compétition, leur danse est filmée en suivant les mêmes codes : des zooms sur leurs fessiers et leurs seins, un plan sur deux.

Comme invitée à se mettre dans la peau d’un.e pédophile, le malaise dans l’audience est bien présent tout au long de ces séquences. 

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:malaise.jpg

Le coup de maître de Maïmouna Doucouré est d’avoir réussi à parler de l’hyper-sexualisation des pré-adolescentes en n’accusant ou en ne critiquant personne en particulier mais que tout le monde se sente tout de même concerné à la fin.

Elle met simplement en lumière des points qui dérangent et nous demande de réfléchir à la situation. Une multitude de questions se précipitent donc dans nos têtes en sortant de la salle et trouver leurs réponses n’est pas si aisé.

On s’interroge sur la place et le rôle des adultes dans la vie des pré-adolescent.e.s, sur l’écart des mondes qu’il y a entre les parents et les enfants, sur l’éducation et la culture religieuse et, surtout pour ma part, sur la liberté d’expression.

En tant que femme de moins de 30 ans, je me retrouve souvent à avoir de longues discussions sur la liberté de la femme avec différentes générations : la liberté de s’habiller comme on le souhaite, la liberté d’avoir des relations sexuelles avec qui on veut, la liberté de croire en une divinité ou non, la liberté de vivre sa vie comme on l’entend.

La grande question qui se pose maintenant à moi est : jusqu’où notre liberté peut aller sans entraver le droit à l’innocence des enfants ?

Ce qui mène à une deuxième question : à quel point sommes-nous responsables de l’éducation des jeunes générations qu’elles soient apparentées à nous ou non ?

Macintosh HD:Users:Astrid:Desktop:questionnement_leadership_deffayet_light.jpg

Chacun.e retirera un gros questionnement de Mignonnes (2020) de Maïmouna Doucouré qui lui sera personnel, mais la réponse mériterait d’être cherchée en échangeant tou.te.s ensemble.

Astrid Kaisermann

Live Intergalactique : « La Plateforme  » et « The Last Day of American Crime »

Live du dimanche 14 juin
LA PLATEFORME + THE LAST DAY OF AMERICAN CRIME

Retrouvez l’équipe de programmation en direct tous les dimanches soirs avec une programmation alternant thématique de Science-fiction et culture cinéma.
Emission que vous pouvez bien entendu réécouter ci-dessous ou en podcast un peu partout !

Trêve de rétrospective cinéma pour cet été. Les cinémas sont sur le point de ré-ouvrir, les plateformes de streaming pondent du contenu tous les jours, bref, il y a largement de quoi parler actualité cinéma de Science-fiction pour les prochaines semaines d’estivautés.

Et on commence par deux « productions originales » Netflix qui tentent de secouer le genre sans vraiment y parvenir.

LA PLATEFORM (El hoyo)
De Galder Gaztelu-Urrutia (2019 / 1h34 / Espagne)

Dans une prison-tour, une dalle transportant de la nourriture descend d’étage en étage, un système qui favorise les premiers servis et affame les derniers.

THE LAST DAY OF AMERICAN CRIME
De Olivier Megaton (2020 / 2h28 / Etats-unis)

Dans un futur proche, le gouvernement américain prépare son ultime réponse au crime : l’utilisation d’un signal rendant impossible pour chacun de commettre le moindre acte illégal.
Graham Brick, un criminel professionnel, prépare un plan pour dévaliser l’une de ces stations avant de quitter le pays. Mais il apprend ce que prépare le gouvernement et il ne lui reste plus qu’une semaine pour commettre son délit avant que le signal anti-criminalité ne soit mis en place.

UN LIVE ANIMÉ PAR :

✔️ NICOLAS SÉBASTIEN LANDAIS, Cinéphile déviant & responsable Cinéma du festival.

✔️ JAL OU BIEN JULIEN, Fondateur et Coordinateur du bazar

A ECOUTER EN DIRECT | Dimanche 14 juin à 20h

Ci-dessous ou sur la chaîne Youtube des Intergalactiques !

Page 1 of 7

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén